Her left eye sees ghosts...and it sucks
Johnnie To s'autorise une petite pause romantique entre deux trois projets fous (Triangle, Mad Detective, The Sparrow qui traîne...) tous plus ou moins éloignés du thème de Linger, oeuvre très classique lorgnant du côté du fantastique et de la romance pure. Yan est une étudiante tout ce qu'il y a de plus normale, supporte Dong, un basketteur à succès auprès des filles. Quelque peu jalouse, une dispute éclate entre eux deux, Yan fini par s'enfuir en voiture et Dong se met à la poursuivre en moto. Malheureusement, en voulant savoir si Yan l'aimait, Dong ne fait pas attention à une camionnette qui lui barre la route et l'emmène percuter une voiture. Dong décède sur les lieux de l'accident, laissant Yan bien seule. Trois ans plus tard nous retrouvons Yan qui travaille pour un cabinet d'avocat, elle suit une thérapie auprès de son médecin qui lui prescrit des calmants puisqu'elle n'arrive visiblement pas à oublier l'accident ou du moins oublier l'amour qu'elle éprouvait pour Dong. Un beau soir, étendue sur son lit, elle pense avoir une hallucination lorsque le cadavre de Dong apparaît à ses côtés. De retour parmi les vivants, Dong n'a pas oublié ce qu'il s'était promis de savoir voilà trois ans déjà : est-ce que Yan l'aime? Avec un tel postulat de départ, il est évident que Johnnie To, à contrario de ses films calibrés pour un public amateur de fusillades et de règlements de compte, ne va pas se mettre tout le monde dans sa poche avec cette réalisation d'une mièvrerie assez hallucinante. Le fait que chaque scène soit accompagnée par la belle -mais pompeuse- musique de Guy Zerafa empêche le film de gagner en tension, ce qu'il perd finalement en réalisme. Combien de mélodrames réussissent à être touchants parce qu'ils visent juste et n'en font pas des tonnes? Linger c'est à peu près l'opposé de tout sentimentalisme touchant, Vic Zhou et Li BingBing assurant leur boulot de simples acteurs pour minettes tandis que Wong Yau-Nam cabotine à mort dans le rôle d'une petite crapule désireux d'aller plus loin avec Yan, laquelle refusera ses avances de minot.
L'oeuvre de Johnnie To est aussi très linéaire, les apparitions de Dong se faisant de manière quasi synchronisées avec les moments où Yan peut souffler (sauf lorsqu'elle fait son jogging nocturne en compagnie de ses parents) et se résument au schéma boulot, pause, apparition à peine rendus plus dynamiques par la sous-intrigue avec le père de Dong offrant quelques beaux moments de souvenir mais ces moments sonnent bien trop creux pour jouer dans la cour des grands mélodrames. On sent la faible implication de Johnnie To dans ce projet dont l'écriture est confiée à Ivy Ho et il faut attendre le dernier quart d'heure pour trouver un quelconque intérêt au film : la correspondance des accidents de Dong et Wo est ainsi bien emmenée bien que recyclant déjà les vieilles recettes du mélodrame calculé, et si la présence de fantômes autres que celui de Dong apportent une dimension fantastique pas dégueu, leur utilisation est trop anecdotique, décorative pour prétendre à une réelle implication dans le projet. Il est aussi frustrant de sentir que Linger se termine en queue de poisson et de se dire que Johnnie To n'a semblé que mettre en scène un scénario tout préparé, sa mise en scène est certes de très belle facture, mais ne donne jamais corps à un produit formaté de bout en bout, sans le moindre intérêt. Une déception légitime bien que l'on n'attendait, en gros, rien d'un tel film. Même les curieux risquent de mal digérer le repas...
Sleeping with a dead
Le cinéma est toute manipulation émotionnelle; que ce soit des scènes d'action testostéronées pour satisfaire un public en manque de sensations, un déluge de beaux sentiments pour émouvoir ou des gags à la chaîne pour provoquer le rire – le cinéma se doit de faire vibrer.
Pour ce faire, les faiseurs doivent déployer une débauche de moyens: de l'argent pour garantir la réalisation de certaines séquences, des acteurs capables d'assurer l'identification des spectateurs, une musique pour souligner certains effets, etc, etc.
Je suis un bon public. Je plonge tête la première dans ce pouvoir évasif, prêt à m'embarquer dans une fusée pour la lune, à m'asseoir à une table pour souffrir des problèmes familiaux, à rire à gorge déployée de l'énième arroseur arrosé, à pleurer (facilement) devant le malheur des autres. Je ne projette même plus mes propres expériences de la vie, je les balance à l'écran pour m'en prendre plein en retour.
Ceci étant dit, il faut un minimum de délicatesse de la part du réalisateur. J'ai horreur d'être manipulé à mauvais escient, qu'on se foute de ma gueule. J'abhorre l'irrespect. Et Johnnie To manque terriblement de respect.
Depuis la création de Milky Way, on a fini par comprendre la technique employée par To: des œuvres commerciales pour une œuvre personnelle – sauf qu'au fil des ans et la notoriété internationale acquise, To pouvait désormais se permettre d'inverser le ratio des œuvres personnelles par rapport aux projets plus commerciaux. Depuis le temps (et les "Election", "Exilé", "Mad Detective", Triangle" et "Sparrow") on avait même failli oublier de combien les œuvres dites "commerciales" étaient inférieures en qualité au "véritable" cinéma de To – et "Linger" est un retour en arrière d'autant plus douloureux, un dur retour à la réalité mercantile des choses. Le désastreux résultat de "Linger" fait même se poser la question, si To n' pas fait excès de couler sciemment son propre navire pour prouver combien il vaut finalement de plus dans un style plus personnel.
La tendance des "grands" de se frotter – avec trop de retard – au genre romantico-fantastique est surprenant, voire même ironique. Juste avant le désastreux "Missing", voici donc venir le minable "Linger" avec un point en commun: les deux héroïnes peuvent voir des morts suite au décès de leur cher et tendre; sauf que si Hark emprunte sciemment le chemin du fantastique et surnaturel, To décide de virer vers la bluette à la "Secret" (histoire d'un mec, qui voit…des morts – ou presque). Le début aurait pourtant dû mettre en garde: un couple fait l'amour (à la "hongkongaise", donc plutôt chastement), puis se brouille dans un décor estudiant à la "Beverly" avant que le mec (le fade Vic Zhou, dernier membre des taïwanais F4 à oser le saut de la scène musicale et du petit sur le grand écran) ne se fasse envoyer ad patrès en une scène très, très, très loin de la hargne habituelle de To (même le petit garçon de "Story of my son" se fait bien plus amocher, que le propret Vic Zhou). Ah oui, j'oubliais: un pauvre pèlerin joue du violoncelle en direct à l'image pour souligner la tension dramatique de la dispute des deux tourtereaux…ridicule !
La suite est tout aussi peu avenant: saut dans le temps, l'héroïne a déjà réussi à décrocher un boulot dans un cabinet d'avocats et carbure aux pilules prescrits par un Roy Cheung délicieusement cabotin malgré son temps de présence ultra réduit. L'image est léchée, mais la mise en scène rappelle celle des téléfilms de luxe – et notamment des adaptations des best-sellers à l'eau de rose de romancières américaines. L'héroïne est donc "visitée" durant ses sommeils par son défunt – l'immense doute, qui plane sur ses apparitions assure au moins une sortie chinoise (la représentation des fantômes est encore officiellement interdite là-bas; le fait que ces apparitions pourraient s'apparenter à des rêves ou des "hallucinations" dues aux médocs de l'héroïne permettent de contourner la censure). Soit un produit 100 % calibré pour a) un public ado, b) les fans de Vic Zhou, c) un public pan-asiatique regroupant HK, Taïwan (la présence de Vic) et la Chine…
La première fautive de ce naufrage est bien évidemment la scénariste. Ivy Ho n'est jamais allée du dos de la cuillère dans la représentation du mélodrame amoureux, mais au moins y avait-il encore l'une ou l'autre scène à sauver dans "Comrades", "Anna Magdalena" ou les films d'Ann Hui "July Rhapsody" et "Goddess of mercy" (ces films valant avant tout pour le talent de Hui de savoir crédibiliser le sentimentalisme). "Linger" louche trop sur d'innombrables productions de même genre sans rien apporter de neuf au genre; tout juste y pourra-t-on déceler des esquisses intéressantes interrelationnelles père-fils jamais réellement résolues.
Mais le vrai responsable de l'échec du film est immanquablement Johnnie To et ses récentes déclarations de vouloir davantage s'intéresser à des projets féminins et intimistes ressemblent à une bonne blague. Ou du moins, ce n'est pas avec "Linger" qu'il s'y mettra. To est un intuitif: sa méthode de travailler sans scénario est la meilleure des preuves. Il crée des moments à partir d'instants; des petits riens; du ressenti. "Linger" ne demandait que ça; sauf que ce n'est pas du rayon de To. Lui ne s'intéresse qu'aux histoires viriles, entre potes; les bluettes ados, ce n'est pas sa spécialité; ni les scenars avec un cahier de charges à respecter à la virgule près. Ses rares tentatives à des films du genre se sont tous soldés par des vrai échecs: "All about Ah-long" était un mélodrame, qui valait surtotu par ses acteurs, mais avaient du mal à convaincre dans la représentation de la difficile relation entre Chow Yun-Fat et Sylvia Chang; "Story of my son" était un ratage sur toute la ligne, risible dans la représentation de le spirale descendante du père de famille et de ses gamins. Tous ses autres films n'étaient finalement que pur spectacle – même un "PTU", qui aurait pu être un drame humain avant tout et qui ne devient finalement que démonstration d'une force avant tout formelle. Une force jubilatoire, entendons-nous bien, mais très, très loin de toute représentation d'une certaine réalité.
Si "voir" des morts n'est évidemment pas du ressort d'une (certaine) réalité non plus, l'histoire porterait avant tout au difficile cheminement du deuil d'une personne…et – par extension –de l'incompréhension des êtres à s'appréhender. Yan n'a pu comprendre les doutes de son ami, n'a pu avouer l'amour à son fiancé, ne comprend pas son père prévenant. Le policier n'a jamais su parler correctement à son fils, qui – du coup – n'a jamais appréhendé son père...Une sensibilité étrangère (au moins) au cinéma de To, d'où le ratage totale de cet échec.
La bonne nouvelle a tout de même été le regard critique de l'audience. Alors que "Linger" était entièrement formaté au succès, c'est finalement le risqué "Mad Detective", qui "cartonne" (dans sa catégorie) au box-office local, tandis que "Linger" n'a pas fait plus de bruit qu'un battement d'ailes de papillon (j'en ai pas du tout parlé, mais le "Butterfly" du titre original tombe littéralement comme un cheveu dans la soupe). De quoi déjouer les pronostics des producteurs les plus affutés…De là à dire, qu'on ne verra plus de "Linger" bis à l'écran, ce serait utopiste; mais il serait au moins à souhaiter que soit To n'aie plus besoin de recourir à des produits aussi minables pour penser assurer des meilleures rentabilités, soit l'échec du film le mette sur la voie quant à savoir quels points travailler améliorer ou – mieux – ne plus jamais aborder.
A chacun son métier – pour moi Johnnie To est un excellent réalisateur dans un certain registre donné, qui – même s'il se répète, mais après tout Ozu n'aura répété qu'un seul et même film lui aussi sur ses vingt dernières années de carrière – déchire; mais n'est pas un prodige de la réalisation à savoir tout exprimer en images. Dommage seulement, qu'il n'ait pas laissé d'autres se brûler les ailes sur le médiocre sujet qu'est "Linger".
I see dead people...
Linger serait sans doute un des films de Johnnie To à oublier. Pas parce que ce film sorte des sentiers battus que le cinéaste arpente d'habitude mais parce que le film n’apporte rien. La vérité c’est que l’histoire du film ne touche pas. On ne s'attache pas aux personnages qui se perdent dans un récit dont l'ennui affligeant nous plombe tout enthousiasme, s'il y en avait un au départ.
Une nouvelle mise en scène du cinéaste hongkongais attire toujours, juste pour voir. Linger laisse un goût amer, celui de voir un cinéaste de talent se fourvoyer dans un film mineur. Je pars du principe de ne pas condamné avant d’avoir vu, étonné de voir Johnnie To dans un exercice de style comme celui-ci. Curieux, on visionne. Á la fin on en sort déçu et on oublie vite, très vite.