Une comédie sociale extrêmement drôle
Il est évident que
Femmes de Champions de Masumura n'est pas comme les autres. Plus décontracté, peut-être, mais aussi plus critique des moeurs courantes au Japon et des valeurs qui résistent mais qui tendent à se perdre du fait de la modernisation sociétale. Ozu l'avait bien compris, avec ses nombreuses chroniques familiales, ses mariages arrangés qu'il filmait en y apportant un regard à la fois ironique mais aussi particulièrement réaliste, Masumura dépeint à son tour cet univers. Le message qu'il tente de véhiculer se veut véridique et ce dernier annonce ses ambitions par un premier plan très documentaire dans son style puisque une caméra embarquée en hélicoptère survole la ville et ses habitants comme pour mieux les scruter, de manière scientifique. Second plan, le spectateur observe une cérémonie de mariage entre les mêmes membres d'une entreprise, sous le regard amusé et moqueur des convives. La cérémonie se veut moderne, sincère, sans manies ni obligations. On retrouve les nouveaux mariés trois semaines plus tard, dont l'une évoquant ses premiers pas avec son mari à l'une des autres filles à marier de la famille, la jeune Kyoko. Si le métrage de Masumura fonctionne à merveille, c'est parce qu'il apporte un véritable vent de fraîcheur à la comédie de moeurs nippone à la fois par son regard critique et résolument moqueur : chez le cinéaste, "les secrétaires ne sont qu'une version de luxe de l'employé", les femmes sont montrées comme calculatrices car voulant à la fois jouir d'une bonne situation sociale, et d'un mari élégant (ces dernières n'hésitent pas à le dire de vive voix).
Ceci dit, les vieilles valeurs peuvent ressurgir selon notre propre perception du film, puisque l'importance du mariage est tout de même évoquée avec une certaine assistance. Tout comme Ozu, les nombreuses séquences en intérieur, notamment dans les bureaux de l'entreprise, sont montrées comme des endroits de vie tout à fait quelconque, où l'on discute de tout. Certaines séquences se veulent même vraiment drôles, comme cette hallucinante scène du hoquet, ce mari pris en flagrant délit entrain de tromper sa femme et voulant à tout prix acheter le silence du témoin, ou ces petites phrases assassines d'une femme redoutable "J'invite, mais pas plus de 200 yens par tête". Ces femmes mesquines, selon la vision du cinéaste, pourraient se rapprocher des filles d'Ozu. Ces femmes modernes, dans le vent, vives et calculatrices au possible dans un film plus "libéré" voir "décoincé" apportent la plu value par rapport à un film d'Ozu, période couleur. Mais la comparaison s'arrête ici, Femmes de Champions est un véritable carrefour des coeurs permanant, où la jeune Kyoko suscite de nombreuses demandes en mariage de la part de ses collègues de travail. Universalité des thèmes? Possible. Le mariage, la famille, le travail mais aussi la corruption sont une fois de plus traités par Masumura (lequel glissera un terrible brûlot sur la corruption dans La voiture d'essai noire en 62). Et cette modernité est remarquable voir outrancière car le mariage de Kyoko s'arrangera autour d'une demie douzaine de bouteilles de bière, une modernité que l'on ressent aussi dans le cadre du film, très sixties dans l'âme où les jeunes filles et les jeunes hommes se donnent rendez-vous dans les bars de Rock A Billy, montrant ainsi les grandes influences occidentales. Et l'un des acteurs de reprendre dans un élan de rage "Sweet Heart Baby", encore une belle preuve de la vigueur et des contrastes du cinéma de Masumura. L'ensemble reste en revanche particulièrement cohérent, le film débutant et se terminant sur une cérémonie de mariage. On est encore très loin du Masumura provocateur, mais cette superbe comédie est un régal pour les sens.