Anel | 4 | |
Ordell Robbie | 4 | Le Théâtre de la vie |
Ghost Dog | 1.5 | Chiant comme un dimanche pluvieux chez grand-mère. |
Après la magnifique fresque de l'intime La Cité des Douleurs, Hou Hsiao Hsien offre avec Le Maître de Marionnettes ce qui pourrait s'apparenter à un faux biopic de Li Tien Lu, marionnettiste/trésor national taïwanais. S'il est moins constamment touché par la grâce que son film précédent, ce film s'étendant du Taïwan du début du siècle occupé par la Japon à la reddition du Japon en 1945 vaut pour un dispositif reflétant aussi bien le rapport d'Hou Hsiao Hsien à l'histoire de Taïwan, l'essence de son art de cinéaste que le souvenir en action.
En révélant via une voix off dite par Li Tien Lu lui-même que ce dernier prit de force comme nom celui de sa mère, le film pose dès le début son sujet: l'histoire d'un pays ayant vécu sous le joug de la Chine et subissant désormais l'impérialisme culturel et de fait du Japon. La période historique évoquée précède celle de La Cité des Douleurs et correspond à une durée temporelle plus ample. C'est d'abord par les scènes de vrai théâtre et de théâtre de marionnettes que s'incarnent la question de la façon dont un patrimoine culturel peut survivre au cours du temps. Car alors que ces scènes répétées au cours du film représentaient des situations héritées de la tradition chinoise le théâtre (de même qu'un Li Tien Lu travaillant pour les Japonais pour survivre à une époque où les représentations en plein air sçont bannies et donc collaborateur de fait) se met pendant la guerre à représenter l'image du Japon en guerre, de ses valeurs que veut donner la puissance occupante. Ou comment la tradition survit en se retrouvant détournée, provisoirement privée de son essence. Mais la manière dont le théâtre déforme la réalité historique de son temps peut être placée ici dans une perspective plus large. Car ici la voix off du vrai Li Tien-lu de même que les passages où il parle à la caméra ne sont pas seulement en décalage avec la narration montrée à l'écran. Ils différent parfois de ce que l'on voit, faisant ainsi ressentir la façon dont le souvenir peut déformer la réalité vécue. Comme si un passé taïwanais n'était pas mort, pas passé mais quand même transformé par ceux qui en sont la mémoire (ce qu'incarne de fait Li Tien Lu dans la culture taïwanaise).
Les interventions de Li Tien Lu face à la caméra n'ont d'ailleurs rien à voir avec une tentative gadget de brouiller la frontière fiction/documentaire. La théâtralité qu'elles dégagent fait aussi bien écho à son métier, aux scènes de théâtre qu'au regard d'Hou Hsiao Hsien cinéaste. Le dispositif d'Hou Hsiao Hsien se retrouve en effet pleinement chargé d'une portée culturelle révélée par les représentations. Cette lenteur rythmique, ce regard très à distance de ce qu'il voit fait écho à la situation du spectateur qui regarde ces théâtres réels ou de marionnettes. Mais en montrant aussi l'arrière-scène et ceux qui manipulent les marionnettes Hou Hsiao Hsien renvoie à une vision de l'histoire comme quelque chose que les hommes subissent, quelque chose semblant contrôlé par une puissance supérieure. Les rares zones lumineuses au milieu d'intérieurs obscurs renvoient eux à la soif de survie des protagonistes dans ce tumulte historique (on pourrait aussi voir en cela un écho à l'insularité de Taïwan). Tandis qu'à la fin d'un grand bloc narratif le son baisse et la transition se fait via des fondus au noir comme si chaque "zone" de souvenir devait s'effaçer devant l'autre. L'effaçement, c'est aussi ce qui dans le dispositif de Hou Hsiao Hsien donne sa force à quelques-uns des plus beaux moments du film. Mettre la caméra à grande distance des acteurs et du décors, c'est permettre pour le cinéaste au plateau d'être un véritable lieu d'intimité pas parasité par l'artillerie de filmage. Et permettre à une situation de se déployer dans toute sa richesse humaine. Les passages concernant Li Tien Lu et la prostituée (arpentant d'ailleurs le territoire sur lequel Les Fleurs de Shanghaï éliront domicile) nous rappellent le meilleur du cinéma de ses débuts: révéler ce qu'il peut y avoir de riche humainement dans le fait de parler dans une obscurité altérée seulement par un petit éclairage à une femme qu'on désire, dans un petit rituel d'échange de cigarette avec cette dernière, dans un moment où l'on "joue" avec sa partenaire.
Bien avant qu'un Good men, good women tente de donner un ancrage dans le Taïwan contemporain à sa tentative de solder les comptes de l'histoire de Taïwan, Hou Hsiao Hsien lui offre un second chapitre réussi avec ce Maître de marionnettes fort justement récompensé à Cannes en son temps.
Le cinéma de Hou Hsiao Hsien tente de décrire les conséquences que peuvent avoir un régime gouvernemental ou des évènements importants pour l'Histoire d'un pays en se bornant au point de vue d'une famille. Il a choisi de relater la vie de Li Tien Lu, grand marionnettiste Taiwanais, à travers ce docu-fiction qui lui confère une authenticité indiscutable, entre 1910 et 1950 grosso modo, c'est-à-dire en abordant indirectement l'occupation japonaise puis leur départ après 1945. Caméra vissée au sol avec tout un tas de techniciens qui veillent à ce qu'elle reste bien fixe durant le tournage à tel point qu'on a mal pour elle lorsqu'elle entreprend le moindre panoramique, son film peut commencer...
J'ai beau faire des efforts, j'ai vraiment du mal avec HHH. Je n'arrive pas à me passionner pour ses films, ni même à m'intéresser un peu. Il faut dire que ce dernier y met tout son coeur en choisissant volontairement des angles de vue très éloignés de ses personnages ou bien en les plaçant dans des embrasures de portes, ce qui limite le champ de vision du spectateur, afin de proposer un regard détaché et forcément plus objectif sur les évènements. Personnellement, je ressens plutôt ça comme une volonté peut-être inconsciente de ne pas se confronter à l'action en préférant filmer de loin, comme tapis dans l'ombre, en cachette; je ressens plus de la peur que de l'objectivité, peur de révéler au grand jour les faits marquants de l'Histoire de son pays. C'est sans doute pour ça que je n'accroche pas.
Les pires moments du film restent les interviews du vieux marionnettiste, qui dévoile sa vie intime sur la place publique en étant persuadé qu'il intéresse tout le monde. Mais en l'écoutant raconter longuement comment il avait enterré sa grand-mère dans les années 20, je n'ai pas réussi à répondre à la question cruciale "qu'est-ce que j'en ai à foutre??"... Ce film a reçu le Prix du Jury à Cannes en 1993, sans doute parce qu'il est de bon ton d'écouter au garde-à-vous les anciens narrant leurs vies. Pour ma part, je préfère prendre un bon bouquin d'Histoire de Taïwan dans lequel j'en apprendrai 10 fois plus sur ce pays qu'en regardant ce film soporifique et interminable.