Trop bon, trop sanglant, trop violent, trop la classe, trop la frime, trop précurseur, trop bien filmé, trop pur, trop court, trop David Chiang, trop compact, trop féroce, trop haineux, trop exagéré, trop direct, trop beau, trop fondateur. Ce film est vraiment trop !
Une histoire comme une flèche : Mon frère se fait tuer. J'arrive. Je tue tout le monde. Terminé. Ah, je prend quand même une belle fille, ancienne connaissance, sous mon aile au passage, mais vite fait alors, parce que j'ai pas que ça à faire.
Pas le temps pour un fond plus développé dans Vengeance !, ç'est du concentré catharsique, de la boule d'énergie, du noeud originel. Pour moi encore et toujours plus puissant que Le Justicier de Shanghai et La Rage du Tigre car Vengeance est la source, la substance même de ses deux énormes classiques, la vengeance pure, sans rien autour. ç'est la matrice originelle, le film qui détient la graine des grands classiques violents de Chang Cheh et la matrice même d'une grande partie du cinéma Hong Kongais qui suivra oserais-je dire, et rien que pour ça, il vaut tout l'or du monde.
Très peu de dialogues en fait, peu de kung-fu aussi, ou si peu (avec Ti Lung au début, trop beau gosse d'ailleurs), mais de la baston de film noir, de la grosse castagne et des gros couteaux qui transpercent et tranchent secs, le tout filmé de mains de maître par Chang Cheh, accompagné d'un zest de carabine à lunette, là encore fait hautement en avance sur son temps. Terrifiant de dynamisme et d'énergie et déjà la théâtralité extrême de la mort et le soin de la beauté apportée à chaque plan envoient le tout au royaume de la poésie. Entre les ralentis elliptiques de Chang Cheh et la mise en espace extrêmement précise des combats à 1 contre une meute, réalisés par le meilleur spécialiste en la matière Tang Chia et aidé de Yuen Cheung Yan, frère de Yuen Woo Ping, Vengeance sans être réellement martial offre un ballet visuel baroque et violent à marquer d'une pierre de taille.
David Chiang mérite bien aussi sa récompense de meilleur acteur et nous joue à merveille le parfait petit dandy haineux et malin qui ne veut rien entendre (même s'il reste toujours martialement léger). La rugosité, l'âpreté et l'intensité de l'esprit vengeur sont palpables de bout en bout.
Ne cherchez plus d'où vient l'influence principale de Woo, tout est dans ce film.
Vengeaaaaaance !!
Le scénario de Vengeance est aussi simple et direct que son titre. On peut certes le critiquer pour sa trop grande simplicité, mais au moins on évite toute scène superflue, contrairement à bon nombre de films modernes qui se croient obliger d'atteindre les deux heures. Ici Chang Cheh va vraiment à l'essentiel, notamment lors d'une excellente première demi-heure très peu bavarde. Et c'est bien sur la forme que le film marque des points, puisqu'il s'écarte des classiques films en costume pour livrer un polar noir sans flingue. Les scènes de baston sont bien plus crédibles que celles des films en costume, grâce notamment à un style de combat plus direct (coups de coude à la tête) et une réalisation plus inspirée que d'habitude pour Chang Cheh.
Reste que passée cette première demi-heure vraiment envoutante, le film marque un peu le pas sur le second tiers. Ce dernier permet certes de construire une intrigue un peu plus intéressante et de s'attacher aux personnages, mais l'ambiance perd de sa noirceur. La réalisation se montre moins inspirée, et parfois aussi maladroite que d'habitude pour du Chang Cheh (bonjour les saccades lors d'un travelling en extérieur...). Heureusement le dernier tiers permet de retrouver les obsessions de Chang Cheh, avec de longs passages d'agonie au ralenti sur ces musiques torturées que tous les fans connaissent. On pense évidemment beaucoup à Boxer From Shantung, même si le final moins exagéré peine à concurrencer le long chemin de croix de Chen Kuan-Tai, ni même les films les plus "malades" du boucher. Vengeance contient tout de même beaucoup de combats à un contre dix, mais on ne verse pas dans le délire sanguinolent de certains Wu Xia Pian (pas de démembrement ici, ni d'éventration). Reste cette faute de goût sur la fin, où David Chiang en fait trop lors du final, alors que le reste du film était plus sobre.
Quant aux acteurs, ils sont assurément un des gros points forts du film. Ti Lung est très impressionnant malgré son passage rapide dans le film, Ku Feng est comme toujours parfait, et David Chiang trouve ici un rôle parfaitement à sa portée.
Vengeance reste donc un très bon Chang Cheh, nettement plus soigné sur la forme que la plupart de ses Wu Xia. Bien aidé par le charisme de David Chiang, ce drame restera un des seuls films "à ambiance" de la filmographie de l'ogre. A voir donc.
Un classique du cinéma HK qui annonce déjà John Woo, notamment ses The Killer et A Toute Epreuve, 20 ans avant et qui s’inscrit dans la longue tradition des revenge movies, entre La Vengeance d'un acteur et Kill Bill. Un classique à voir davantage pour ses scènes d’action filmées au cordeau, très proches de l’action, pour son duo d’acteurs très charismatique Chiang/Lung et pour son jusqu’au-boutisme, que pour son scénario basique dont le convenu génère quelque ennui lors de certains passages.
Vengeance est un peu à Boxer From Shantung ce que le premier One Armed Swordsman fut à la Rage du Tigre. Prenant un pitch ultrabasique digne de film de baston, Chang Cheh offre ici toute une série de combats à la dimension baroque et chargée de dramatisation qui annoncent ceux de son futur sommet martial. Le motif visuel de l'escalier, le héros combattant une hache dans le ventre, la surenchère de sang et de drame -le combat yeux crevés-, tout ceci est déjà présent ici dans ce film où Chang Cheh essaie pour la première fois de transposer son univers de la chevalerie à un contexte urbain et martial. En montrant Ti Lung casser la plaque d'une école, il annonce meme un Fist of Fury avec lequel il partage la folie enragée. Un autre aspect intéréssant est l'usage de l'opéra chinois dans le film : l'opéra chinois est pris par Chang Cheh non de façon distanciée comme chez King Hu mais pour en souligner la dimension tragique, les combats à la lance se jouant sur scène finissant par se confondre grace au montage avec les combats sanglants du film, une tragédie scénique faisant écho à la tragédie vécue.
Formellement, le film se situe à la transition entre le Chang Cheh sixties et le Chang Cheh baroque qui suivra: vraie ampleur classique de caméra tournant autour des tables ou se rapprochant des personnages pour souligner la dramatisation, usage de la caméra portée lors de certains combats, photo et décor plus proches du style Shaw de l'époque que du coté crade de la suite mais aussi usage du ralenti, vols planés annonciateurs de la tournure prise par son cinéma par la suite. Parmi les autres points forts, on a le générique avec sa profusion de zooms et ses titres faisant les hélices dont l'inventivité visuelle n'a rien à envier aux films japonais sixties, l'interprétation déjà habitée de David Chiang avec quelques beaux moments de silence où se déploie une certaine mélancolie, le déploiement du thème du survivant qui n'en finit pas de mourir dans les combats, les lancers de couteaux virtuoses des personnages ou encore l'arrivée de Ti Lung dans la maison de thé avec la cage aux oiseaux pré-Hard Boiled. Au négatif, il y a l'usage de flash backs d'opéra qui cassent le rythme du premier combat -ce ne sera pas le cas par la suite-, le manque de charisme de Ti Lung ici, quelques travellings brouillons, une relation amoureuse Hsiao Lu/Chen Fang traitée correctement mais sans flamboyance. Et si un récit moins riche thématiquement que les meilleurs films du cinéaste peut sembler une limite du film (la dimension amitié virile est peu présente), ce genre de profondeur n'était surement pas l'objectif du cinéaste ici. Chang Cheh compense ce très relatif "défaut" par un vrai sens de la dramatisation crée par le montage des combats dont l'outrance se construit autour de la folie vengeresse de David Chiang.
Vu qu'il s'agit d'une oeuvre charnière dans la filmographie du cinéaste, le film mérite le coup d'oeil. Et si on le prend pour ce qu'il est, à savoir un pur revenge movie stylisé de vengeance, de vengeance, rien que de vengeance, les défauts mentionnés plus haut deviennent très mineurs en regard de la capacité de Chang Cheh à transcender un pitch basique. Et le film prend alors sa place dans les grandes réussites seventies du genre.
Opéra barbare. Un sommet de la Shaw.
Fort d'une réputation déjà bien forgée, Chang Cheh livre avec Vengeance! l'un de ses premiers films de kung-fu majeur et sans nul doute l'un de ses plus violents. On pose les sabres et les lances pour d'avantage s'appuyer sur l'utilisation d'armes blanches comme le couteau ou le poignard dans des combats rapprochés à des années lumières des sidérantes mêlées d'un One-Armed Swordsman. Ici les affrontements ne se déroulent pas dans des plaines ou des Forts comme il était coutume dans les wu xia en costume, mais plutôt dans des lieux fermés comme un hall de restaurant ou une chambre intime.
Vengeance! puise toute sa modernité dans son contexte (le film semble se dérouler dans les années 20) et dans la psychologie des personnages. Si le personnage de Ti Lung renvoie aux wu xia traditionnels (costumes, chorégraphies, art du spectacle), celui de David Chiang représente un véritable pas en avant dans une époque plus proche de la notre, tout juste pouvons nous ressentir de temps à autres quelques accents James Bondiens ou plus précisément des clins d'oeil au film d'espionnage Britannique qui fit merveille dans les années 60. Que ce soit au niveau purement visuel (décors, vêtements, musique...) ou carrément fondamental (attaques discrètes, leurres...), Vengeance! est une pure lettre d'amour au genre typiquement anglais bien que cette ressemblance s'arrête là. En effet l'oeuvre reste parsemée de séquences violentes à des années lumières de la retenue anglaise. Les affrontements sont saignants, dirigés par un Tang Chia déchaîné nous livrant tout un panel de son talent dans la mise en scène brute et live, loin de la finesse esthétique d'un Liu Chia-Liang plus habitué à faire du un contre un. Pour sûr, Tang Chia préfère du un contre vingt dans une optique de rendre les confrontations plus bestiales et violentes, Chang Cheh partant du principe que ça doit saigner, point barre. Rien ne déroge à la règle, Vengeance! représente à mes yeux la quintessence du revenge movie à tous les traitements. Réalisation de très haute facture, thématique aussi variée que touchante développant bien des aspects misogynes certes, mais dont la finalité parait évidente, ici ce sont bien les femmes qui causent tous les soucis.
Chang Cheh livre aussi dans son panier quelques petites trouvailles sympathiques, comme l'utilisation appuyée de ralentis pour mettre en avant le côté dramatique d'une mort et rendre ainsi la vengeance plus terrible qu'elle n'est. La mort de Yu-Lou est ainsi l'exemple parfait. De plus, certaines séquences m'ont paru source d'inspiration pour The Killer de John Woo (longtemps assistant réalisateur auprès de Chang Cheh), comme la première scène au sniper quasiment reprise à l'identique avec Chow Yun-Fat, filmée avec de nombreux ralentis et accompagnée de la même musique. De même que le combat de fin entre David Chiang et la triade, le laissant pour mort comme Chow Yun-Fat devant Sally Yeh (là aussi, grosse utilisation de ralentis). Des points communs qui ne peuvent pas être que des coïncidences quand on connaît l'immense respect de John Woo pour son mentor.
Esthétique : 4/5 - Mise en scène avec brio, dans une ambiance digne des films d'espionnage Britanniques des sixties. Musique : 3/5 - Certaines musiques sont carrément inquiétantes, d'autres plus héroïques. Interprétation : 3/5 - Etonnant David Chiang en beau gosse ciré de la tête au pieds. Personnages tordus et mesquins. Scénario : 3.75/5 - Un pur film de vengeance, bien ancré dans l'époque Shaw. Particulièrement barbare.