Entre Radiguet et Forster
Très beau, très fin, très sensible ouvrage du vétéran Yoji Yamada (né en 1931), ce film nous propose un tableau précis du Japon militariste des années 1930 et des relations de classe entre maîtres et serviteurs. Un récit encadrant (et contemporain) met en scène le décès de la vieille Taki, que viennent enterrer ses neveux et nièces. Issue d'une famille pauvre, Taki avait été placée comme bonne, à la ville, pour servir la famille Hirai, qui habitait une incongrue maison au toit rouge. Ses héritiers découvrent le journal de la décédée, qui narre comment, à la fin des années 30, sa maîtresse était tombée amoureuse d'un jeune artiste, M. Itakura, qui faisait fonction de graphiste dans la société de son mari.
Le film a des tonalités pastel, qui vont bien avec son propos tendre et mesuré. Le constat des ambitions militaristes et de la folie nationaliste qui allaient précipiter le Japon dans la ruine est présenté avec autant de subtilité que l'éveil de la passion amoureuse chez la belle Mme Hirai (interprétée avec maestria par la belle Takako Matsu) ou les sentiments contrastés de sa jeune servante, partagée entre fidélité envers son employeur, honte envers son adultère et, peut-être (le film est délicieusement ambigu), amour pour le jeune Itakura. Même le personnage, qui aurait pu être caricatural, de la confidente lesbienne de Mme Hirai est introduit avec grâce et délicatesse.
Le seul point faible du film tient au casting de l'amant (Hidetaka Yoshioka), qui est à l'évidence trop âgé pour le rôle, n'est guère beau (me dit ma femme, à qui je laisse la responsabilité de ce jugement), et qui, de surcroît, est dirigé de manière à apparaître le moins viril possible. Ce qui affaiblit le propos de ce très beau film.
PS : La grande Takako Matsu est la voix d'Elsa dans la version japonaise de La Reine des neiges. Eh oui, c'est donc elle qui casse les oreilles des parents des petites nippones avec l'universel "Libérée, délivrée" (pardon, "Ari no mama no").