MLF | 4.25 | |
Ghost Dog | 3.75 | Une fable drôle et psychologiquement très riche, par le décidément très talentu... |
Ordell Robbie | 3.75 | un film inégal mais qui finit par convaincre |
Qu’on le veuille ou non, License To Live est une farce, une farce subtile et un peu dérangeante sur la vie et sur son sens. Kurosawa observe en effet les péripéties de son jeune héros de manière très lucide et très moqueuse. De son réveil à l’hôpital (la chute de son lit) à sa mort brutale et absurde (il se prend 5 réfrigérateurs empilés sur la tronche en tentant de retenir leur chute) jusqu’à son enterrement, il accumule les saynètes amusantes et bien senties, faisant passer la vie de ce pauvre jeune homme pour une vaste blague, et nous obligeant à réfléchir sur le sens de notre propre vie.
Le style du film m’a fait un peu penser à du Kitano, par son montage elliptique et par les gags qui le parsèment, par le fait également qu’il exprime beaucoup avec peu de moyens. Ca fait vraiment du bien de voir un tel film, tout d’abord parce qu’il est tout à fait abordable, parce qu’il fait réfléchir, et surtout parce que Kurosawa ne se prend jamais au sérieux. Je vous le conseille.
License to Live n'est pas totalement réussi, mais il est déjà bien meilleur que la kitanerie navrante les Yeux de l'Araignée, autre cuvée 1998 de Kurosawa. On retrouve les plans séquences chers à Kurosawa qui réusissent ici à refléter l'état de post coma dans lequel se trouve Yutaka. Le hic est que, à force de faire (bien) ressentir l'état comateux au spectateur, Kurosawa l'endort parfois. Si son but était de créer un film somnambule, l'effet produit est réussi (un peu trop meme). Dans l'ensemble, le sujet est moins propice à la prétention que d'autres scénarios de Kurosawa mais les travers des symboliques lourdes ou des dialogues débitant de la philosophie de café du commerce n'est pas totalement absent ici : "je viens de quelque part et j'y retournerai" (grand moment de comique involontaire), "ça doit etre dur d'etre un génie" (second fou rire involontaire), les vhs censées contenir tout ce qui s'est passé durant les années de coma de Yutaka, les fameux plans insistants sur les barreaux de fenetres, les défoulements sur des cartons qui ne méritaient pas d'incarner à eux seuls la société de consommation. Mais dans l'ensemble, les symboliques ne sont ici pas aussi lourdes que dans les mauvais jours du cinéaste : l'utilsation symbolique des enseignes ou des contrastes d'habitation évoque parfois l'art de l'ellipse d'Ozu, le film utilise également très bien les clairs-obscurs pour saisir au vol les émotions des personnages. Le film radiographie également bien la dislocation du lien social dans le Japon moderne, son amnésie permanente, les tentatives d'abord violentes puis tendres d'établir un contact avec l'autre et la situation des familles recomposées.
En outre, License to Live se prend beaucoup moins au sérieux que d'autres films de Kurosawa: le type de contact de Yutaka est assez violent -il s'aggrippe littéralement aux autres- mais il a un effet comique garanti, les trotinettes électriques créent un beau comique de répétition et la pisciculture est une belle occasion de gags. La direction d'acteurs est assez réussie: le mélange de somnolence et de décontraction de cow boy de Fujimori (Koji Yasusho excellent) contraste avec la voix mortuaire et somnambule de la plupart des autres protagonistes. Mais le point le plus passionnant du film est sans conteste l'écho entre le sujet et le rapport du film au cinéma de genre: Yutaka retrouve les choses par bribes et justement le film est construit autour d'éléments résiduels du cinéma de genre. Le film se déroule dans un ranch inutilisé, le cheval est le déclencheur de beaucoup de situations du film, l'ukelele sert de moyen de contact entre Yutaka et une jeune fille, la partie chantée dans un bar où les clients jouent au carte évoque les scènes de saloon, la voiture rouge évoque le cinéma américain des années 50, le look de Fujimori et son camion renvoient au road movie et une des scènes du film offre un beau massacre à la tronçonneuse non sanglant. Et Kurosawa, après un final montrant la difficulté de vouloir repartir à zéro quand on a trouvé la source de son trauma, conclut le film par un beau travelling tarkovskien.
A défaut d'être à la hauteur de la cote critique phénoménale d'un cinéaste abusivement mis au niveau artistique d'un Kitano alors qu'il serait plutot à ranger dans la catégorie "espoir irrégulier du cinéma japonais", License To Live fait partie du haut du panier de sa filmographie. Déjà ça de pris.