Sonatine | 2 | Lent, lent, trop lent ... |
Xavier Chanoine | 2.75 | Un film très inégal valant pour quelques instants irréels |
Le film démarre : Nous voila plongés dans une luxuriante forêt thaïlandaise, un long plan séquence nous ballade à travers les troncs d’arbres, les feuillages. Soudain, les hurlements d’une femme viennent perçer le silence ambiant, elle tente vainement d’échapper à ses ravisseurs. La caméra s’éloigne de nouveau (on devine le plan subjectif) et on retrouve les deux criminels, étendus dans un lit de rivière, mort.
Ainsi s’ouvre Nymph de Pen Ek Ratanaruang, et d’emblée le ton est donné, le film sera lent et la caméra se déplacera tel un boa pachydermique au milieu d’une histoire d’esprit qui pourrait faire frémir plus d’un. En fait non, ce film ne fera peur à personne et pour être tout à fait honnête cela ne semble pas être les préoccupations du jeune auteur. Loin d’être une énième histoire de fantômes façon The Ring (1999) (Zero Bis Versus Code Veronica ….), Nymph se concentre sur l’histoire d’un couple qui se déchire et sombre peu à peu dans la folie. Rien de condamnable en soit, si le réalisateur n’avait pas choisi une mis en scène paresseuse et un peu facile.
On lisait ça et là que le dernier Pen-Ek Ratanaruang n’était pas génial. Il divise tellement que la sensibilité du spectateur peut faire la différence à tout moment. D’ailleurs, le cinéaste aussi peut faire la différence n’importe quand, on appelle ça le talent. Car autant le dire très vite pour être débarrassé, Nymph n’est pas un grand cru de la sélection cannoise, ni même de son auteur. Il met en scène un couple, Nop et sa femme May, tous deux partis dans la jungle afin d’y réaliser un reportage-photo, le mari étant un grand passionné de photographies. En revanche, May ne semble pas très motivée quant à l’idée de camper dans la jungle, de plus la relation qu’elle entretient avec son mari est extrêmement fragile, ce dernier confiera d’ailleurs qu’il aura négligé son couple à cause du travail, et May, d’aller voir ailleurs, chez son patron. Après Ploy, le cinéaste replonge dans la cassure du couple, motrice de la narration, et l’utilise pour poser le film sur les rails du fantastique : c’est par le travail (et donc, l’élément qui brise le couple) que Nop et May vont se rendre dans la jungle, un voyage qui s’annonce plus étrange que prévu.
Ce n’est pas seulement la forêt pénétrante qui passionne tant Nop, amateur de clichés. Non, ce qui attire son attention plus que tout, c’est cet arbre. De forme étrange, il semble presque habité par un esprit. Est-ce le cas ? L’introduction (un plan-séquence démentiel de plus de cinq minutes parcourant la forêt en long et en large) montre une jeune femme se faire attaquer et sans doute violer par deux brutes. Il s’est passé quelque chose en hors-champ puisque deux minutes plus tard, les corps des deux hommes gisent dans l’eau, inconscients, morts. Mais quid de la jeune femme ? Son esprit s’est-il réincarné dans cet étrange arbre, celui qui semble attirer Nop dans un tourbillon d’amour qu’il ne connait plus depuis un bout de temps, jusqu’à le faire disparaître de la Terre ? A nouveau, le cinéma de Pen-Ek Ratanaruang mêle irréel et réalisme, offrant ainsi des moments hypnotiques revoyant l’intérêt du film à la hausse : le rythme, d’une lenteur quasi complaisante, est un de ses points noirs et mettra à mal le courage même des plus endurcis. Assurément le film le plus lent de son hauteur, et paradoxalement l’un des plus exigeants dans la mesure où, au-delà de la structure très simple de son récit, Nymph aligne les séquences inutilement trop longues avec une nonchalance pas possible. Le réalisateur semble trouver un malin plaisir à imager la lassitude de May à coup de caméras errant autour de son couple, fragiles, presque dépressives. Et à l’image de Ploy, on retrouve une scène de pleurnicherie dans une salle de bain, l’infidélité traitée en filigrane, un élément perturbateur (Ploy dans…Ploy contre l’arbre mystique ici) et le sens de la rupture.
Vitamine du cinéma d’auteur thaïlandais, celui qui perce en festival, l’imprévisible fait partie des éléments qui font la différence. Aussi bien chez Pen-Ek que chez Apichatpong, un évènement vient très souvent en cours de métrage secouer quelques fondations bâties sur une lenteur «marque de fabrique », et ce Nymph que l’on aurait aimé détester (ce serait une première dans le cinéma de Pen-Ek Ratanaruang) prend le dessus , rappelle au spectateur qu’il sait être admirable le temps d’une poignée de séquences marquantes : l’introduction d’abord, si longue que l’on est obligé de crier au sal géni, la disparition de Nop, ou encore la nymphe le « dévorant » dans ses racines sont autant de moments de vraie intensité, permettant à un film globalement feignant de sortir la tête de l’eau par éclairs. Le reste n’est que brume, manque d’inspiration, et tendance à s’éterniser là où ce n’est pas nécessaire. Cette lenteur d’ensemble renvoie directement au personnage de Nop joué par l’anti-charismatique Jayanama Nopachai, auteur d’une performance médiocre. De son côté, Tempthanaporn « Gibzy » Wanida s’en sort bien mieux, forte d’une beauté tranquille et d’un charisme tel qu’il lui permet de véhiculer des émotions plutôt noires.
Formellement, le film est très inégal. On retrouve la patte du cinéaste dans ces plans à rallonge, ces quelques travellings hypnotiques, ce sens pour la durée censée faire ressortir de l’image tout son pouvoir irréel, malheureusement quelques tics pas bien utiles viennent gâcher l’ensemble, comme une caméra sur épaule vite fatigante lorsqu’elle est utilisée de manière artificielle (c'est-à-dire 80% du temps). A côté, Kawase Naomi filme mieux la nature. Mais rayon réconfort, le son est toujours aussi dément, le bruit du vent dans les feuillages, le courant de l’eau, tout participe à l’immersion malgré l’absence de sourdine chère à ses films depuis Last Life in the Universe. Au final s’il n’est pas mauvais, Nymph ne parvient jamais à être totalement convaincant, sans doute parce qu'il affiche une facette du cinéaste qu'on ne connaissait pas réellement, malgré de petits clins d'oeil. On est en plein dans la tambouille. Enfin, annoncé comme un film d’épouvante érotique, on y trouvera bien plus d’horreur dans un Vagues Invisibles qu’ici, et bien plus d’érotisme dans Ploy. Frustrant car au potentiel tellement fort, Nymph arrive pourtant à être captivant dans la manière dont il métamorphose ses personnages : May se rend compte qu’elle n’a pas assez profité de son couple au moment où son amant rompt avec sa femme et au moment où Nop (son spectre ?) réapparait sous la forme d’un homme, mais blindé de racines à l’intérieur (ses nombreux verres d’eau engloutis en sont un bon exemple). Mais si l’idée sur le papier est excellente, le traitement reste trop souvent en surface. Il serait tout à fait possible d’allonger la liste d’idées excellentes entachées par un manque d’inspiration, prouvant l’inégalité totale de Nymph, mais on s’arrêtera à ce constat : l’œuvre est fascinante, dérangeante, pénible et fatiguante. Rien que ça.