kick rurik | 4.75 | Retour par la force |
Xavier Chanoine | 4 | Barbare et humaniste : le film de tous les paradoxes. |
drélium | 2.75 | Chiba is Chiba |
Ghost Dog | 2.75 | Sonny le messie |
Situé en plein après-guerre au Japon, Shaolin Karaté est un vrai grand bon film, probablement l'un des meilleurs de Sonny Chiba.
Doshin-So est un espion japonais en Mandchourie pendant la seconde guerre mondiale. Apprenant la capitulation du Japon, il s'élève contre ses supérieurs, maudissant la "lâcheté" de son pays. De retour au Japon, il se retrouve en prison pour avoir mutilé deux G.I.s ayant blessé un enfant. Libéré en secret par le chef de la police compatissant, il part se réfugier à Osaka, et y ouvre une école de karaté Shaolin. Mais les yakuza locaux créent des problèmes..
Inspiré d'une histoire vraie, le film, dont la mise en scène parfois théâtrale (plans fixes, personnages immobiles) est signée Suzuki Norifumi ("Le Couvent de la Bête Sacrée"), démontre notamment l'aptitude de ce dernier à filmer les combats de façon réaliste, efficace et excitante. Là où des plans 100% psychédéliques donneraient à rire des mouvements des combattants, les rendant irréels, la réalisation (même dans les moments les plus casse-gueule : caméra rotative filmant un saut par dessous..) s'arrête juste à temps pour garder la crédibilité à l'image : C'est du vrai, les mouvements sont réellement effectués par un Sonny Chiba beaucoup moins grimaçant, plus sobre et meilleur que dans Streetfighter. Plus gracieux aussi. L'ombre de Bruce Lee est effacée ici, et Chiba, charismatique, impérial en homme juste entouré du chaos, devient un personnage cinématographique à part entière. Sans posséder ce côté animal, cette menace dansante propre à Bruce, il se révèle néanmoins bien meilleur acteur que le petit dragon (avouons-le, ça n'est pas très ardu). Sa technique de combat, moins sautillante, est plus ferme, plus martiale, mais aussi plus humaine, plus accessible.
La période de l'après-guerre est l'occasion pour Suzuki de situer socialement et politiquement son film. C'est dans un Japon détruit et peu glorieux que Doshi-So évolue. Mais malgré tout son support au Japon pendant la guerre, notamment dans son combat contre la Chine, il rapportera du pays de Mao le karaté Shaolin : le japonais empruntera donc à la culture ennemie, preuve qu'il ne la méprise pas. Il sera même insulté pour celà. La question coréenne au Japon est également rapidement évoquée par l'intermédiaire d'un petit garçon pauvre pleurant dans une rue. Un homme lui demande pourquoi il ne joue pas au base-ball avec les autres enfants. << Je suis coréen, dit-il les larmes aux yeux. Si je veux jouer moi aussi, il faut que j'apporte MON gant et MA batte.. >>. Jeté dans un pays dont le racisme trouve en la personne des coréens des boucs émissaires pratiques (c'est encore parfois le cas aujourd'hui). Bien sûr, ceux qui passent pour les plus détestables sont les G.I.s américains, symboles de l'échec du Japon, de sa destruction et son asservissement. Ici, ils méprisent, consomment les japonaises pauvres se prostituant, et se font donc rosser par Sonny Chiba (qui risque pour ça la peine de mort). Ils ne font néammoins que passer à l'image dans un Japon ruiné, détruit, dans lequel les yakuza, profitant d'une police affaiblie et corrompue, et soutenus par les Etats-Unis en raison de leur anti-communisme (authentique), montent en puissance, achètent, détruisent, commencent un règne fort qui dure encore de nos jours.
Parfois inspiré par le cinéma italien des années 60-70 (certains cadrages, certaines ambiances, l'harmonica en ambiance sonore), Shaolin Karaté est un film d’action historico-social sur la quête de soi, la rédemption et l'équilibre entre force et morale, violence et amour. Dans un décor social post-apocalyptique, Suzuki Norifumi filme admirablement la genèse d'une renaissance.
Suzuki n'est pas Fukasaku. Sonny Chiba n'est pas Bruce Lee. Kikuchi à la musique n'est pas Tsushima (encore que). Mais quelle démonstration! Il y a dans cette entreprise une volonté d'assiéger le trône de la Toei par une quantité de moments de bravoure jusqu'ici insoupçonnés. La maison a bien fait de produire l'oeuvre déjantée de Suzuki, alternant séquences humanistes et d'autres carrément plus politiquement incorrect, dans le plus pur style de la démesure, de l'irrespect total des codes du genre de Suzuki Norifumi et de l'image véhiculée par Sonny Chiba et ses exploits inhumains -un paradoxe- dans la série culte des Street Fighter dont Shaolin Karate y pompera une partie de sa musique. Mais le plus intéressant dans le fond, c'est cette façon quelque peu originale et décalée d'y dénoncer toute forme de racisme (conflits Chine-Japon, le film débutant avec des affrontements en Mandchourie) et mettre en scène les rejetés de la société, en l'occurrence les orphelins squatteurs et les prostituées. On ne criera pas au pamphlet social de géni, ni au brûlot anti-militariste et anti-yakuza, mais la démarche prise par Suzuki afin de véhiculer ses idées, et d'idolâtrer son héros Chiba (un maître du Shorinji Kempo) est vraiment louable. Qu'importe si la vulgarité d'ensemble côtoie un humanisme bien présent, l'essentiel est d'y trouver tout ce qu'on aime du cinéma Bis d'époque, piochant un peu à droite à gauche tout un tas d'éléments appartenant notamment au cinéma transalpin.
C'est ainsi que Sonny Chiba trouve l'un de ses meilleurs rôles dans la peau de So Doshin, à la fois donneur de leçon, faiseur de moral, et distributeur de bourre-pifs à volonté, c'est toute la contradiction de son personnage qui y fait son charme. Son art martial est axé sur la défense, ses paroles respirent la non-violence, mais ses actes le sont moins. Vous ne serez donc pas étonnés d'y trouver moult séquences barbares, comme cette émasculation en quasi gros plan dont les restes sont donnés à un chien qui passe (car oui, il y a toujours un chien dans les environs, notamment pour une pareille dégustation). Des séquences moins craspeques que celles de The Street Fighter, dont l'impact est diminué par la grande variété de passages à la limite du larmoyant (les souffrances de la jeune prostituée, la relation d'amitié forte qu'il entretient avec ses enfants orphelins) qu'il est bon de noter, surtout lorsqu'on sait qui est aux commandes. Shaolin Karate est donc un film absolument formidable, bien ancré dans ces années où le cinéma d'exploitation tenait la barque dans le paysage cinématographique nippon. Pas aussi Pop qu'un Ozawa, pas aussi anarchique qu'un Fukasaku (même si sa mise en scène s'en rapproche grandement), l'oeuvre de Suzuki exploite les mécaniques propres au film d'action d'époque, bien aidé par une superbe bande-son aux notes Riz Ortolaniennes distillant ce savoureux parfum de Bis exploit' et ses envolées lyriques finalement palpables.
Un bon Chiba tout de même avec de la scène culte sanglante et des répliques psycho-lourdes qui valent le détour. Il manque toujours de combats mieux maîtrisés et d'un rythme constant qui éviterait de se perdre entre la réflexion humaniste de base et le déboîtage de bras en plastique en règle mais il y a de quoi se contenter et largement combler les amateurs du monsieur.
Shaolin Karaté (ne pas se fier à ce titre douteux) se distingue sur 4 points principaux :
- Des répliques immédiatement cultes, à commencer par la leçon de morale finale qui sous-tend l’ensemble du film : « Sans justice, la force n’est que violence. Sans force, la justice n’est rien ! ». Pas mal non plus, la découverte du sens du message laissée par Kiku après sa mort : « la force est nécessaire, mais l’amour aussi. Force et amour en même temps ! », ou encore après une bagarre avec des coréens dans un train : « nous sommes 80 millions de japonais, vous êtes 300 000, va falloir s’arranger pour vivre ensemble ». Mais tout cela n’est rien comparé à cette phrase qui tue sur place, balancée à la tronche d’un violeur de fillette : « c’est pas tes couilles qui vont faire la loi ! », juste avant de mettre en pratique cette théorie pleine de bon sens (et de bon sang…).
- Des scènes de combats d’une brutalité absolue qui, à force, en deviennent très drôles : coups de pied circulaires en pleine face, cassage ou sabrage de bras, démontage de mâchoires, tout y est, rappelant au passage les délires de The Street Fighter.
- Un Sonny Chiba en grande forme qui, sans être aussi charismatique qu’un Bruce Lee, permet au spectateur de s’identifier rapidement à lui avec un capital sympathie indéniable. Et puis, le complet « pancho-sandalettes », il n’y avait que lui pour oser…
- Une dimension sociale et historique intéressante : Chiba incarne un point de repère (courageux, juste et fort) qui redonne espoir et fierté à un peuple japonais défait et misérable, au beau milieu de la violence des yakuza et des MP. Quiconque suit ses préceptes de volonté et d’abnégation au travers de ses cours de karaté inspirés par les techniques chinoises est poussé à devenir un homme meilleur qui regarde l’avenir avec plus de confiance et de sérénité.
Le revers de la médaille, ce sont ces scènes parfois très mollassonnes entre 2 scènes de rixes, comme cette agonie pénible de Kiku ou ces histoires de yakuza peu passionnantes. Quant à la mise en scène de Suzuki, elle est malheureusement à l’emporte-pièce – ou au petit bonheur la chance, c’est selon – avec des cadrages, des zooms et des faux raccords parfois très discutables. On est loin de la réalisation haut de gamme d’un Couvent de la bête sacrée.