MLF | 3.5 | |
Xavier Chanoine | 3 | Un peu vain mais bien fait |
Ordell Robbie | 2.5 | Du saké au café... |
Ce doux film d'Hou Hsiao-Hsien n'a d'hommage à Ozu que ses quelques thématiques abordées avec un regard suffisamment distancié pour ne pas faire du copycat -couleur- de ce que l'on a pu voir chez le grand cinéaste nippon. Humainement, le film tient la distance avec les histoires de moeurs abordées chez Ozu, avec la question du mariage qui reste d'une importance fondamentale dans la société japonaise, bien que se perdant depuis quelques temps, au même titre que de faire des enfants. Trop cher, et ne convient pas au rythme actuel. L'attitude du père de Yoko, c'est à dire son incapacité à communiquer avec sa fille d'un sujet tabou (un gosse d'un inconnu, un mariage qui n'est pas à l'ordre du jour...) est une des constantes que l'on trouvait chez Ozu. Le fait que personne ne se dit les choses en face est synonyme d'une société en repli sur elle même, logique lorsque l'on voit le Tokyo filmé par Hou Hsiao-Hsien, véritable microcosme d'une société qui évolue et qui laisse derrière elle toutes les valeurs et traditions ancestrales plus vraiment à la mode : Yoko part à Taïwan, fait un gosse à son petit ami de là-bas, revient au pays bien décidée à élever le gamin seule. C'est comme ça que ça marche, et puis si elle veut vivre en Thaïlande, qui l'en empêchera? Son père? Non, incapable de prononcer le moindre mot sur un sujet qui fâche. Sa belle-mère? Non plus, plus occupée à prendre soin de sa fille et à vouloir son bonheur plutôt que d'aborder, là aussi, quelque chose qui pourrait nuire à son futur. On se tait, on mange, on discute de tout et de rien qui ne soit pas en rapport avec les problèmes familiaux.
On discute de tout et de rien? Oui, comme le font souvent les personnages chez Ozu, lequel s'en moquera même avec Bonjour où les gosses, même jeunes, comprennent déjà tout le tralala de façade opéré par les bonnes gens en costard. Hou Hsiao-Hsien évite d'ailleurs de tomber dans le cliché de la peinture du Tokyo contemporain, en filmant simplement certains coins de rue ou passages de trains qui évoquent la vitalité du pays. La relation qu'entretiennent Yoko et Hajime est aussi à l'image de celle de Yoko et son papa : on évite de dire trop de choses qui peuvent brusquer, on fait comme si de rien n'était, on s'écoute parler et l'on s'intéresse à autrui sans pour autant extérioriser l'émotion, à peine les deux tourtereaux s'amuseront à commenter un dessin réalisé par Hajime sur ordinateur. Café lumière est une chronique comme Ozu aurait pu faire, à défaut qu'ici l'absence d'humour fait assez tache, le film gardant son statut de film d'auteur terne et très lent. La forte présence des trains, le bruit des passages à niveau, caractéristiques du Japon et de l'oeuvre d'Ozu sont ici évoqués avec le recul d'un cinéaste de Taiwan qui ne veut surtout pas verser dans la caricature facile : à l'image de ses personnages, la mise en scène d'Hou Hsiao-Hsien sait se faire discrète, pudique, presque spectrale.
Avec Café Lumière, Hou Hsiao Hsien abandonne la splendeur stylisée de Millenium Mambo pour ce qui serait en apparence un film du retour à sa première manière plus modeste, plus naturaliste. Rendre hommage à Ozu, c'est ici en partie retourner en arrière pour le cinéaste, tourner le dos à ses fresques des années 90 en forme de bilan du passé de sa nation comme à sa volonté de se plonger dans le Taïwan urbain contemporain de ses derniers films. Le sol japonais aurait alors entraîné un espèce de repli sur les bases, comme si HHH cinéaste naturaliste faisait un premier film, mais un premier film où il poserait son regard sur le Japon contemporain. Point ici de cliché de carte postale comme chez Sofia Coppola mais un film qui rend compte en utilisant l'héritage formel ozuien réapproprié par le cinéaste et avec une certaine douceur d'un pays où les valeurs traditionnelles n'ont plus totalement de sens pour sa jeunesse. En ce sens, ce constat d'éclatement n'est pas si éloigné de celui d'un Millenium Mambo.
Certes, on a cette impression attendue de déjà vu chez Ozu que ce soit d'un point de vue formel, de situations comme de décors. Mais derrière ce vernis de calme on trouve deux êtres qui ont peur de s'avouer leurs sentiments, une famille recomposée. Mais aussi une jeune femme enceinte d'un Taïwanais qui va devoir choisir entre élever son futur bébé avec celui qui l'a mise enceinte et revendiquer son indépendance. La cellule familiale chère à Ozu est toujours là mais elle n'est plus cette zone immuable qu'elle était chez le Japonais, elle est en changement perpétuel. Quant à la mise en scène, même si elle allie lenteur et travail hypnotique sur le son habituels au cinéaste, elle évite souvent les fameux plans à hauteur de tatami chers à Ozu et a surtout une grande singularité: les cadrages n'y ont pas la plupart du temps le côté très distant, nostalgique des HHH naturalistes mais sont relativement plus près des acteurs. Comme autre changement discret, on trouve l'emploi de la focale dans certains arrière-plans.
Mais malgré cette réappropriation réussie, le film ne décollerait jamais s'il se limitait à reprendre les figures imposées du cinéma d'Ozu en les modifiant légèrement. C'est ce point-là qui fait que malgré toutes ses qualités l'ennui commence à pointer progressivement le bout de son nez durant la première demi-heure. C'est justement lorsque un peu de modernité visible apparaît dans ce décor à l'apparence ozuienne trop parfaite que le film trouve un peu de second souffle: SPOILERS un ordinateur portable où Hajime a fait un dessin inspiré du motif ferroviaire et de la grossesse de Yoko. Ou encore par exemple lorsque deux wagons où chacun d'eux se trouve se croisent sans que les deux protagonistes se voient. C'est quand après avoir posé longuement son intrigue le film passe à l'action qu'il fascine un peu. Volonté de créer du lien entre Tokyo et Taïwan au travers de la femme japonaise du compositeur taïwanais favori d'Hajime. Enregistrement par Hajime des sons de trains montré en action. Et puis ce beau plan final où le cliché visuel ozuien du plan de train entre en collision avec un morceau pop nippon. FIN SPOILERS Reste que cela ne fait malgré tout pas du film un HHH majeur car si la direction d'acteurs est de bon niveau, le cinéaste n'a pas réussi cette fois à tirer de ses acteurs les prestations extraordinaires qui faisaient le prix de ses chefs d'oeuvre passés.
Au vu du niveau global de la sélection officielle, Café Lumière ne méritait pas son recalage cannois. Mais reste que s'il représente un projet de cinéma intéréssant les limites mentionnées plus haut en font un HHH mineur.