Difficile d'avoir un point de vue réellement objectif sur ce film et de donner un avis assez unanime, tellement le plaisir que j'ai passé devant ce film était différent de celui de beaucoup de gens ; mais ce n'est pas grave ; j'assume le fait d'avoir adoré ce film et même d'y être retourné le voir à Deauville ; je tiens par là même à préciser que les deux versions sont différentes et que ceux qui ont vu le film seulement à Deauville ne s'étonnent pas de certaines remarques.
Pour commencer, The World montre que le réalisateur y met les moyens ; utilisation du matériel derniers cri, avec entre autres, la dernière caméra numérique avec laquelle il a pu tourner des scènes d'obscurité en lumière naturelle, et surtout faire un film de 2h10 (1h50 à Deauville) qui finalement ne parait pas si long. Car coté mise en scène, ça assure vraiment, avec de longs plan-séquence vraiment très bien gérés et des scènes de transitions très belles, reprenant le thème musical du film, plutôt moderne et sympa, avec également un fil conducteur en animations, résolument peu élaborées, et succédant aux messages SMS reçus par les différents protagonistes.
Coté thématique, Jia Zhang-Ke raconte des tranches de vie de jeunes venant travailler à Pékin pour obtenir un avenir plus certain qu'en restant dans leur province. Mais arrivés là, la concurrence est rude et ils font ce qu'ils peuvent ; certains finissent donc au milieu du parc d'attraction "Le Monde", reconstitution en miniature des lieu les plus célèbres de par le monde. Voyant leurs amis partir un par un l'étranger, ils se bercent d'illusion en s'imaginant faire le tour du monde tous les jours dans leur parc, à l'instar de Xiaotao qui prend tous les jours le mini-train pour faisant le tour du parc en 15 min. Mais l'illusion ne suffit plus et chacun veut suivre le même chemin pour aspirer à une vie un peu plus réaliste. D'autre part, le film montre via ses séquences animées, l'industrialisation rapidement arrivée et la contamination de la communication à distance entre les jeunes, qui marque encore plus leur besoin de création d'un autre monde où ils s'enferment et dans lequel ils finissent par s'étouffer.
Ce film est pour moi un excellent film sociologique montrant efficacement la jeunesse à Pékin avec d'excellents interprètes. Juste un petit peu long quand même ; à ne pas regarder dans un état de fatigue assez avancé, car même s'il est bien on ne pourrait pas résister au sommeil qui s'imposerait.
J’ai décidément du mal avec Jia Zhang Ke. Qu’il filme une jeunesse des campagnes à la dérive ou une jeunesse pékinoise tiraillée entre son amour pour la patrie et l’appel du pied de l’étranger, je trouve son propos, ses personnages et sa mise en scène fades et arrivistes, opportunistes et prétentieux. Dès la première scène où il nous présente le gigantesque parc des monuments historiques mondiaux avec l’adresse du site Internet de ce parc placardé sur l’écran, on se sent déjà mal à l’aise : a-t-il réellement trouvé dans cet endroit le parfait symbole d’une thématique forte sur la mondialisation, sur l’avenir ou sur un trait de caractère de son pays ? Ou bien va-t-il en faire le décor-cliché de discussions vaseuses et sans envergure du quotidien banal de jeunes chinois sans réelle réflexion ? A la vue de la scène suivante où une actrice crie à tue-tête « Qui a un pansement ? » de façon répétitive – ce qui n’est sans doute pas un hasard dans un endroit comme « Le Monde », la lourdeur de la métaphore s’installe déjà comme une chape de plomb sur le film pour ne plus s’en dégager jusqu’à la fin. Car malgré le joli travail de Lim Giong sur le score, on ne se passionne jamais une seule seconde pour cette œuvre où l’on ne prend aucun plaisir visuel, où l’on s’ennuie profondément, où l’on reste pantois devant des audaces gratuites et vaines comme ces passages de dessins animés où des SMS sont envoyés de portable à portable, et où l’on cherche désespérément à comprendre quel message a bien voulu faire passer Jia Zhang Ke tellement il est embrouillé et interminable. Si l’on veut voir un vrai beau film plaisant et intelligent sur le Pékin d’aujourd’hui, autant (re)voir Un taxi à Pékin de Ning Ying…
Avec The World, on ne pourra pas reprocher à Jia Zhang-ke de se reposer sur ses acquis. Reste qu’après un Plaisirs Inconnus de très bonne facture mais ne rééditant pas le coup d’éclat Platform il vient ici de livrer son film le plus faiblard à ce jour. Jia Zhang-ke a ici tenté de déplacer ses thèmes habituels du Nord sinistre vers les régions de Chine économiquement plus dynamiques.
Cette fois, le cinéaste pose sa caméra dans un parc d'attractions situe près de Pékin et contenant des modèles réduits des monuments les plus célèbres des pays étrangers: les Twin Towers encore debout, la Tour Eiffel, la Tour de Pise... Dans le monde miniature selon Jia Zhang-ke, tout est d'abord affaire d'image. Avec ce parc compilation des cliches médiatiques les plus basiques sur chaque pays du monde d'abord. Les indications de villes se superposant aux images du parc dans certaines scènes entretiennent d'ailleurs volontairement la confusion: Paris pour les personnages du film se résumerait ainsi a une fausse Tour Eiffel par exemple... Voyager autour du monde en un jour comme le dit la réclame, c'est parcourir des images d'Épinal comme médiatiques des pays.
Mais aussi avec les flots d'images qui irriguent le film d'un bout a l'autre. Images des téléviseurs des aéroports, images des téléviseurs de particuliers permettant à une employée voyant en la Chine un El Dorado personnel de savoir le temps à Ulan Bator. Images d'Épinal en action des spectacles du parc représentant de façon mouvante les clichés concernant les pays étrangers. Images d'affiche de cinéma qui trônent dans les appartements et les loges. Image photographique de glamour occidental d'une couverture de Elle. Images photographiques des mannequins permettant de fabriquer en Chine des ersatz de fringues occidentales à la mode. Car après tout la contrefaçon, l'ersatz sont des éléments caractéristiques de la mondialisation de l'économie (comme du cinéma d'ailleurs).
Image photographique de porte symbolique d'un Chinois vivant désormais a Belleville, du désir d'évasion, de quitter la Chine.Paradoxe d'un lieu El Dorado pour les travailleurs étrangers du film que les provinciaux ayant migré près de la capitale veulent quitter. Images d'Epinal qui sont la seule chose que deux êtres connaissent de leur ville respective dans un film ou le cliche lie au lieu de résidence de l'autre peut servir comme moyen pour communiquer avec lui. Et enfin jeu par le verbe sur les clichés culturels occidentaux. Par exemple lorsqu'on rit de voir les Twin Towers du parc toujours debout après le 11 septembre, évènement connu médiatiquement de ceux prononçant ces mots, a la fois proche par le téléviseur mais trop lointain pour en saisir la vraie portée. Toast qu'on porte à Madonna et aux "femmes sans rides", éléments emblématiques d'un certain désir jeuniste de l'Occident contemporain importe tel quel en Chine. Et suggérant d'ailleurs en creux l'importance d'une chirurgie esthétique exécutée parfois a la chaîne, permettant aux femmes chinoises de réaliser leurs fantasmes de jeunesse éternelle.
Enfin, le film intègre via ses séquences animées faisant progresser la narration deux des grands langages de la mondialisation: le style de filmage publicitaire symbole d'un langage formel parlant à la jeunesse du monde entier, le SMS. En ajoutant que cette civilisation de la circulation des individus, des images n'exclut pas qu'on crache toujours son mal être dans un karaoké ou qu'on puisse se sentir étranger a son propre pays. La limite, c’est que pour la première fois le cinéaste n’évite pas une certaine lourdeur dans l’expression de son constat sur la Chine contemporaine. Certaines idées de mise en scène n’évitent ainsi pas le trop facilement signfiant : le travelling « reliant » un personnage à une image télévisée du parc par exemple…Le choix d’un tel parc comme lieu de tournage présentait aussi comme gros risque le symbolisme lourd et là encore Jia Zhang-ke n’évite pas toujours ce piège-là.
A ce stade, évoquons une mise en scène terre de paradoxes ici. La mise en scène de Jia Zhang-ke persiste ici en partie dans la voie d'une plus grande mobilité afin d'incarner le désir de ses personnages de se réaliser au travers du changement historique. D’où de longues séquences où la mise en scène de Jia Zhang-ke n’a jamais été aussi maîtrisée et faisant preuve d’un vrai sens du cadre. Mais lorsque la caméra se pose pour faire ressentir une pesanteur de l’existence toujours présente malgré le désir de mouvement le montage se met à amplifier un défaut présent dans les précédents Jia Zhang-ke : une durée excessive qui finit cette fois par peser lourd au final. D’où un film en montagnes russes et très inégal, alternant grands moments de cinéma et gros ratages. Et cette capacité à passer d’un coup de la grandeur à la médiocrité finit par peser très lourd au final. Le montage plus court présenté à Deauville était certes bien moins inégal mais il était aussi bien plus embrouillé.
The World montre que Jia Zhang-ke essaie de se renouveler tout en n'ayant pas mis d'eau dans le vin de son regard sur la Chine de son temps. Reste que le film fait figure de tome le moins inspiré de son grand roman en cours de la Chine contemporaine. Et qu’après Plaisirs Inconnus il donne l’impression de voir le cinéaste le plus doué de la Sixième Génération engagé sur une pente déclinante.
Brûlant de colère rentrée, The World ne cède pas un pouce de liberté par rapport aux précédents films de Jia Zhang-ke, même si c’est son premier film 100% officiel, du scénario à la distribution puisque il est sorti le 15 avril en Chine. Jia Zhang-ke s’est affranchi de nombreuses contraintes pour donner une prodigieuse surprise, cas d’école sur comment un cinéaste peut déployer toute son intelligence lorsqu’on lui donne carte blanche. Il faut maintenant considérer ce petit bonhomme comme un des plus grands du cinéma moderne.
Premier coup de génie du film : ce vrai « The World », parc de représentations modèle réduit des grandes cultures mondiales, Manhattan, les Pyramides, la tour Eiffel mais aussi des arcades façon Place des Vosges, une maison traditionnelle japonaise, etc… Un petit train ballade le couillon au milieu de tout ça, il y a aussi une salle de spectacles folkloriques, restaurants et tout le toutim d’un Disneyland. L'actrice-compagne de Jia Zhang-ke, Zhao Tao avait travaillé dans ce parc et ainsi raconté son sentiment : « C’est comme vivre dans la folie ». Car « Le Monde » auquel a accès la plupart des chinois, n’est que celui de ce parc, un mensonge avec une belle façade. Clandestinement, ils ont ceux du numérique, internet, DVD, téléphone portable, ces petits échappatoires dans lesquels s’enfermer en même temps que s’évader. Ouverture/fermeture, réalité/imaginaire, rarement ces oppositions basiques elles ont été si subtilement entremêlées.
Dès le début, tonitruant, Jia Zhang-ke nous plonge dans les coulisses du parc à travers une actrice/danseuse multicarte, Tao, qui joue des archétypes d’habitants du monde, tantôt une danseuse du ventre, tantôt une noire. Elle sort avec un des vigiles du parc, Taisheng, qui ne la respecte pas et reconnaît ne pas être fidèle : une évidente métaphore du pouvoir. Chacun reste un continent inconnu pour l’autre, ils ont peur de s’unifier. Tous deux sont venus de la campagne pour trouver un travail dans le Pékin qui prépare l’accueil en 2008 du monde, le vrai. Le film raconte toute l’épopée des travailleurs venus construire et peupler la capitale en quelques plans, quelques personnages immédiatement touchants. Chaque élément du film prend sens lorsqu’il est mis en relation avec un autre. Chez Jia Zhang-ke, les décors parlent souvent plus que les habitants. Ici, l’imposant décorum des spectacles et du parc « The World » portent un message politique cinglant : ils sont là pour faire oublier au peuple qu’on lui construit un temple du capitalisme encore plus grand, auquel il n’aura pas accès.
A l’intérieur du dispositif « The world », les personnages de The World ont une vie riche de ces contradictions qui rendent notre « world » passionnant. Taisheng rêve d’une autre qu’il n’atteindra jamais : Qun, une styliste du Pekin branché, qui a un mari dans notre Belleville (photo devant le Royal Président à l’appui !). Tao est l’inverse de Qun : elle rêve de partir mais à peur de s’engager dans l’inconnu, alors le monde extérieur ne reste pour elle qu’un fantasme. Elle n’a accès qu’à des leurres. Elle est amoureuse de l’ordre, son vigile, mais ne sait pas pourquoi. Elle se sent proche d’une russe paumée recrutée pour faire d’abord la danseuse, puis la call-girl, pourtant elles n’ont pas un mot en commun. Adorables scènes de communication multilingue, puis immense moment de retrouvailles en larmes. C’est nouveau chez Jia Zhang-ke : on chiale vraiment. Le mélo n’est plus mis à distance, il surgit et faire trembler le film. Autre révolution, de l'humour. The World fourmille de subtiles idées comiques, ainsi des titres de séquences qui parodient les dépliants publicitaires.
Mais la plus grande surprise c’est évidemment l’irruption de séquences d’animation, une narration en parallèle qui décuple la richesse thématique du film. Jia Zhang-ke s’est libéré, a assoupli la rigidité qui pointait dans Plaisir Inconnus mais sans perdre non plus son exigence du cadre et de la durée des plans. Il réorganise, pour encore plus de justesse, du réel, de l’improvisation, du naturel. L’équipe de The World a d’ailleurs passé 2 mois à vivre ensemble et Jia Zhang-ke s’est inspiré des petites histoires de la comnunauté pour nourri le film. Manipulateur ? Oui, mais tout le monde en sort grandi. Il faut souligner à quel point l’image en scope est somptueuse, mais aussi qu’on avait jamais vu une vision aussi ample d'une ville. Les acteurs, déjà particulièrement élégants, sont magnifiés. Zhao Tao, compagne de Jia Zhang-ke, se sort bien de son rôle écrasant, avec son visage impénétrable capable de gracieux sourires. Enfin la ritournelle musicale, chatoyante, prend à chaque passage un ton différend avec les miracles du montage. Lors de la dernière séquence, la musique est enivrante, les costumes éclatants de blancheur, Zhao Tao sourit au public, et pourtant la désespérance est totale. Une lame de fond parcoure le film et submerge son épilogue jusqu'au dernier dialogue, un murmure dans le noir qui sonne comme un appel à l'explosion de tous les carcans. La réussite totale d’un projet aussi ambitieux et intransigeant dépasse largement la Chine, il fait du bien au cinéma. Notre monde a besoin de The World.
P.S. : la version plus courte de vingt minutes, plus abrupte et abstraite, n'a été finalement montrée qu'au festival de Deauville.