Xavier Chanoine | 4 | Une très belle promesse tenue |
Ghost Dog | 3.75 | La Chine face au mur du matérialisme athée |
Aurélien | 3.75 |
Après avoir été snobée par le bureau de censure chinois en 2007 pour Lost in Beijing, lequel traitait de thématiques pas franchement bien glorifiantes pour le cinéma chinois –et le Pékin pré-JO, la réalisatrice Li Yu n’a, semble t-il, pas perdu de sa force. Sans faire preuve de la même charge provocatrice que son précédent, Buddha Mountain et son caractère trasho-bouddhiste est la plus belle des réponses de la cinéaste aux censeurs, présentant une copie remarquable qu’il ne faudrait pas manquer sous peine de passer devant ce qui représente le meilleur du cinéma chinois de ce début d’année 2011.
A l’heure où l’industrie du cinéma chinois présente un visage de plus en plus désuet, calqué sur son homologue américain (auquel il reprend par exemple cette année le What Women Want starring Andy Lau et Gong Li) pour ce qui est de renflouer les caisses avec des sujets exempts de prises de risques, ou produisant systématiquement ces films de capes et d’épées certains d’attirer les foules notamment pour leurs têtes d’affiche trois étoiles et leur aspect folklorique, voilà que comme sortie de l’ombre, l’une des cinéastes les plus importantes de cette génération - aux côtés des Wang Bing, Wang Chao et Lou Ye – trouve sa place et ses sujets. A l’image des réalisateurs précédemment cités, Li Yu expose la Chine, sa Chine, celle qu’elle capte d’un regard, d’un mouvement de caméra soulignant le caractère et les états d’âme de ses personnages. Buddha Mountain n’a rien de serein, il est le film de l’urgence, de personnages vivant vite au jour le jour, préférant délaisser les études (c'est-à-dire aller à l’encontre du droit chemin pour être plus précis et en marge avec certaines valeurs locales) pour le changement. Ils incarnent à eux trois cette envie de liberté, tout de suite, maintenant. Et pour incarner ces personnages, une très grande Fan Bingbing, et deux opposés pourtant complémentaires en la personne de Wilson Chen et Fei Long, nouveau venu formidable de naturel.
Li Yu ancre son récit dans une réalité toute contemporaine, avec en filigrane les échos du tremblement de terre du Sichuan qui résonnent encore dans la tête de Mme Chang, quinquagénaire, bouleversée au point d’en être malade, par la mort de son fils. Li Yu convoque alors le réel et l’imaginaire, en parsemant son intrigue d’ellipses conférant au film des allures d’étrange rêve éveillé. Ou de cauchemar, c’est selon. Cauchemar que la cinéaste inscrit sous forme de pulsions morbides (la tentative de suicide de Mme Chang), de traces de souvenir (une photo, une voiture abîmée). Buddha Mountain est aussi le film de l’union, d’une force, brisée lorsque ses éléments sont séparés. Film fragile, à l’image de ses héros et héroïnes d’un temps, tous sur la route du Sichuan pour reconstruire ce qui se trouve sur la fameuse montagne du Bouddha, et surtout se reconstruire eux-mêmes. Et sous sa belle symbolique bouddhique, l’après-reconstruction permettra aux principaux acteurs de partir l’esprit serein, comme libérés d’un fardeau invisible mais bien présent, chacun à leur manière.
Merveilleusement capté par le chef opérateur de Lou Ye, le parcours chaotique mais toujours solide du quatuor émeut lorsqu’il ne touche pas en plein cœur. La tentative de suicide de Mme Chang démontre à quel point l’attachement à un être peut être important pour la suite, pour mener ce combat au quotidien qui aboutira à une meilleure connaissance de soi-même et de ses propres sentiments. Car on aborde beaucoup de choses dans Buddha Mountain, la relation père-fils après le deuil d’une mère un peu trop laissée seule, père-fille avec une Fan Bingbing désemparée par l’attitude de son père alcoolique, et mère-fils avec une Mme Chang au départ incapable de faire le deuil de la mort de son fils, allant jusqu’à revivre les derniers instants du défunt à bord du véhicule qui l’a tué lors du tremblement de terre. Mais c’est ce beau combat à quatre qui touche le plus, où tous les opposés se rejoignent pour ne former qu’un, qu’une seule entité forte, capable de résister à tout, même aux plus forts des séismes.
Le très haut du panier du cinéma chinois.