Xavier Chanoine | 3.25 | Un film tendre et réaliste |
Shimizu Hiroshi est un cinéaste encore inconnu du grand public occidental malgré la diffusion de plus en plus importante de ses films depuis un petit moment par la maison de production et de distribution Shochiku dans laquelle il fit ses premières marques et travailla fidèlement avant de rejoindre la Daiei pour ses derniers travaux. Kurosawa était un grand cinéaste d'hommes, Mizoguchi et Naruse de femmes et Shimizu d'enfants, lequel consacra une majeure partie de ces travaux à la peinture du monde de l'enfance et de l'évolution du pays à travers le regard d'enfants issus d'un milieu modeste. Children in the Wind, oeuvre évoquant déjà la belle maturité du cinéaste est l'une de ses plus réputées et connues aux yeux des amateurs de cinéma japonais, pas étonnant au vu des belles qualités de cette dernière dépeignant les travers d'une famille qui se voit du jour au lendemain séparée du chef de famille, accusé de falsifications de documents alors qu'il voulait monter une grande entreprise après s'être fait virer. Pour mettre fin au suspense, et là n'est pas le but du film, le père de famille retrouvera ses proches en fin de métrage après avoir passé quelques jours -semaines?- en cellule. Children in the Wind ne montrera pas la mère de famille faire tout en son possible pour trouver des preuves confirmant l'innocence du père à contrario du Kabei de Yamada Yoji, où Kayo essayait tant bien que mal de prouver l'innocence de son mari avec l'aide d'un de ses anciens élèves. Jamais Shimizu ne rentre dans des détails qui ne feraient qu'alourdir son sujet, préférant par dessus tout évoquer le sort réservé aux gamins. Un sort pas si fatal, ils ne seront ni à la rue et ne se feront jamais kidnapper, tandis que Sampei sera placé chez un oncle qu'il n'aime pas, son grand frère restera auprès de sa mère.
Sampei est un enfant turbulent, incapable d'avoir de bonnes notes en classe, préférant s'amuser à faire régner sa loi en frappant ses camarades de classe. Sa mère décide donc de le placer chez son oncle, un ancien professeur des écoles. Rien n'y fait, le gamin est toujours aussi perturbant et prévoit d'ailleurs de plier bagage plus rapidement que prévu. Sans doute se souvient-il trop bien des parties de sumo organisées à l'improviste dans le jardin avec son frère et son père avant que ce dernier ne se fasse arrêter par la police. C'est pourquoi sa fugue vers le "lac au monstre" ou son stage gratos dans une compagnie de cirque seront autant de justifications pour partir, après une partie de cache-cache « madadayesque » avec sa cousine, une partie de cachette au goût particulier annonçant clairement ving-six ans plus tard celle dans Dernier caprice d'Ozu, entre Kohayagawa et son petit fils, un jeu prétexte à quitter les lieux. "Es tu prêt? Pas encore!". Children in the Wind n'est pas pour autant un film marquant comme pouvait l'être celui d'Ozu, son absence de musique et son absence de grâce en sont pour quelque chose. Ozu était un cinéaste qui savait aussi diriger les enfants, aussi bien au temps du muet (Gosses de Tokyo) que de la couleur (Bonjour), et se servait des méandres d'une famille pour évoquer la triste société dans laquelle elle vivait (Une Auberge à Tokyo).
Ici Shimizu se sert de l'incompétence des autorités pour dépeindre la chute -momentanée- d'une famille où les pires des dangers auraient pu survenir (la disparition de Sampei) sans la "bonté" d'esprit du cinéaste qui évite à sa narration d'être alourdie d'une quelconque dramatisation. Point de famine ni de dettes à rembourser, juste un épisode d'une jeunesse portée par le regard intelligent du cinéaste et des enfants qu'il dirige. On y trouve les éléments inhérents du film de "gosses", avec la concurrence et les rivalités. La société a déjà une grande place dans l'esprit de ces derniers dans la mesure où ils se "battent" avec des munitions qui ne sont autre que leurs parents. Effectivement pour garder son autorité auprès de ses amis, Sampei niera les dires d'un de ses camarades qui crie partout que son père va être emmené par la police parce qu'il s'est fait viré de son travail. Des dires déformés par la naïveté des enfants, une naïveté touchante mais qui montre l'importance du statut social des adultes dans la société, et les enfants le savent déjà. Shimizu a donc tout compris et démontre avec des ingrédients d'une belle simplicité la réalité de la société d'époque. Sa caméra n'est pas la plus révolutionnaire qui soit, mais son utilisation rappelle clairement Ozu à la même époque. Grande utilisation de la caméra-tatami, distance et équilibre des cadres en intérieur rappelant le travail de Mizoguchi (sans la complexité et la signification de la position de ses acteurs), belle utilisation de la perspective avec de nombreux plans où les gosses courent comme des petits fous (ou comment montrer une jeunesse pleine de vie et d'envie). Sans être un grand film, Children in the Wind pose un regard tendre et vrai sur une famille momentanément décimée, portée par des petits interprètes pleins de vie et d'insolence. Une très belle incursion dans le cinéma de Shimizu Hiroshi.