Ordell Robbie | 2.75 | Enfants perdus... |
Xavier Chanoine | 3.25 | Est-ce pardonnable? |
Adapté du maître de la littérature policière MATSUMOTO Seicho, The Demon avait le potentiel d'un produit de studio de bonne facture. La grande qualité du film est l'interprétation d'un OGATA Ken aussi impérial et fascinant qu'il le sera dans d'autres rôles de criminels chez IMAMURA et GOSHA. Le script semble être taillé sur mesure pour lui offrir un grand rôle tant la personnage de Sokichi vaut par son mélange de la cruauté la plus monstrueuse et l'humanité la plus ordinaire, la plus touchante. C'est dans ces moments où malaise et empathie pour ce "héros" se cotoient que le film trouve son meilleur même s'il ne le doit pas à sa mise en scène. On imagine en effet la tension dramatique qu'aurait pu construire un cinéaste plus talentueux que NOMURA autour de certaines scènes où père et enfants se retrouvent face à face. Car la mise en scène semble plus proche d'un service minimum de sans bavure mais sans éclats que d'une épure terrassante. Qui plus est, tout le talent d'IWASHIMA Shita n'arrive pas à faire oublier que son personnage d'Oume ne dépasse jamais la caricature d'épouse cruelle terrorisant le foyer. Certaines scènes intimistes ressemblent du coup à du BERGMAN de chambre des jours de noirceur forcée sans le brio formel. Et la fin du film sombre quant à elle dans un sentimentalisme jusque là évité. Le score fait lui dans le pastiche assez réussi de Bernard HERMANN. Son thème -l'abandon d'enfant- méritait mieux. On peut préférer rayon polar/portrait de criminel ambigü La Vengeance est à moi sorti un an plus tard et toujours avec OGATA Ken.
Mais cette forme de bassesse entraînera l'acte terminal : faire disparaître les enfants des suites d'une pression trop grande d'Ume, laquelle n'hésite pas à user de ses charmes pour amadouer encore plus sa "proie". C'est à partir de ce moment que L'été du Démon parvient à prendre son ampleur, et à Nomura de laisser transparaître son talent purement pictural. Le décès du petit Shoji est ainsi bien amené du point de vu de la mise en scène, affichant ainsi un Nomura tout sauf complaisant, ce que l'on aurait pu craindre au vu de la cruauté du scénario. De même que l'abandon de Yoshiko dans un grand immeuble touristique, sûrement la meilleure scène du film, où Sokichi affronte le regard de sa fille à contrecœur dans l'ascenseur lorsqu'il est sur le point de l'abandonner. De là, le père que l'on croyait misérable se révèle en fait lache et pathétique, ne sachant pas jongler entre ses propres émotions, celui d'un père ou celui d'un bourreau assumé. Si la suite peut paraître plutôt longue (tentative d'abandonner/assassiner Riichi, le dernier enfant), elle n'est justifiée que pour ressouder les liens père/fils et de créer ainsi le doute. Lorsqu'il est sur le point de se débarrasser de son enfant, Sokichi doute, puis l'emmène au restaurant et plus tard lorsque ce dernier s'approche trop proche d'une falaise, il le met en garde du danger. Ce retournement total aurait pu annoncer un twist plus intéressant et mieux maîtrisé, mais Nomura préfère camper sur ses positions et rendre le personnage de Sokichi plus pathétique qu'il ne l'est déjà, d'où cette petite déception.
Dans l'ensemble, L'été du Démon ne prend pas de risques face au matériau de base de Matsumoto Seicho ce qui vaut quelques pistes plus ou moins séchées. On ne sait pas ce que deviennent les "deux mères" dans l'histoire, ni même le sort réservé à Sokichi. Le cinéaste préférant terminer sur une situation à la limite de l'happy end plutôt que sur une fin nihiliste au possible, il éclipse ainsi la froideur originelle du métrage. Cette froideur, aussi bien formelle que fondamentale est due à une musique de Yasushi Akutagawa oscillant entre score forain ironique et comptines flippantes, associée à la droiture d'une réalisation mettant l'accent sur la rage humaine (gros plans sur les visages en sueur) et naturelle (les vagues déchaînées annonçant le meurtre). Présenté au Festival des Arts en 1978, L'été du Démon reste une oeuvre quoiqu'il arrive dérangeante même 30 ans plus tard, et si le métrage n'est pas exempt de longueurs, son ambiance pesante et son étude quasi expérimentale des bons et mauvais côtés du comportement humain méritent que l'on s'y attarde. Une découverte presque saisissante.