une image sans âme, un corps sans éclat.
Une fois n’est pas coutume. Tablant pour son propre marché sur le succès de son précurseur Fantasme (1999), La Belle (2000), 미인, n’est qu’un film commercial sans moyen (moyens financiers et artistiques). Fantasme avait véritablement choqué la Corée. Objet tabou, il vécu de par la polémique qu’il provoqua. La Belle semble avoir voulu faire de même, mais sans être capable de dépasser le film érotique de base. Sa seule cible est de toute évidence son propre marché, qu’il n’a pas réussit à conquérir. On pourrait le qualifier de film minimaliste de par sa composition (un lieu clos, des scènes d’extérieures qui interviennent comme des inserts, deux personnages quasiment uniques et un espace de résolution vide de toute vie), mais n’est en fait qu’un film sans moyen comme en témoigne le niveau de jeu de ses acteurs.
L’idée même du film est très primaire : tu m’aimes, je l’aime, il ne m’aime pas, soyons malheureux. Il aime que je l’aime, j’aime que tu m’aimes, tu aimerais que je t’aime, soyons malheureux. Jouant du mimétisme avec quelques grands noms, il n’est pas sans évoquer la trame racinienne réduite a son expression la plus vulgaire ou encore le dispositif des voix "in - off - over" qui participait à donner son charisme à Hiroshima mon amour. Nous l’avons compris, ce n’est pas sur ses qualités personnelles que compte Yeo Kyun-Dong pour faire passer son film.
Il est rare qu’un film coréen traite aussi mal son sujet quand celui-ci est la souffrance. La souffrance d’un homme conquit par une femme, qui se languit pour elle, et n’a droit qu’à des étreintes charnelles entre deux appels. Il se languit. Vraiment ? Mais quand ? Il se languit dans les cuts et les fondus, dans des espaces-temps tellement brefs que le spectateur à peine à les voir. La méthode est fort maladroite. Pour un film qui cherche à ce que le spectateur prenne en pitié cet homme qui semble passer son temps à attendre celle qu’il aime, la mise en scène omet complètement cet aspect. Que reste-t’il de cette attente ? Bien peu de chose, tout juste une transition entre deux scènes d’amour (au sens physique). Curieuse méthode que de rendre absente l’absence quand celle-ci est le moteur du film !
Le regret le plus évident viens de l’affiche du film. Deux corps enlacés. Deux corps chauds, dorés par le soleil. Deux corps enveloppés dans un drap blanc qui se perd, se dissout dans la lumière. Une image pleine de poésie, invitant au rêve d’une histoire d’amour. Une histoire sensuelle, charnelle et envahie de sentiments comme le laisse entendre ce regard entre les personnages échangé comme un baiser, comme une caresse, comme une promesse… Mais cette poésie n’est pas dans le film, cette image, cette promesse n’est qu’un leurre, un mensonge qui veut faire passer ce film pour ce qu’il n’est pas ou masquer ce qu’il est : un simple film érotique n’accordant d’importance qu’aux courbes de son personnage féminin.
Cette femme est séduisante et elle s’offre à la camera. Elle s’offre… Un peu trop même. Comment comprendre ce désir, comment désirer ce corps qui s’offre continuellement. A peine entrée dans le film, elle n’est déjà plus couverte que par une chemise et une culotte. Il est plus difficile de trouver les moments où ce corps se masque, se joue des regards pour qu’enfin on désire le voir, que ceux où il se dévoile. Le film semble atteindre son extrême sur ce point dans une des rares scènes de rue. La camera prend le point de vue du personnage masculin et elle vient face a lui. Dans un geste très rapide, elle ouvre son vêtement, dévoilant ainsi la nudité de ses seins. Mais à qui montre t-elle ses seins ? Au personnage ou au spectateur ? Seul le personnage peut avoir ce point de vue, mais ce n’est pas à lui qu’elle montre sa poitrine. C’est à la camera : sortie de l’espace privé, c’est bien évidement au public qu’elle montre ses seins, dans un espace qui lui correspond. Bien loin du voyeurisme que peut permettre le confinement de l’appartement et l’utilisation d’une camera témoin, le spectateur nage dans l’exhibition dont la rue et la camera subjective garantissent l’expression. Qui veut voir ? Peut-être bien le réalisateur. Mais qui veut être vu si ce n’est ce personnage qui apprécie tant que l’on désire son corps ?
Mais nourrir le désir, c’est conserver du discret, du secret. Dans toute chose nous désirons ce qui nous manque. Qui est Keyser Söze ? C’est le secret que nous cherchons ? Pourquoi voulons nous voir les monstres des films fantastiques, savoir le nom du tueur ou si des amants pourront enfin s’aimer ? Parce que nous l’ignorons. Le suspens d’un film, cette tension qui garde le spectateur en attente, c’est ce que le film garde secret.
Qui y a t-il de secret dans ce film ? Que ne voyons nous pas que nous pourrions encore désirer ? Le sexe ! Le sexe est toujours masqué dans le film, mais ce n’est pas pour en faire un objet de désir. Corps désiré et corps désirant sont à cet égard traités avec égalité. Et ce n’est pas pour créer du désir. L’homme n’est objet d’aucun désir, il en est de même pour son sexe. L’expression la plus directe pourrait être la suivante : l’homme et son sexe désirent la femme et son corps… Ce film se désintéresse d’un public féminin, seuls les hommes sont ici cibles. Les sexes ne sont absents de l’image (cachés derrière un meuble, le pli d’un drap ou d’une chemise) que pour ne pas être considéré par la censure comme un film pornographique. Jouer la carte du sexuel sans aller trop loin. Mais le public coréen ne s’est pas laissé tromper. Et c’est bien en tant que film pornographique qu’il a été perçu. La Belle est une pornographie qui ne s’assume pas, qui ne va pas au bout de son propre désir.
La trame narrative, sans être originale, aurait pu donner quelque chose d’intéressant. Mais elle eut nécessité du temps, un temps définitivement absent.
Le temps de l’attente. Celui qui devient infini, épais, âpre et amer. C’est le temps dans sa matière même, épaisse et lourde. Celui dont le flot semble se ralentir et tendre vers l’immobilité. L’attente, c’est le temps devenu compagnon d’éternité, ce temps où les actions meurent. Ces actions qui sont là pour «faire passer le temps» et n’y parviennent jamais. Où est donc ce temps ?
L’acte d’amour n’a pas non plus son temps. Plus exactement, il n’est qu’un acte mécanique, répétitif et dont ne ressort aucun plaisir. Où se cache la jouissance des personnages, celle qui naît de l’acte d’amour ? Est-elle, elle aussi, dans les collures ? Ces deux corps qui s’enlacent n’ont plus le temps d’en éprouver un quelconque plaisir. Sitôt enlacés, ils doivent se séparer pour pouvoir s’enlacer à nouveau avant de se séparer. Deux corps qui s’enlacent à l’infini, comme une chaîne de chair… L’ultime pornographie dont parlait Godard dans ses histories : de l’amour sans amour.
Au final, La Belle n’est qu’une image plate et sans âme. Elle dit sans exprimer, elle montre sans permettre de voir, elle s’exhibe, elle communique. Qu’avons nous quand l’amour n’a plus de sentiment, et que le temps n’est plus fait de matière ?
Beaucoup de vide, de la retenue mal venue, domage.
"La Belle" se voulait surement un film d'amour intense, mais moi je n'ai pas vu beaucoup de passion. J'ai trouvé l'érotisme et le côté charnel trop retenu par le réalisateur, très hésitant entre montrer et cacher, ce qui est vraiment domage quand on sait que les scènes d'amour représentent tout de même un bon quart du film. On est donc dans le drame légèrement érotique, sans ardeur ni aucune véritable émotion, mais se laissant regarder... surement grâce à l'esthétisme incontestable des prises de vue. Les acteurs sont également très bons. Une petite déception donc, mais bon, qui s'attendait vraiment à beaucoup mieux ?
Un beau film... avec quelques "mais"
Ce film, qui ne tient quasi uniquement sur les épaules de ses deux acteurs principaux, bénéficie fortement de la complicité de leur duo, ce qui nous vaut quelques scènes très réussies et particulièrement spontanées (pas forcément les scènes érotiques d'ailleurs), très crédibles. Malheureusement la plupart des dialogues et surtout la très maladroite voix off respirent le romantisme nian-nian déjà-vu, ce qui n'est pas sans en amoindrir l'intérêt et la portée.
Mais la force de La Belle tient principalement dans sa réalisation, plus particulièrement lors de la première heure - le final sur la plage étant bien plat et en quelque sorte cassant la belle mélodie mise en place. Très sobre, composée en majeure partie de plans fixes épurés et cadrés très large sur ce grand appartement vide et sophistiqué que cette femme magnifique habite de temps à autre de toute son énergie, de sa grâce et de sa sensualité. Le montage élégant et elliptique joue sur le hors-champ et le non-dit, jusqu'à finalement donner une signification primordiale aux moments qui, entre ces longs plan séquences, nous sont cachés. Où va-t-elle lorsqu'elle part précipitemment le matin ? que fait-elle de ces journées où elle n'est pas là ? d'où vient-elle lorsque finalement elle daigne rentrer ? Yeo Kyun-Dong l'a bien compris, si la suggestion est le maître mot de l'érotisme, c'est aussi celui de la jalousie.
05 janvier 2007
par
Epikt