Revoir The Sky Crawlers quelques années après la première fois permet de réellement mesurer la qualité du travail fourni. Certains pesteront peut-être sur le hiatus entre les séquences aériennes majoritairement en 3D et celles au sol où prédomine les personnages, et donc la 2D, mais finalement, outre que cela sert plutôt bien le propos du scénario, l'intégration des deux rendus se révèle finalement assez harmonieuse. Lorsque les personnages en 2D passent sous le nez de leur appareil, qu'ils conduisent les engins de piste - en 3D - on peut le constater, les deux rendus se marient très bien. Par contre, histoire de pointer la faiblesse technique du film, les modèles 3D concernant certains décors se montrent étonnament pauvres dans leur finition vu le standing de l'ensemble. Mais quelle claque que ces scènes de vol ! Pas seulement les batailles aériennes, ce qui s'est probablement fait de plus saisissant dans l'histoire récente du cinéma, mais toutes les scènes de vol. Et à l'heure où la 3D stéréoscopique façon Avatar tient le haut du pavé, après avoir bouffé de nombreuses productions y faisant appel, quel surprise de constater que la "simple" 3D de The Sky Crawlers, lorsque les avions volent avec en arrière plan un paysage fait de monts parsemés d'arbres, est dotée d'un effet de profondeur presqu'aussi saisissant. De quoi se dire que si jamais Oshii s'essayait à la 3D stéréoscopique, quelques réalisateurs hollywodiens légèrement surcôtés (et souvent connaisseurs du travail d'Oshii) trouveraient sûrement à qui parler...
Mais il serait injuste de réduire le film d'Oshii à quelques séquences aériennes, aussi impressionnantes soient-elles. D'abord parce que ce serait ne pas rendre justice à ces séquences justement, qui avec leur réalisation virtuose, nerveuse, aussi intense que réaliste, jouent parfaitemtent leur rôle de contrepoint (et il est là le sentiment de "hiatus", pas ailleurs) avec le reste du film, à l'ambiance plus dépressive, plein de personnages emplis de pulsions auto-destrutrices, errant comme des fantômes entre deux vols, deux combats. Au sol, le temps semble comme suspendu, les pilotes donnent l'impression, ont l'impression, souvent refoulée, ignorée, d'être pris dans une boucle temporelle ou hier et demain se confondent, où le seul temps de la vie, en opposition à celui de l'ennui entre deux missions, est celui de la mort, celui du vol. C'est aussi, voir surtout, ce qui rend les scènes de combat aussi percutantes, dramatiques. Le contexte de l'histoire - celui d'une chaire à canon génétiquement cultivée, condamnée à une éternelle enfance - tiré du roman original, est bien le prétexte qui a séduit Oshii pour nous filer sa parabole existentielle sur la jeunesse. Les combats aériens flattant quant à eux sa tendance techno-geek, ne lui en déplaise. Mais contrairement à ses films d'animation précédents, le réalisateur apporte de l'épure à sa façon de faire, mettant le frein sur son goût pour la citation et le discours métaphysique. Ici, les spectateurs vont se casser les dents sur les éléments de contexte qui leurs échappent - mais qui peuvent très bien se déduire, ça fait partie du plaisir du scénario que d'essayer - plutôt que sur l'interprétation du sens caché de chaque ligne de dialogue. En ce sens The Sky Crawlers est plus abordable : les personnages y sont surtout ce qu'ils font, pas ce qu'ils pensent. On ne sait d'ailleurs pas ce qu'ils pensent, le savent-ils eux-mêmes ? Et ils ne savent pas quoi faire, à part voler, c'est là tout leur drame d'êtres instrumentalisés.
Finalement, si on se fie aux déclarations d'intentions d'Oshii (voir l'onglet "actualité" de la fiche), le vrai problème de The Sky Crawlers n'est pas son supposé "hiatus" entre 2D et 3D, entre des scènes d'action aériennes bandantes et des séquences au sol asphyxiantes, lourdes - après tout, après s'être envoyé en l'air il y a toujours le retour sur terre..., mais son vrai hiatus avec le public pour lequel le film a été réalisé, la jeunesse. Car quel que soit le message qu'ont veut lui faire passer, il faut avant tout lui parler son langage. Non, The Sky Crawlers n'est pas un film pour les jeunes, c'est un film qui parle des jeunes aux plus âgés, c'est un film où l'espoir n'y prend pas la forme de la révolte mais de la résignation. Peu importe, les deux attitudes sont humaines, les deux méritent leurs histoires.
"(...) dans The Sky Crawlers, Mamoru Oshii fait également appel au virtuel lié au cinéma avec ses deux personnages principaux aux noms issus de deux de ses oeuvres majeures, Jin-Roh et… Kusanagi ! Il n’y a pas d’équivoque possible. L’adolescent a le même regard perdu que le Fuse de Jin-Roh, et la jeune Kusanagi semble être une énième version distante du Major, un cyborg qui a depuis longtemps fusionné avec le Projet 2501 découvert dans Ghost in The Shell, ce fameux pirate cybernétique issu lui-même du net, du virtuel. On pourrait même penser que le monde de ce film a été créé par ce projet 2501 pour entretenir la vie de Kusanagi, prolonger sa raison d’être, ses envies par delà cet intellect largement renfloué qui ne suffit désormais plus à la belle. En cela, The Sky Crawler est Ghost in The Shell 3, ni plus ni moins, à savoir une conclusion en forme de remise en question de celle du premier film (1995) avec un projet 2501 bien présent dans ce The Sky Crawlers, à travers ce mécanisme géant d’une boite à musique posé là dans une pièce et qui fait sacrément écho à celui de GITS Innocence".
On aura beau trouver le chara-design des personnages de The Sky Crawlers quelque peu douteux, trouver le rythme étrangement négocié et la maigre trame principale essentiellement axée sur la réflexion un brin pesante (il faut dire qu’on ne rigole pas des masses chez Oshii), The Sky Crawlers arrive à imprégner des images et des séquences dans l’esprit du spectateur parce qu’il réussit à peu près tout ce qu’il entreprend dans les domaines abordés. Quatre ans après son dernier film d’animation, le très cérébral Innocence, Oshii persiste dans la réflexion, la présence d'un basset (sic), le questionnement, l’introspection de l’esprit tourmenté de ses personnages en focalisant essentiellement "l'action" sur la base aérienne et la ville. Un peu comme Full Metal Jacket qui mettait en image la guerre qu’en fin de métrage, accordant ainsi beaucoup plus d’importance à la psychologie des soldats et à l’univers terrible des camps d’entraînement, Oshii se concentre sur ce qui se passe sur terre et entrecoupe son œuvre de séquences aériennes en guise de nouveaux chapitres montrant la guerre créée par l'adulte. Les séquences parlées se suffisent à elles-seules, l’action pourrait très bien faire office de remplissage bien qu’un élément non négligeable, le fameux avion aux couleurs d’une panthère noire agressive, alimente les débats et motive les pilotes. Les œuvres de Oshii Mamoru ne jouent clairement pas dans la même catégorie que les œuvres engagées et poétiques du studio Ghibli, pas plus que dans celle des essais psychédéliques pondus par le Studio 4°C.
Plastiquement, que ce soit la SF d’un Ghost in the Shell ou d’un Patlabor, chaque réalisation du cinéaste peut très bien passer de la palette graphique au film live très facilement dans la mesure où les thèmes abordés et la réflexion qui s’y prolonge rendent encore plus légitime la présence de véritables acteurs dans un véritable film de cinéma. Il n’y a qu’à voir le profile du petit nouveau Yuichi ou celui de sa supérieure Suito pour se rendre compte à quel point l’animation est ici un prétexte à une certaine virtuosité. D’apparence premièrement, avec des séquences aériennes grisantes, tout simplement du jamais vu dans l’animation de combats aériens, donnant l’impression au spectateur d’être à 5000m d’altitude grâce à un rendu 3-D criant de vérité. En second lieu, la virtuosité est davantage stylistique qu’autre chose : le rendu des couleurs, le tain blafard des personnages, la présence récurrente de motifs sombres, tout contribue à mettre en scène d’une manière purement visuelle la vie un peu morne des aviateurs et d’exacerber leurs tracas. Ici, ils sont des gens comme les autres à défaut qu'ils se battent contre un "quelque chose", du flou. Ce ne sont pas des machines, encore moins des fantaisies de cartoon issues de l’imaginaire tordu de certains mangakas. On les voit passer du temps dans un café où s’organisent des rencontres avec des prostituées, on descend les bouteilles de vin dans des restos éclairés à la chandelle tandis qu’on allume clope sur clope. On lit le journal et on se tient au courant des informations grâce à des flashs télé en langue anglaise.
Réalisme, on cause aussi anglais lorsqu’on embarque pour le ciel. Non-réalisme, les Kildren sont à moitié humain. Yuichi tente d’en savoir un peu plus sur lui, sur ce fameux pilote considéré comme « le père », l’imbattable, le terrassant. Des envies de suicide aussi avec le personnage destroy de Suito, impeccable dans son costume, bien moins dans la vie de tous les jours, et c’est justement cette approche du genre humain qu’Oshii tente d’analyser par de longues séquences de discussion pompeuses, lassantes à force de philosophie, mais qui trouveront un semblant de réponse dans un climax éblouissant donnant tout son sens au film. C’est là toute la force de The Sky Crawlers, bien plus que sa parlotte ou sa mythologie qui tiennent tous deux le film sur le fil du rasoir, sa faculté d’éblouir par de cours instants de grâce (dont une sublime séquence où Yuichi raccompagne Suito trop ivre), par son score signé par un habitué conférant à l’émotion simple, aussi pur qu’un ciel bleu et aussi troublant qu’un rayon de soleil trop agressif. A l’image de ses personnages aux têtes de poupées de chiffon, The Sky Crawlers peut paraître repoussant au premier abord pour finalement s'en accaparer jusqu’à ne plus le lâcher, confirmant par la même occasion Oshii comme un cinéaste à part.
Note : il reste deux minutes de film après le générique de fin.
Note 2 : Oh qu'elles sont belles les captures ;)
Œuvre mineure dans la foisonnante filmographie d'Oshii, "Sky Crawlers" ne représente pas moins un aboutissement de toutes les thématiques déjà abordées dans ses précédentes œuvres. Et à en faire moins, l'intrigue gagne autant en mystère et en qualité, par rapport au trop-plein de son précédent "Ghost in the shell 2".
Car force est de constater, qu'il ne se passe rien – ou si peu de choses – dans cette adaptation de la série des romans écrits par Mori Hiroshi. S'il y avait un parallèle littéraire à tirer à l'œuvre d'Oshii (lui, qui aime tant les références culturelles), ce serait sans aucun doute au "Désert des Tartares" de Dino Buzzati: des personnages dans l'attente d'une bataille, qui n'aura jamais vraiment lieu. Ces longues attentes auront au moins pour conséquence sur les personnages d'en apprendre plus sur eux-mêmes…et justement, il semble planer plus d'un secret sur certains des "Kildren", sur l'organisation pour laquelle ils travaillent et les mystérieux lieux auxquels ils accèdent.
C'est d'ailleurs toutes ces zones opaques et mystérieuses, qui font tout l'intérêt du film. Tout le contraire d'une enquête, les détails se dévoilent d'eux-mêmes au fur et à mesure, à des moments où on les attend le moins. Jamais aucun des personnages ne prendra le devant pour en apprendre plus; toujours seront-ils dans l'expectative et attendront que les indices leur tombent tout cuit dans la bouche. Un sacré dynamitage en règle de la part d'un auteur (Mori), plus connu pour ses enquêtes policières, que pour ses visions d'anticipations.
Pourtant, c'est bien de l'anticipation, qu'il s'agit. Anticiper le mouvement de son adversaire, là-haut dans le ciel, pour tenter e s'en sortir vivant de la confrontation avec l'adversaire largement invisible. Pourtant, à terre, les personnages semblent comme figés dans leur manière de raisonner. Si bien que le spectateur pense toujours avoir une longueur d'avance sur ce qui va suivre…et pourtant rien ne va le préparer à l'incroyable révélation finale…
Une révélation, qui va parachever le film de constituer une merveilleuse réflexion sur le passage de l'adolescence à l'âge adulte avec l'attente et les attentes, les tendances suicidaires liées à l'âge, mais aussi le difficile apprentissage pour bientôt pénétrer dans un âge adulte impitoyable (les adultes se livrent une guerre), auquel on ne comprend pas toujours tout (les ordres d'attaque sont contradictoires…et puis d'abord: à quoi bon se battre ?). Dommage seulement, que Oshii ôte une part de l'imaginaire en explicitant clairement sa pensée dans une fin surajoutée en toute fin du film, après le défilement du générique.
Si Oshii signait là son premier film, on hurlerait sans aucun doute au chef-d'œuvre; en l'état, ça reste juste une putain d'œuvre d'un homme incroyablement lucide et éveillé sur le monde qui l'entoure.
Sky Crawlers, ou la triste impression d'assister à l'acte de décès d'un grand réalisateur bouffé par sa prétention et sa neurasthénie.
Je ne connais pas l'oeuvre originale, mais son auteur lui a bien lu 1984 et Les seigneurs de l'instrumentalité dont il reprend le traitement de la guerre (moyen de contrôle des masses et de maintien du statu quo dans l'un, réalisé via des combats rituels mis en scène façon gladiateur du ciel dans l'autre), saupoudrant le tout d'un zeste d'Eva (les "Kildren") et de Beautiful Dreamer (l'univers cyclique) pour rester chez Oshii.
Concrètement, cela nous donne un film de 2h durant lequel un groupe de jeunes pilotes rattachés à une base entourée d'une belle pelouse s'ennuie ferme entre deux missions contre des ennemis "officiels" mais non identifiés. Tous ces personnages semblent souffrir d'une profonde dépression chronique. Et je ne parle pas là de procrastination inquiète comme chez le jeune cousin de la Gainax. Non, ici on se contente d'errer comme des âmes en peine, clope et bière au bec, lâchant parfois quelques vagues sentences sur le sens ou le non-sens de la guerre.
Alors, les combats aériens sont magnifiquement filmés, mais en l'absence de tout enjeu, on s'en désintéresse assez vite et on regrette qu'ils n'aient pas été transplantés dans un film plus classique et efficace.
Le problème majeur vient de la gestion du temps par Oshii, qui semble désormais penser qu'il suffit d'étirer démesurément les scènes sans action et de diffuser son scénario minimaliste en menues allusions avortées pour faire intelligent. Malheureusement, c'est l'inverse qui se produit et contrairement à Ghost in the Shell qui savait engendrer la contemplation tout en gérant parfaitement son rythme (1h23!) et sans négliger de fournir les informations nécessaires au spectateur, cette morne plaine sous valium nous présente un horizon sans la moindre aspérité où fixer l'intérêt.
Il en ressort une chose: quand Oshii laisse libre cours à son nihilisme pathologique sans l'opposer à des barrières qu'il aurait au moins à surmonter ou démonter (la technologie et/ou l'humanisme selon le film), le résultat est affligeant.
Reste ce motif d'une jeunesse forcée à "jouer aux adultes" (la bière, la prostitution, les cigarettes et l'uniforme) tout en étant manipulée par eux, poussé ici à son paroxysme. Mais ce motif n'a rien de nouveau puisqu'il n'est autre que le point de départ et le paradigme qui sous-tend toute la production (pop)culturelle japonaise d'après-guerre. Tout juste le film le remet-il au goût du jour en nous montrant des jeunes péroxydés, aussi blasés que naïfs et vivant un quotidien sans fin qui pourrait bien être celui des jeunes freeters tokyoïtes (ainsi, plus que la guerre, c'est la situation actuelle du marché du travail au Japon et sa "nouvelle donne" qui frappe des jeunes n'ayant d'autre choix que de se "soumettre" qui semble constituer le vrai thème du film, au coeur du débat public actuel, comme le fait remarquer le héros volontairement aveugle à la réalité de son exploitation: "on est payés pour ca, c'est juste du business").
Oshii sur ce plan fait malheureusement preuve de plus de mépris que de compassion, et ne dépasse pas le bilan qui avait déjà été tiré en son temps par Anno ("you cannot advance"). Son film, en plus d'être prétentieux et méprisant, se révèle donc inutile.