Ghost Dog | 2 | Trop incohérent |
Avec Shakti, Krishna Vamshi signe un film aux intentions louables qui ne manque pas de qualités. Prenant à rebrousse-poil certaines productions un peu trop roses bonbons de ces dernières années qui se concentraient surtout sur la jet-set indienne, il renoue avec la violence tant visuelle que psychologique de films comme Anjaam ou Koyla, tout en osant montrer une Inde cauchemardesque à la manière d’un Dil Se : on est plongé ici dans une région tribale dirigée par des chefs de guerre sanguinaires, où la police et l’Etat craignent tellement pour leur survie qu’ils n’osent piper mot et se font traîner plus bas que terre. C’est d’ailleurs un des points forts du film : être parvenu à créer une atmosphère véritablement oppressante et sans issue, surtout au travers des yeux de cette jeune mère de famille indienne, mais résidante canadienne naïve, qui n’aurait pas imaginé une seule seconde qu’un lieu pareil pouvait encore exister de nos jours.
On pense beaucoup à Jamais sans ma Fille à partir de la deuxième moitié de Shakti (la femme du Dieu de la guerre), tant le combat mené par Nandini pour récupérer son fils devenu trésor de guerre pour sa belle-famille est féroce. Ce personnage de femme forte est incarné par l’étonnante Karisma Kapoor qui trouve là un de ses plus beaux rôles ; elle trouve ici une grande complexité de sentiments à faire partager (joie, doute, rage, espoir, dégoût douleur,…). Face à elle, on découvre un Nana Patekar assez fabuleux en chef de clan sans pitié, rejoignant quelques grandes figures de méchants propres au cinéma indien, comme Amrish Puri ou Amjad Khan dans Sholay. Quant à Sanjay Kapoor, il est tour à tour convaincant en jeune père et très irritant lorsqu’il s’énerve en bégayant.
Shakti a donc des arguments pour lui. Arguments malheureusement sabordés par son propre réalisateur :
• Tout d’abord, Vamshi a le plus grand mal à tenir la distance réglementaire des 2h50 ; alors que son propos aurait largement pu tenir en 2 bonnes heures, il se sent obligé d’en rajouter à n’en plus finir pour rentrer dans la norme. Cela donne lieu à des scènes répétitives (je prends mon fils des bras de son grand-père, je le reprends, je le rereprends,…) et à d’autres qui s’étirent en longueur (la fuite maintes fois avortée de Nandini).
• Ensuite, Vamshi commet une grosse faute en opposant frontalement, de manière trop manichéenne, le modèle occidental au modèle indien : du début à la fin, l’image de cette magnifique villa canadienne paisible au bord de l’eau vient se confronter à l’aspect moyenâgeux et sous-développé de cette partie de l’Inde ou le Chef règne en maître absolu sur sa tribu et où la démocratie n’est qu’une vaste blague. Et l’on se surprend à se dire que, diable, on est quand même bien en Occident quand on voit tous ces sauvages s’entretuer…
• Enfin, Vamshi multiplie les incohérences énormes (Shekhar, victime d’un attentat à la voiture piégée, en ressort sans une égratignure avant de courir comme un lapin / Jaisingh, lui, se prend une balle dans le dos mais déconne toujours autant avec la cigarette à la bouche), et succombe aux sirènes des effets de mise en scène désastreux, notamment ces horribles ralentis matrixiens totalement hors de propos : voir un coup de pied retourné hyper-ralenti de Shahrukh en plein cauchemar carcéral et oppressant, c’est un peu comme si Martin Luther King, en pleine allocution de son célèbre « I have a dream », descendait subitement son pantalon et montrait ses fesses à l’assemblée… Je vous laisse imaginer l’effet.
Au final, une grosse déception car le potentiel d’un grand film était là, mais il est bêtement gâché par un réalisateur incohérent avec lui-même.