When a woman loves the men…
(vu les deux versions à Cannes 2011)
Ah…Qu'il semble loin, le temps, où la projection de "Suicide Club" faisait l'effet d'une bombe au Casino Deauvillais…où personne – ou presque – ne connaissait le nom de Sion et que j'ai couru le monde à la recherche du propriétaire de droits de "Suicide…" pour une sortie DVD…
Aujourd'hui, pas un festival, qui ne programme plus le dernier film de Sion, véritable objet de désir entre Cannes ("Guilty of romance") et Venise ("Première de son futur "Himizu"), à l'instar d'un Johnnie To…Pas un bloggeur, qui ne rapporte les dernières news du réalisateur japonais hype du moment et pas un éditeur à s'emballer sur l'acquisition de sa dernière œuvre…et pourtant le gros de sa carrière reste encore mystérieusement inédit en France, parmi lesquels "Exte" ou "Strange Circus", parmi les plus gros cartons de vente asiatiques dans d'autres pays (comme "Izo" de Miike, d'ailleurs).
"Guilty of romance", ce serait donc une sorte de "Mullholland Drive" à la japonaise…un thriller noir profond avec des belles actrices désirables qui s'adonnent aux plaisirs de la chair (et en nu frontal, poils pubiens y compris, merci le Japon !!); mais c'est surtout un habile mélange du Sono Sion prolifique de ces deux dernières années, en bouclant sa "trilogie de la haine" commencée par "Love Exposure" et "Cold Fish" avec force meurtres et du gore, mâtiné aux élans poétiques de ses débuts…La scène du semi-viol avec attaque des ballons de peinture rose et à ce titre éloquente et donne d'ailleurs l'une des scènes les plus magnifiques, mais également décalées du film.
Divisé en cinq chapitres, il s'attache à dépeindre la vie de 3 femmes (2 dans la version internationale): une jeune femme au foyer, qui s'ennuie à mourir et se transforme en véritable "Belle de jour" en étant entraînée par une autre femme mystérieuse à se prostituer. Pendant ce temps, une femme inspectrice tente de concilier vie professionnelle (elle traque un tueur en série) et vie familiale (dans la version longue, on la voit subir les "pressions" de son amant particulièrement sadique). Du Sono Sion pur jus, qui réussit dès les premiers instants à créer une ambiance moite et glauque, qui ne lâchera plus le spectateur, en introduisant quantité de personnages troubles et en faisant subir les pires atrocités morales à ses héroïnes. On est loin de l'abominable "A serbian film", mais les humiliations subies par son héroïne valent son pesant de cacahuètes, surtout dans le cadre de la sacro-sainte société nipponne…C'est simple, une fois de plus, Sion s'amuse à dynamiter la si belle façade immaculée, notamment du carcan familial pour regarder derrière les murs, dans le plus profond des tréfonds des âmes humaines.
Franchement, tout n'est pas parfait. Sion n'a jamais été très habile dans l'étude des mœurs de ses personnages. Il préfère balancer, comme les ballons de peinture rose, gratter la croûte des cicatrices pour en exposer plaies et blessures, mais ne va jamais jusqu'au fond; on pourrait donc s'irriter de sa désinvolture à nous en mettre plein la vue, à balancer des personnages troubles, mais jamais clairement définis ou même carrément s'offusquer du manque de réalisme de certaines personnalités ou façons d'agir…
En même temps, c'est le cinéma de Sion: créer une sorte de grand huit émotionnel, entraîner le spectateur dans une curieuse spirale descendante, dont il est difficile de mesurer le fond, inutile de se débattre, mais – au contraire – enivrant de se laisser entraîner à condition de savoir lâcher prise et d'être prêt à emprunter le train-fantôme jusqu'au bout.
Je ne sais pas, comment ces films vont résister à l'épreuve du temps; personnellement, j'ai beaucoup aimé les deux visionnages, avec une nette préférence – évidemment – dans sa version "longue", dite du "director's cut" présentée à Cannes et il reste encore beaucoup d'images et de scènes à me hanter plusieurs mois après, plutôt bon signe. Et je "remplis" avec plaisir les quelques trous béants scénaristiques en réappropriant le film à ma sauce…ce qui augmente généralement d'autant plus le plaisir de revoir le film dans un (proche) futur.
Ah…et la scène de fin est très certainement la scène la plus personnelle de toute la filmographie du réalisateur, un pur moment de poésie, où il se livre corps et âme à travers ce qui lui est le plus cher: sa propre création. Bouleversant.
Quelque part entre Fight Club et Belle de jour
Inspiré d’une histoire vraie qui avait fait grand bruit au Japon (le meurtre d’une enseignante d’université qui avait une double vie d’escort girl), ce troisième volet de la trilogie de la haine de Sono Sion (après Love Exposure et Cold Fish) est un objet inclassable, choquant et, en dépit de ses imperfections et limites, stimulant.
Le film commence façon Seven, avec la découverte, dans le quartier des love hotels de Shibuya (Tôkyô), du corps démembré d’une jeune femme. C’est une charmante commissaire (Miki Mizuno) qui va être en charge de l’enquête, dont le centre gravite autour de deux femmes.
La première, Izumi (incroyable Megumi Kagurazaka), est une femme au foyer entièrement soumise à un mari manipulateur (très belles scènes de couple qui rappellent la première séquence de Shokuzai avec Yu Aoi). Désireuse d’exercer une activité, elle prend un emploi de démonstratrice dans un supermarché, avant d’être repérée par une maquerelle. Celle-ci convainc la débutante de poser pour quelques photos avant que, de fil en aiguille et sans se défendre outre mesure, Izumi ne fasse des photos de charme, puis des films pornographiques, puis ne devienne prostituée. Car entre-temps, Izumi a adhéré au credo de notre seconde héroïne, une enseignante en lettres qui a le même type de double vie (Makoto Togashi, charismatique) : les hommes doivent, en toute circonstance, payer pour leur plaisir. Les deux femmes vont partir ensemble à la dérive…
Dans la version longue japonaise que j’ai visionnée, le film tient remarquablement toutes ses promesses pendant 90 minutes. Sion sait admirablement varier les registres et les tonalités pour désarçonner son spectateur et le laisser en pleine perplexité : le film est-il une condamnation de l’aliénation des femmes au foyer, l’étude d’un cas clinique de schizophrénie, une peinture de l’addiction sexuelle, une œuvre à finalité morale portant sur la corruption de l’argent, une variation sur le thème du double ? Cette indétermination est pour beaucoup dans le charme d’un récit dont on ne sait où il va nous conduire. Aux 3/4 de son chemin, le film commence cependant à se perdre dans la contemplation de son propre brio, accumule les effets et, une fois atteint le point bas de la descente des deux jeunes femmes, ne parvient pas donner la petite impulsion qui le ferait revenir à la surface et à renouer le fil avec son assez artificiel point de départ criminel.
Exceptionnelle interprétation du trio féminin, avec une palme à la très sensuelle Megumi Kagurazaka, et mise en scène brillante de Sion, avec un jeu virtuose de contrastes entre les couleurs grises et taupe du foyer où Izumi est recluse et les couleurs orange, vertes et bleues des dérives nocturnes de ses héroïnes.