Road movie assez inégal, mais excellente interprétation
Film aux destins croisés, God Man Dog n'a malheureusement rien d'inoubliable. Pourtant ce n'est pas faute d'avoir montré un sujet autant digne d'intérêt que complexe, plusqu'il s'agit ici de religion. Un homme transporte un bouddha dans un camion lumineux et doit arriver avant l'ouverture d'une porte céleste. Pendant son voyage, il collecte tous les bouddha qu'ils trouvent et rencontrent de nombreuses personnes ; un couple qui perd leur bébé et dont la femme se converti au catholicisme ; un aborigène alcoolique dont la fille ne veut plus le voir ; un jeune garçon qui monte clandestinement dans les coffres de bus pour voyager partout et gagne des concours de bouffe pour manger gratuitement. Tous ces personnages interagissent et s'influencent mutuellement, échangeant leurs croyances et permettant ainsi de résoudre des problèmes dont ils ne pouvaient faire face seuls. Le film ne cherche ainsi pas à faire l'apologie d'une religion, ni même de défendre le principe de religion ; en outre, il cherche à faire ressortir la philosophie générale de ces religions, et donc leur vision sur les choses. Le mélange de ces idées permet la résolution de certains problèmes complexes.
Les deux religions ici majoritaires sont le bouddhisme et le catholicisme. Le problème est que la religion est un thème si complexe qu'il est déjà compliqué d'en parler d'une seule. Alors deux, c'est le pari quasi impossible. Et justement, le film ne semble pas plonger réellement au coeur du problème, restant toujours en surface et n'étayant pas ses arguments. On a alors l'impression de se retrouver devant un simple drame ou la religion vient jouer les seconds rôles. De plus, il est plutôt inégal dans son rythme, avec des passages rapides amusants, et d'autres bien trop lents, dans lesquels on ne voit pas d'avancement. En outre, un point fort du film est de donner une grande part aux aborigènes taiwanais, ce qui est plutôt rare. C'est, au delà de leur religion, un point culturel fort du film. Egalement les acteurs sont très convaincants, autants les jeunes que les vieux et il est agréable de voir que le scénario leur donne à chacun une bonne part pour développer leur rôle efficacement.
Finalement God Man Dog déçoit un peu par un sujet pas assez approfondi(ssable) et un rythme inégal. Mais il est sincère et joué par de très bons acteurs.
26 octobre 2007
par
Elise
Les dieux dans le camion et les chiens sur la route
Pour
God Man Dog, son deuxième long-métrage, Singing Chen a eu une idée de génie : un camion rempli de statues de dieux. C'est le personnage principal du film, autour duquel gravitent, ou finiront par se retrouver, une petite dizaine de personnages - leurs histoires individuelles sont présentées sous forme de fragments, des portraits allusifs et efficaces (au sens où ils fabriquent des personnages à la fois très typés et individualisés). Le camion est un objet à la fois absurde et bien réel, qui cristalise sentiments religieux et superstitions dans sa matérialité colorée. Le camion est un semi-remorque aux parois de verre, un camion-vitrine en quelque sorte. Quand on appuie sur le commutateur, c'est un spectacle mécanique qui se met en branle, les grands dieux s'allument, les supports clignotent, les petits dieux tournent sur eux-mêmes. Une pièce de monnaie glissée dans une des boîtes animées fait avancer une figurine qui dépose à votre intention un petit rouleau sur lequel est imprimée une prédiction. L'aspect très matériel du taoïsme chinois est à l'origine de ce show - qui prend une dimension franchement hallucinatoire pour l'aborigène alcoolique chrétien mais non moins superstitieux (garder à l'esprit qu'à Taiwan quelle que soit sa religion on croit beaucoup aux fantômes).
Avec son camion et ses humains (et ses chiens errants), le film avance en zigzaguant, et on a pu reprocher au scénario la quasi absence de progression dramatique - mais tout l'intérêt du film réside dans la successions de scènes tantôt comiques tantôt tragiques tantôt burlesques, toutes témoignant d'un regard tendre sur les misères et petitesses humaines. Aux "dieux" qui clignotent et tournent avec leur circuit imprimé et leur mécanique bien huilée répondent en contrastant la société qui dysfonctionne, les voitures qui se rentrent dedans et l'unijambiste qui boite. On s'attache chaque fois à ces personnages très humains qui font tout et n'importe quoi, s'amusent, se battent et se déchirent. Il ne faut pas chercher dans ce film un discours métaphysique sur la religion ou la condition humaine comme le titre peut y inviter, mais plutôt le regarder comme le portrait généreux et haut en couleur d'une société par ses marges.
Chacun cherche son charme
Singing Chen – l'une des plus talentueuses réalisatrices de la "Troisième Nouvelle Vague Taïwanaise" en devenir – et également l'une à relever au mieux l'héritage laissé par ses illustres aînés. Les participations de Jack Kao, acteur récurrent des films de Hou Hsiao-Hsien et – surtout – du petit Yang-Yang de l'extraordinaire film "Yi Yi" d'Edward Yang devenu grand, ne sont certainement pas anodines.
Des précédentes vagues, Chen reprend cette approche quasi documentariste d'histories simples de gens ordinaires et – surtout – cette quête identitaire. Comme dans les films de Yang – surnommé l'Antonioni du cinéma asiatique – elle reprend le désarroi et l'isolement de petits gens dans un monde matérialiste. Tout a un prix: les pêches véhiculés par l'aborigène alcoolique (dont la vie, elle, vaut moins que celle des fruits qu'il transporte), le chien – même les Dieux (ou plutôt leur représentation) sont évalués. Le jeune voyageur clandestin, marginalisé par la société, tente de reprendre ses propres droits: il "vole" le bien d'autrui et participe à des concours, dont il revend le prix au plus offrant (et en conséquence à la femme de l'aborigène alcoolique – la vie n'est qu'un cercle).
La religion est évidemment au cœur de l'intrigue. Aliéné, l'homme ne pense trouver un échappatoire qu'en fin de vie, lorsque le prétendu "Paradis" lui ouvrira ses portes; mais même cette fois est "ébranlée": un homme ne cesse de réparer des icônes religieuses brisées (des Dieux à son image, puisqu'il lui manque une jambe et que même sa prothèse est usée), une femme ne pense se réfugier dans la religion qu'après avoir donné la mort. Les néons se reflètent sur les images bouddhistes; l'autel religieux devient un champ de foire. La mixité des différentes religions au sein du film reflète bien évidemment l'incroyable mixité de la culture taiwanaise en elle-même, composée par quantité de communautés différentes et ballottée par ses sempiternelles invasions successives, depuis les espagnols, en passant par les hollandais, puis les japonais et les chinois. A la fin, une antiquité est abandonnée au milieu de la rue, entourée de statues endommagées; la fin des classes sociales, comme en témoigne le chien à sang pur, qui s'en va courir avec des bâtards. ENFIN, Singing Chen exprime un sentiment de liberté dans un climat autrement oppressant.
Tout n'est pas encore parfait, ni parfaitement maîtrisé; mais l'incroyable richesse métaphorique de ses images, la représentation ancrée dans une culture profondément taiwanaise qu'elle s'accapare malgré son jeune âge et en dépit de son sentiment d'enfermement laisse présager une grande carrière. Elle emboîte en tout cas les pas laissés par l'immense Edward Yang et donne envie de la suivre.