Un film de samouraïs humaniste, moderne et attachant
When the Last Sword is Drawn aurait pu marquer par ses ambitions vues nettement à la hausse par rapport à son confrère japonais Miike et son récent
Sabu de bonne facture mais souffrant d'un léger manque d'ambition, ces deux films restant bien au dessus des productions actuelles nippones tentant elles aussi de revisiter cette partie de l'Histoire du pays. Si la mouvance est actuellement à la surenchère de violence et de pathos histoire de faire plaisir au public des 13-18 ans visés, Takita Yojiro étonnera les amateurs de chambara classiques de par le côté fleuve de sa fresque, assumé, et sa narration de grande qualité impliquant moult ficelles scénaristiques déjà vues notamment dans ses nombreux flash-back, mais fonctionnant ici avec une belle justesse et dosage. Si l'on ne croit pas trop à l'histoire de Saito au début du métrage, débarquant un soir chez un médecin qui se révèle être en fait un ancien ami du fils de Yoshimura, l'un des compagnons de guerre de Saito durant la dernière ère du Shogunat, la suite vaut bien plus le détour. Belle reconstitution historique d'époque grâce à des moyens suffisamment importants pour que l'oeuvre ne tombe pas dans le sous-genre chambara en toc (là où un cinéaste comme Nakata en était proche avec
Kaidan heureusement sauvé par son aspect fantastique réussi), séquences de combat au sabre manquant de piment mais mises en scène par un artisan correct usant de la caméra sur épaule pour apporter un certain dynamisme, notamment dans un choix de plans plutôt moderne, surtout lors de la première confrontation.
Comme il est souvent le cas pour les cinéastes de chambara des années 2000, on y trouve de minis hommages, comme ce tout premier plan en grue faisant tout droit penser à ce que faisait Mizoguchi voilà cinquante ans, ce choix de présentation rappelant le travail de Misumi avec ces nombreux plans sur un pont, ces ruelles étroites submergées par des confrontations sanglantes (rappelant à moindre mesure Les Derniers Samouraïs, notamment par son contexte et les scènes finales où les samouraïs affrontent canons et fusils), le rapport d'amitié entre deux samouraïs que tout oppose : l'un est passionné par les ryos, l'autre cherche sa vocation première, la dignité et l'honneur. Si au final When the Last Sword is Drawn n'est pas une révolution, il permet de faire évoluer le genre par sa dimension "fleuve" évitant les longueurs et ce malgré sa longue durée, toujours bien rythmé, et si les symboliques lourdes ne manquent pas (long monologue de fin avant un hara-kiri, suicide d'une jeune femme avec son sang répandu sur des pétales de fleures...) et si la musique de Hisaishi n'est pas en adéquation avec les séquences violentes, il ne tombe jamais dans pathos exagéré malgré les risques sur le papier. A voir par curiosité.
The last samuraïs...
Film basé sur un roman de Asada Jiro When the last Sword is Drawn a d’abord fait l’objet d’une adaptation pour la télévision japonaise avant de se voir porté sur grand écran. Le serial de huit épisodes qui a rencontré un certain succès au Japon mettait en vedettes dans les rôles titres les acteurs Watanabe Ken et Takenaka Naoto, deux « monstres sacrés » en leur pays, le premier ayant acquis récemment une notoriété internationale grand public en figurant dans le casting du Dernier Samouraï de Tom Cruise. Pour le passage sur grand écran le casting change mais pas le standing de ce dernier puisque ce sont deux autres grands acteurs japonais qui reprennent les rôles principaux. Malgré cette différence de distribution la comparaison avec la vision hollywoodienne des samouraïs reste d’autant plus inévitable que les deux films prennent pour toile de fond la même période historique (la fin du 19ème Siècle) qui voit la fin du système shogunal/féodal, emportant avec lui la caste des samouraïs. Bien évidemment là où le véhicule pour le beau Tom se fait le chantre d’une vision exotique de la chose, le film de Takita Yojiro (primé trois fois aux Japan Academy Awards de l'année dernière) reste plus respectueux d’une certaine vérité historique et tente d’aborder la situation de l’époque dans toute sa dimension contradictoire à travers les trajectoires de deux personnages historiques, deux « loosers », symbolisant la fin d’une ère. L’héroïsme ne naît pas ici dans la gloriole de pacotille mais procède de la chute annoncée. L’amour supposé des japonais pour les figures héroïques condamnées y trouve donc tout son écho.
La structure narrative du film nous met ainsi directement dans cette perspective en jouant sur un système de flash-backs partant en amont des évènements narrés (les derniers instants du pouvoir shogunale avec la création du fameux Shinsengumi entre 1863 et 1869, un regroupement militaire de samouraïs, dernier rempart du pouvoir contre l’empereur). L’histoire part donc de la rencontre en 1899 entre le personnage de Hajime Saito (Koichi Sato), capitaine survivant de la période Shinsengumi, et d’un jeune docteur fils d’un proche de Kanichiro Yoshimura (Kiichi Nakai), autre membre des « Loups de Mibu » (nom donné aux samouraïs du Shinsengumi). A travers les souvenirs de ces deux personnages, de leurs deux perspectives, va se dessiner l’histoire de Yoshimura, samouraïs sans le sou dont la venue à la capitale est motivée par l’appât du gain. A travers les figures de Saito et Yoshimura ce sont deux façonx de vivre cette période dans la peau d’un adepte de la « voie du sabre » qui sont explorées, le premier n’ayant que mépris pour le second qui se complaît à monnayer tout ses services. Bien entendu les choses se révèleront en définitive plus complexes...
Grand moyens, belle reconstitution historique bénéficiant d’un score réussi « commis » par l’incontournable Hisaichi Joe, WTLSD (acronyme) est avant tout une performance d’acteurs tant le film tient dans la confrontation des deux personnalités. Sur ce point la composition de Nakai, sur qui repose en grande partie la réussite du couple des deux samouraïs, est quasi exemplaire tant elle restitue brillamment la complexité des motivations de son personnage, Sato étant amené à interpréter une figure plus monolithique et donc un cran en dessous dans la performance. Plus généralement c’est tout le casting qui trouve grâce pour rendre vivante cette période trouble de l’histoire du Japon. Ici les trajectoires personnelles croisent les évènements historiques mais la mise en scène sait toujours rester à bonne échelle pour nous maintenir dans une œuvre aux accents plus intimes que la farce hollywoodienne citée plus haut (mais pas aussi intimiste que l’autre film de genre sortie à la même période, Twilight Samurai). Si le spectateur japonais nage en terrain plus que balisé, le traitement qu’a choisi le réalisateur ne laissera pas pour autant les spectateurs occidentaux sur le côté et rien que ça, vu l’ampleur des évènements narrés, est déjà en soi une petite réussite.
Taxé parfois d’approche « novatrice » et « réaliste » lors de sa sortie au Japon, WTLSD ne marque quand même pas une révolution du genre jidaigeki et se situe in fine dans une filiation plutôt classique. C’est réellement le choix d’un ton crépusculaire - la narration en flash-back – qui apporte ce plus faisant une petite différence, mais pas le « schisme », avec ses grands aînés. Formellement le film tire son épingle du jeu en respectant d’ailleurs ce même classicisme, le réalisateur prenant ses distances surtout dans les quelques scènes d’action dont la superbe première séquence filmée en un seul plan au début aérien et nous amenant finalement au niveau des combattants. Les chorégraphies ne possèdent certes pas la fantaisie novatrice du Zatoichi de Kitano (et tant mieux à la rigueur, le ton ne se prêtait pas à ce gnre de fantaisies) mais bénéficient d’une excellente exécution, tous les acteurs étant plus que convaincants dans ces moments. Pour les amoureux de « swordplay » comme pour les amoureux de drame psychologique WTLSD ne peut que les contenter. A tous ces niveaux le film fait preuve d’une efficacité réjouissante qui étonne d’ailleurs les déçus d’un autre film du réalisateur Takita Yojiro, Onmyoji. Mais le monsieur nous prouve là qu’il sait surtout s’adapter à son matériau.
Ceci dit le film n’est pas non plus le chef d’œuvre qu’on aurait aimé voir. Si son classicisme en demi teinte fait sa force il est aussi une limite car adossé à l’histoire du genre comme il l’est, WTLSD ne peut non plus aller vers d’autres horizons. Mais plus que tout, ce sont les dernières vingt minutes qui dénotent dans l’efficacité dont avait su faire preuve la mise en scène, vingt minutes de trop, vingt minutes trop généreuses de leurs effets larmoyants, vingt minutes si démonstratives qu’elles font tâche au pays de l’ellipse, vingt minutes inutilement longues en regard de la structure en flash-back qui donnait déjà, en filigrane, l’ensemble des ingrédients, vingt minutes qui auraient pu se résumer en quelques plans, vingt minutes aussi lourdes à digérer que la phrase que vous venez de lire. Dommage, on n’est pas passé loin d’un très bon film.