Ordell Robbie | 3 | Des qualités solides mais rien d'aussi marquant que les GOSHA années 60-70. |
Xavier Chanoine | 3.75 | Sombre destin |
Gosha Hideo réalise avec La Proie de l'Homme l'une de ses dernières grandes fresques adaptées d'un roman de Miyao Tomiko, écrivaine qu'il adapta trois fois au total, du maîtrisé Dans l'ombre du loup en passant par le mélodrame Yohkiro et jusqu'ici, oeuvre qui représente l'un de ses derniers grands succès au box-office nippon avant la réalisation du splendide Portrait d'un criminel dont la musique de Sato Masaru nous hante encore l'esprit des jours et des jours après et Tokyo Bordello réalisé deux ans plus tard (le véritable dernier succès de Gosha). Gosha se plonge une nouvelle fois dans l'univers des geishas et dans l'esprit désabusé d'un homme froid comme la mort, Iwago (Ogata Ken), ancien champion de lutte devenu proxénète. Gosha est un grand cinéaste, à n'en pas douter, mais la proximité qu'ont des oeuvres comme celles citées précédemment (en dehors du tout autre Portrait d'un criminel) peut laisser le spectateur quelque peu las du fait d'assister à trois films qui sont certes diamétralement opposés dans la narration et les rebondissements, mais qui prennent tous appui sur le monde des geishas, sur la froideur d'un père (Nakadai Tatsuya d'un côté, Ogata Ken de l'autre), sur les bouleversements intrafamiliaux, sur le destin funèbre des protagonistes tantôt des figures héroïques (Nakadai Tatsuya), tantôt victimes (Ikegami Kimiko) ou alors laissées à l'abandon face à leur sort (Toake Yukiyo). Dans la logique, aucune oeuvre citée n'est donc optimiste, bien que La Proie de l'Homme se termine de manière extrêmement désaxée par rapport aux deux autres adaptations de Miyao Tomiko, et le doute qui plane sur cette toute fin est l'une des grandes images désespérées de son auteur qui y inclura certains éléments purement autobiographiques, le cinéaste ayant eu quelques troubles familiaux peu avant le tournage. Alors à La Proie de l'Homme de faire office à la fois de divertissement très honorable doublé d'une vision désenchantée et anti-humaniste au possible de l'enfance, de la femme et de la pègre japonaise, bien que ce dernier facteur soit traité de manière sous-jacente à l'idée de base car le film de Gosha est un pur mélodrame comme les grands cinéastes d'après-guerre pouvaient réaliser, et Gosha dynamise son récit par la présence d'éléments narratifs extrêmement intéressants : sauter les années n'est pas un problème, le film se déroulant sur une grosse vingtaine d'années où l'on voit défiler et vieillir la population qui nous est désormais familière.
Il y a d'abord la venue des enfants, adoptés par Iwago et Kiwa, cette dernière ne pouvant avoir d'enfants du fait de sa stérilité. Dès l'apparition de la petite inconnue du début, achetée par Iwago afin d'empêcher son "propriétaire" de l'envoyer en Chine pour qu'on lui prélève ses organes (sic!), on sait que la petite va être vouée à camper le rôle de geisha (surtout après la vision des deux premières adaptations de Miyao Tomiko), tout comme ses futures adoptions. Iwago est un proxénète -zegen en japonais- et n'a donc en principe pas de coeur, fait vérifié tout au long du film, ce dernier multipliant les conquêtes et les tromperies avec une vitalité assez peu commune, se fichant éperdument du sort de son épouse légitime. Pourtant, Gosha casse les codes établis de son oeuvre en toute fin de métrage, clairement l'un des meilleurs moments du film, en laissant planer le doute quant à une possible repentance d'Iwago lorsqu'il brise le verre des tableaux attachés au mur de sa maison. C'est pour cela que La Proie de l'homme et l'un des meilleurs films de Gosha (dans sa veine romancière et drames en costumes), car ses thèmes sont troublants et l'issue n'est jamais clairement établie (à la différence d'un Yohkiro qui appuie de manière trop prononcé la maladie de Momowaka et ce bien avant son décès). De plus, le film jouit d'une mise en scène à la beauté troublante, annonçant les travellings avant à la Tarkovski d'un Portrait d'un criminel -à quand une édition DVD digne de ce nom?- et les images de Morita Fujio ne sont jamais ratées malgré le nombre de plans séquences dans le pur style d'un Mizoguchi, mais le fait d'étirer les plans ne tend pas forcément à l'ennui (comme pouvaient l'être certains Mizoguchi). De plus, la musique de Sato Masaru apporte suffisamment de fraîcheur à ces images pleines de charme et de sombre volupté, le jeu sans nuance d'Ogata Ken surprend par sa dimension inhumaine, seuls les filles (enfants et jeunes adultes) semblent être la seule source d'humanisme dans un film où l'on ne fait que souligner la cruauté de l'homme.