La possibilité de voir en ligne le premier épisode de cette série (ici) et les nombreux extraits des épisodes en cours de diffusion au Japon disponibles sur le site officiel nous permettent déjà de nous faire une première impression de ce que nous réserve cette série : une tenue technique et une direction artistique de haute volée ainsi qu’une ambiance mystérieuse et trouble parfaitement maîtrisée.
La première des choses qui interpelle le « spécialiste » est la présence de Ando Masashi au poste de character designer. Quand on connaît la trajectoire de ce dernier, formé à l’école Ghibli, il est assez surprenant de constater avec quelle harmonie sa « patte » se marrie au style de Kon Satoshi. Le mélange d’un design rond (à la Ghibli justement) pour le personnage principal de Tsukiko (la jeune fille qui subit la première attaque du garçon à la batte de base-ball en or) ou la mystérieuse vielle sans-abri par exemple, et la galerie de personnages aux physiques bigarrés -plus dans le style de Kon comme le cas du « fouineur » du premier épisode- qui sont appelés à jouer un rôle dans la série, installent d’emblé une certaine ambiguïté dans le ton, ambiguïté qui fait échos aux « visions » de Tsukiko qui voit sa peluche –hyper kawaï, la dame est designer justement- lui parler...
Un décalage entre la forme et le fond qui se retrouve aussi dans le traitement musical orchestré par Hirasawa Susumu, déjà responsable du score de Millennium Actress, qui dès le superbe générique d’ouverture participe à l’ambiance décalée par un traitement musical « mi figue, mi raisin » (une chanson enlevée) vu le sujet ; option reconduite dans le générique de fin avec une ritournelle à priori enfantine mais recelant des accords inquiétants. Enfin la façon dont est utilisée la musique, dans le premier épisode du moins, est toujours judicieuse et dynamise bien certaines séquences.
Toujours dans le registre de la direction artistique on ne peut pas manquer de remarquer l’extraordinaire qualité et réalisme des décors, naturels comme dans l’opening ou urbains dans le reste de la série, qui font une des marques du style Kon. Nul doutes que le réalisateur a fait fructifier ici son énorme travail sur Tokyo Godfathers (sa conférence sur la question aux nouvelles Images du Japon 2003 en témoigne) car on décèle sur ce terrain peu de différences dans la finition avec le film précisément. Et comme selon le monsieur des arrières plans réalistes et réussis sont une des conditions de l’impact d’un anime, on peut espérer le meilleur pour la suite de Paranoïa Agent. D’autant que l’animation, pour parler un peu technique, est irréprochable pour une série TV et en tous les cas supérieure à ce que proposait Perfect Blue...
Plus qu’à faire confiance aux talents, confirmés, de metteur en scène de Kon et on tient probablement là un des meilleurs moments de TV de l’année... au niveau mondial. Eh ouais, rien que ça !
Actuellement nous ne savons pas si les droits de cette série ont atterri en France ou en Europe mais il serait étonnant que personne ne s’en soucie vu sa qualité et la réputation du réalisateur. Aux Etats-Unis il semble que ce soit Geneon Entertainment qui détient les droits de distribution.
En Angleterre la bbfc (British Board of Film Classification... la censure quoi) a zigouillé une minute et vingt secondes de l'épisode 8 "Planning familial" du troisième DVD (Z2 UK) de la série Paranoïa Agent pour la raison suivante: on y voit une gamine en train d'essayer de se pendre. Précisions de la bbfc: "Nous avons pris en compte l'avis d'un expert sur cette scène et continuerons de supprimer ou réduire des scènes de pendaison si nous pensons qu'elles présentent les dangers sous un faux jour. Dans le cas de cette oeuvre, la scène était représentée d'une façon comique particulièrement inacceptable."
Dommage, en l'occurrence il s'agit d'un épisode clef de la série doublé d'un court-métrage extrêmement courageux ayant choisi d'affronter frontalement les vagues de suicide au Japon. En résumé et pour spoiler un peu: trois personnes se rencontrent sur le net: une enfant, un adulte et un vieillard (trois générations), tous ayant choisi de se suicider ensemble. L'épisode les montre ainsi rater tour à tour leurs tentatives de suicide pour, au fur et à mesure, s'attacher les uns aux autres et ainsi reprendre goût à la vie. Cette fameuse scène de pendaison n'aboutit donc pas mais rend réel le monde décalé dans lequel ils "vivaient" tous les trois jusqu'ici, un univers complètement faux qui n'est pas sans nous rappeler les errements chtarbes du personnage joué par Marie Gilain dans L'appât de Bertrand Tavernier. A l'heure où hordes d'animés exacerbent les faux-fuyants en tout genre, que ce soit ce bijou lucide de Satoshi Kon qui s'attire les foudres de la censure, c'est à n'y rien comprendre. Ajoutons à cela l'actualité changeante en matière de téléchargements sur Internet, une disponibilité gratuite et intégrale en cours de mutation (cf. cet article sur DVDRAMA) à opposer à ce type de support DVD censuré et... payant. Croisons les doigts pour que ce genre d'aberration ne survienne pas de si tôt en France.