La sortie de chaque nouveau film de Shindo Kaneto est très souvent synonyme d'évènement. Une nouvelle fois auréolé des plus grandes récompenses au Japon (meilleur film par-ci, meilleur réalisateur par-là), ce film-ci est de la part d'un cinéaste très âgé un travail de mémoire très intéressant empreint d'une vraie empathie pour les gens du troisième âge. Touchante, l'histoire l'est assurément : une actrice très célèbre maintenant âgée rentre se reposer dans les hauteurs de son chalet en compagnie de la maîtresse de maison et amie Yotoko. Les deux femmes, prévenantes et sages, se retrouvent chaque été. Un beau jour, Yoko reçoit un coup de téléphone de la part d'un certain Ushiguni qui dit que son épouse Nomie désire la revoir, une grande nouvelle pour cette dernière qui était une de ses anciennes partenaires de théâtre et avec qui elle partageait de grands souvenirs de l'époque. Malheureusement, Nomie n'a plus toute sa tête et ne semble retrouver la mémoire qu'à de courts instants, notamment lorsque Yoko lui remémore les répliques fameuses d'une adaptation de Chekhov, "la mouette" qu'elles interprétaient toutes les deux. Toute cette tranquillité ne va pas durer bien longtemps, ces derniers recevant la visite d'un criminel en pleine séance de petit-déjeuner. Le détraqué, menaçant, pathétique et crevant la dalle se voit pourtant stoppé par Nomie avant que les forces de l'ordre ne débarquent pour terminer le travail. Nomie et ses conjoints sont alors invités à recevoir les honneurs de la police au cours d'une cérémonie particulière. Shindo Kaneto maîtrise son sujet avec la sagesse qu'on lui connaît et qu'il confirmera avec le beau Je veux vivre qui partage la thématique de l'importance du vieillard. Testament d'un soir est une ode à la vieillesse, au souvenir et aux personnes du troisième âge qui s'aiment. Un amour qui transpire dans la relation du couple Ushiguni, où l'homme guide et prend soin de sa bien aimée devenue fatiguée et sénile, et de faire rebondir l'intrigue de base par un double suicide évoque les amants tourmentés de chez Mizoguchi ou Shinoda d'où une forte parabole sur l'amour et la mort.
Les deux femmes Yoko et Yotoko partagent aussi plus de choses qu'on ne pense et leur passé va finir par ressurgir le temps d'une confidence pleine d'honnêteté. Effectivement, la belle Akemi qui est sur le point de se marier est la fille de Yotoko. Mais cet enfant, Yotoko l'a eu avec l'ex compagnon de Yoko. Les réactions ne vont pas se faire attendre, mais Shindo ne choisit pas de tomber dans le mélodrame et les règlements de compte hâtifs, ces dernières faisant preuve de sagesse et de compréhension malgré l'effet produit par cette nouvelle. Comme si le cinéaste, du haut de ses 83 ans, clamait haut et fort que toutes ces vieilles personnes sont bien plus raisonnées que la jeunesse braillarde et pleurnicheuse d'aujourd'hui. La célébrité de Yoko va aussi la rattraper au fur et à mesure que le film avance, il y a d'abord la demande d'autographe d'un officier de police, puis cette journaliste qui débarque pour apporter la nouvelle du double suicide du couple Ushiguni : un travail de reconstitution va alors débuter et aux deux femmes, Yoko et Yotoko, de se rapprocher et se réconcilier après leur récente querelle. Ce joli film sans action (à l'image de la lenteur de ses personnages) fait donc la part belle au souvenir, dans un cadre naturel élégant et pur, la mise en scène très classique de Shindo offre aussi un double message : sérénité et sagesse à l'image des vieillards. D'ailleurs, il est à noter que Akemi et Daigoro, les deux seuls "jeunes" du film, sont montrés comme impudiques et gueulards, préférant les excès (leur essai de mariage rappelant les rites japonais ancestraux) à la tranquillité. Tout le contraire des vieilles personnes, et qui de mieux que la géniale Sugimura Haruko pour incarner le côté raffiné un rien pédant de la femme nippone modèle, anciennement grande célébrité? Shindo Kaneto garde donc une certaine stabilité dans sa démarche de mettre en avant nos vieillards et n'apporte pas la poésie que l'on retrouvera quatre ans plus tard dans Je veux vivre. Sans être un mal, cette absence de "grâce" fait que Testament d'un soir est un bon film, sans être très recherché sur le fond et la forme. On passe ceci dit un excellent moment, doux et nostalgique.