Avec un peu de recul (ça fait 2 jours que je l'ai vu), je considère Fantasmes comme l'un des films les plus marquants dans son genre depuis très longtemps. Assumant sans complexes sa réputation sulfureuse dûe à des scènes de cul très explicites, très détaillées et très longues, ainsi que ses choix artistiques, c'est-à-dire un tournage en numérique et des effets « spéciaux » tape-à-l'oeil mais finalement justifiés (l'emploi de la variation de luminosité ou du flou symbolisant la jouissance sexuelle, telle une drogue), Jang Sun-Woo a réussi une oeuvre très originale digne de L'Empire des Sens.
Pourtant, sortir un film de ce genre en salles, c'est le parcours du combattant! Présenté à Venise l'année dernière (suscitant par la même occasion un parfum de scandale), il a été carrément censuré en Corée du Sud, « interdit pour pornographie ». Et seulement un an plus tard, il sort enfin en France avec une quarantaine de copies.
D'ailleurs, la censure dont il a été victime dans son pays conforte Jang Sun-Woo dans ses opinions: pour lui, la Corée du Sud est un pays coincé, traditionnaliste, bien pensant et bardé de tabous. Aussi, on sourit lorsque Y raconte à sa copine Ouri ses frasques sexuelles, qu'elle lui dit « il m'a même pris par derrière! » et que l'autre répond « on peut aussi par là??? ».
De toute façon, c'est le débat sur la censure qui est au coeur de ce film. Sorti dans un contexte particulier, seulement 3 jours après qu'une association d'extrême droite ait réussi à faire classer X le film Baise-moi, qui a aussitôt été retiré de l'affiche (une aberration en soi puisque Baise-moi est un film d'auteur qui, même ultra-trash, n'a pas à être considéré comme un film porno), on découvre Fantasmes placardé d'une interdiction au moins de 16 ans en France et censuré dans beaucoup d'autres pays.
Certes, ce film comporte de nombreuses scènes de sexe, plus érotiques et sensuelles que pornographiques d'ailleurs. Certes, ces scènes traitent de sujets dérangeants: sado-masochisme, soumission, scatophilie, sodomie,... Certes il faut protéger le jeune public de ces images. Mais on est quand même dans une société qui marche sur la tête! Les films violents, où l'hémoglobine coule à flots de façon gratuite et amorale, sont eux diffusés aux heures de grande écoute à la télévision et souvent interdits seulement au moins de 12 ans. Alors question: est-il plus dangereux de voir des gens faire l'amour - même tous nus! - que de les voir s'entretuer?
Pour en revenir au film en lui-même, je peux vous parier ma chemise que vous resterez bouche-bée devant plusieurs passages et devant l'oeuvre en général. Les 2 acteurs principaux se donnent corps et âmes à la caméra (ils se frappent vraiment dis?), et s'étreignent à mort sur un fond de musique techno-houso-hardcore stupéfiant. Les scènes s'enchainent de façon progressive dans l'extrémité des ébats amoureux, elles sont heureusement dépouillées de toute réflexion pseudo-philosophique à la Catherine Breillat (Romance X), et elles rendent tout à fait cohérente l'oeuvre du coréen. Bref, une véritable découverte!
Fantasmes, fantasmes.Quels sont vos fantasmes ?
Fantasmes, Lies en anglais (mensonges) est un film collectif ; Un film réservé au dispositif cinématographique mis au point par les frères Lumière : Deffilement régulier d’images fixes qui reconstitue le mouvement sur une surface-écran par le biais d’un faisceau de lumière offrant un spectacle payant à une collectivité. Brisez cette définition et le fim perd de son intérêt.
Dans une salle obscure, après avoir payé le prix, je m’installe. Il y a peu de monde dans cette salle d’art et essai de Saint Michel. Certains, comme moi et cette femme à ma droite, sont venus seul. Plus rare, mais néanmoins présents sont venus en groupe : l’autre ne devrait pas être trop génant pendant ce film. C’est ce que je pense et, je le comprendrais plus tard, je suis dans l’erreur. Ca y est l’obscurité se fait, le fim commence.
Fantasmes a cette force de faire ressentir le fantasme sexuel au spectateur. Il le ressent dans tout son être devant les autres. nous sommes nu sur l’écran, chacun se projettant dans l’image, renvoyé à ses propres pulsions et habité de la crainte que les autres ne les voient. L’angoisse arrive, les secrets de la sphère privée de chacun se mélangent sur l’écran et s’exibent au public. Nous sommes le fantasme de cette image. Alors la salle s’emplit d’un malaise. Un bruyant silence envahit la salle et d’un seul coup, une conscience excessive de la présence des autres nous submerge tous. Gestes génés, hésitants, les corps s’animent sous le poids du manque de confort qu’impose le film et se recroquevillent sur eux mêmes comme pour se camouffler. Les yeux quittent l’écran de courts instants pour voir si un autre à vu notre fantasme semblable à un frémissement qui saisit le corps.
C’est que Jang Sun woo y va très fort. La première scène d’amour, celle où Yi perd sa virginité (et en un sens la notre) est filmée en DV, caméra à l’épaule. La caméra, d’une grande mobilité, ne cesse de se déplacer cherchant à ne rien manquer. Et que fait-il là ? rapprochons nous un peu pour mieux voir ! Mais le mouvement de la caméra est aussi très léger, court par moment. Il est également répétitif, insistant comme si la caméra accompagnait le mouvement des corps qui sont en train de faire l’amour comme pour nous inviter à participer.
La première scène d’amour ! Elle est ponctuée de cartons qui annoncent ce sur quoi tout va se concentrer : « premier trou », « deuxième trou », « troisième trou ». rien n’est épargné au spectateur qui voudrait garder un peu de distance avec l’image et ce qui l’habite. Vers la fin de la séquence intervient comme un insert l’interview de l’actrice jeune, innocente comme s’il s’agissait de son casting. Assise sur une chaise, seule dans l’image, elle est filmée de face. Une voix l’interroge. « comprends tu ce qu’on attends de toi ? Ce que ça implique ? Tu vas le faire ? le peux tu seulement ? en es tu capable ? ». et la voix tremblante de l’actrice répond, comme elle peut, hésitante et mal assurée. On la sent bloquée, pétrifiée. C’est presque un viol, on lui demande d’exiber son intimité si elle veut le rôle. Rien n’est épargné au spectateur, pas même la violence (réelle ou fictive) faite aux acteurs pour obtenir ces images.
La première scène d’amour, c’est aussi un peu la limite du film. Une fois passée la force, la violence de cette scène, tout n’est que répétition, diminuant sans cesse de puissance et d’intérêt. Même la mise en place du rapport sado-masochiste n’est plus qu’un vulgaire détail sans conséquence. Le film tombe dans le pathétique en essayant une sur-enchère de la situation de soufrance des personnages. Bref, si le film dure dans les 1h45, c’est qu’il a bien 1h15 de trop à son compteur ce qui laisse le temps de se remettre de ses émotions premières. Comme la lumière se ralume, la salle s’est vidée de puis longtemps. Nombre de spectateurs sont sortis avant la fin de la première scène d’amour choqués, affolés. Mais les autres peuvent maintenant partir, convaincus qu’ils se souviendront de leur premier émoi face au film et de la fadeur de la suite. Une provocation tient, et Fantasmes en témoigne, rarement dans la durée. Seul l’immédiateté de l’impact peut parvenir à ce but. Ainsi, si Fantasmes est probablement un film à voir, ce n’est que dans une salle de cinéma où se trouvent des individus anonymes les uns des autres. C’est dans le rapport des spectateurs entre eux que le fantasme peut poser problème.
Figure d'agitateur autant adulé que haï en Corée du Sud, théoricien et refondateur du cinéma coréen dans les années 90, Jang Seon Wu est une personnalité singulière du cinéma coréen contemporain. De lui, on a vu à ce jour le rafraichissant et naturaliste L' Amour à Umukbaemi, l'arnaque surbudgétisée Resurrection Of The Little Match Girl et un Timeless, Bottomless, Bad Movie unique dans le cinéma asiatique mais trop long. Dans ce dernier film au titre génial, Jang Seon Wu convoquait divers types d'images -publicitaire, jeu vidéo, vidéoreportage- et jouait sur la frontière fiction/documentaire afin de tenter de représenter la face cachée du Séoul de son temps.
De ce point de vue, Fantasmes est un peu la synthèse ratée entre une partie de la thématique de l'Amour à Umukbaemi et les enjeux théoriques de ce film-là. A l'instar des amants de l'Amour à Umukbaemi, ceux de Fantasmes vivent une passion réprouvée par leur société avec insouciance en bravant le regard des autres. Le dispositif travaille la frontière fiction/documentaire en mélangeant interviews des acteurs/personnages, plans où l'on voit la caméra tourner, filmage dans un style vidéoreportage, accélérations et ralentis de style vidéoclip et image floutée pour rendre le vertige de la jouissance... Le problème est que l'écart entre ces belles intentions théoriques et le matériau scénaristique auquel elles s'appliquent est des plus béants. Les propos tenus par les personnages face à la caméra sont ainsi souvent à pleurer de banalité et d'inintérêt. Et le dispositif de Jang Seon Wu sur les images débouche dans la pratique sur une autorisation d'agiter sa caméra n'importe comment en donnant le mal de mer et de cadrer beaucoup de scènes de façon brouillonne voire de les monter sans aucun sens du découpage. Dommage vu que lorsque le film se calme Jang Seon Wu fait parfois preuve d'un vrai sens du cadre...
Du coup, malgré le talent des deux acteurs principaux, les scènes érotiques deviennent très vite des plus ennuyeuses à suivre. Surtout que la transgression ne s'accompagne pas ici d'un minimum de discours élaboré de la transgression qui ferait dépasser au propos du film sur "l'expérience des limites" le Georges Bataille de supermarché. Des thèmes comme l'inversion des rapports de force voulue ou pas dans une relation sadomasochiste ou l'existence de la jalousie y compris dans les couples libérés ne volent pas plus haut qu'une émission à "sujets de société". Seuls les moments où intervient la question du regard des autres donne parfois au film un semblant d'intérêt thématique. Quant à la distanciation introduite par la voix off, elle devient vite lourde à force de dire ce que le regard des acteurs avait su bien exprimer.
De bonnes intentions de départ finissent par déboucher sur un de ces film érotico-arty de plus tels qu'on en a trop vus ces 25 dernières années. Avec en bonus un score eurodance qui est un vrai supplice pour les oreilles. Dommage car la démarche de cinéaste entrevue dans les films des années 90 qu'on connaît de lui vaut mieux que ce vrai gâchis de talent.