Alain | 4 | Errance et sentiments |
Voir le petit logo de la palme cannoise sur une jaquette de films asiatiques a souvent de quoi faire frémir car souvent synonyme de productions calibrées pour le public cinéphile occidentale et d'auteurs en manque de reconnaissance(exemple récent avec Wong Kar-Waï qui anesthésia sérieusement la fougue de son cinéma via un In the Mood for Love assez plat et poseur).
Dans le cas présent de Glass Tears, les cinq premières minutes laissent présager du pire avec sa tonalité très art&essai via un dépouillement de l'image et des scènes à la limite du muet mais passé cette introduction pas très folichonne, le film trouve son rythme et sa personnalité via le personnage de Lo Lieh et de sa rencontre avec Zeny Kwok. A partir de là, le film tend vers l'errance pure et simple de ses personnages à travers les rues d'Hong-Kong. Mais on est ici loin du ton pessimiste d'un Spacked Out et plus proche de l'étude et développement de personnages d'un Autumn Moon. Le déclencheur narratif(la disparition et la recherche de Cho, fille de Carrie Ng) n'est qu'un prétexte scénaristique au même titre que l'enquête de Bullets Over Summer et Glass Tears se trouve d'ailleurs encore plus d'affinités avec l'oeuvre de Wilson Yip en montrant l'éclatement d'une famille pour en composer une nouvelle. Le temps que passe Lo Lieh avec Zeny Kwok et son petit ami rend les personnages attachants malgré leurs perspectives d'avenir sombres, voire sans lendemain et le film rayonne litérallement via ce trio d'acteurs. D'un côté, Zeny Kwok avec son jeune âge apporte une énergie débordante sans jamais grossir les traits de son personnage d'adolescente sans attaches et paumée (interprétation d'ailleurs couronnée par une nomination aux HK Awards). A cette candeur désespérée, répond l'âge et l'expérience du vétéran et défunt Lo Lieh qui pour son ultime film prouve qu'il est plus qu'un simple acteur de kung-fu en rendant son personnage de papy hautement sympathique via un tas de petits détails qui le singularisent comme ces lunettes noires, son passé de boxeur,etc . On ne pouvait rêver mieux comme dernier rôle en guise d'épitaphe...
En contrepoint, le film n'accorde qu'une part assez mineure au couple de Carrie Ng et on pourrait même se dire que leurs personnages sont peu développés mais après réflexion, c'est un choix très judicieux de la part de la réalisatrice car une trop grande attention sur cette partie du récit aurait versé inutilement dans le pathos. Ce choix est d'ailleurs confirmé via la mise en scène de ce couple où toute communication verbale s'est presque éteinte, leurs émotions ne se traduisant que de manière indirecte pour la perte de leur fille(dont le récit laisse d'ailleurs planer le doute quant à sa mort ou non) via de petites scènettes efficaces comme les multiples visites dans la boutique spécialisée en goodies Hello Kitty, l'accordéon dans le parc monté en parallèle avec Lo Lieh faisant du patin à glace avec une enfant ou encore ce sublime et efficacement long plan-séquence où Carrie Ng laisse éclater sa tristesse au cours d'un repas (performance qui contraste fortement avec la plupart des rôles inconsistants qu'elle a eu durant sa carrière). Un autre aspect de la réalisation qui est assez bien trouvé est le recours fréquent à l'ellipse mais où on retrouve systématiquement l'action qui a été supprimé lors de flash-backs quelques moments après: ce procédé narratif est un peu déstabilisant et on approuve ou pas (personnellement, j'adhère totalement d'autant plus que la musique électronique utilisée lors de ces séquences est très plaisante et crée une vraie ambiance).
On ressort de Glass Tears avec un fort sentiment de plénitude car il a réussit avant tout à rester un petit film modeste et sans prétentions, porté par la grâce et le talent de son casting. Une bonne découverte d'autant plus que la mort de Lo Lieh donne une valeur presque historique à ce film. Et on notera que Joe Ma a produit le film, ce qui le conforte dans sa nouvelle situation d'homme-phare du ciné HK actuel.