On pourra toujours ergoter sur "c'est un petit" ou "c'est un grand" Hong Sang-soo : HSS, c’est quand même de la marque. Mesdames et messieurs, comparez un Hong Sang-soo avec un film normal et vous comprendrez la différence. Un Hong Sang-soo est un grand film et celui-ci est un film comme vous n’en verrez pas dix dans l’année. Vous en doutez monsieur à ma gauche? Mais si un film n’était pas grand aussi parce qu’il essaye de se faire petit ? Et si ce Conte de cinéma n’était pas émouvant parce qu’Hong Sang-soo malmène le style qu’il a avait établi dans sa « trilogie » ? Et si ses zooms maladroits étaient le manifeste volontaire d’un retour aux bases ? On a peine à croire, en fait, qu’un cinéaste aussi maniaque ait volontairement laissé passé des zooms, qu’il ait engagé un naze à la caméra, même si on le pense un moment. Plus Hong Sang-soo remonte en arrière dans sa vie, plus il creuse son intimité passée, plus il est obsédé par les jeunes cinéastes forcément maladroits. En grand maître de la contradiction faite film, plus il vieillit plus il veut renaître. Plus il maîtrise plus il veut tout briser. On croit qu’il avance alors qu’il fait des allers et retour, disait La femme est l’avenir de l’homme. On croit voir un film et c’est la vie, on croit voir une actrice et c’est une femme (au passage Uhm Ji-won sauvait déjà The Scarlet Letter, ici elle irradie de subtilité). Rarement les lieux commun du cinéma n’avait été aussi simplement et exposés. Aucun artifice, aucun gimmick. Des dialogues filmées frontalement, un à gauche une à droite et basta. Et pourtant la plus abyssale des complexités. Alors, c’est quand le prochain HSS ?
Le fait de réaliser ce film avec un dispositif narratif en "miroir" permet à Hong Sang-Soo de s'amuser avec des situations et des personnages qu'il maîtrise déjà depuis un bon bout de temps. Le cinéma de Hong Sang-Soo ne puise pas son originalité dans sa nouveauté, on retrouve en effet très souvent une femme et un homme, voir deux, qui ont bien plus en commun qu'une simple présence à l'écran. Ici, un récit en deux parties qui se rejoignent sur bien des aspects : deux hommes un peu ratés rencontrent par hasard deux jeunes femmes. Point barre. A Hong Sang-Soo d’imposer une structure du dialogue qui ne cherche en rien à faire de l’épate philosophique, là où l’amour, l’amitié et la fascination agrémentent les discussions de personnes moyennes (l’actrice populaire de la seconde partie rappelant à Tong-Su qu’elle n’est qu’une simple femme et qu’elle n’a rien d’extraordinaire). Le cinéaste joue avec les codes de la narration classique du cinéma en questionnant ici le réel et la fiction, mais si ce questionnement ne reste qu’au stade de gadget fantaisiste, il permet de créer une petite confusion dans l’esprit du spectateur et de titiller ses sens par l’intermédiaire de séquences tragicomiques (Tong-Su reprenant l’écharpe offerte à la petite d’un ami par exemple) ou qui ne font que rendre pathétiques les personnages masculins, notamment ce cinéaste sans le sou à la limite d’être le boulet qu’une femme populaire déteste particulièrement : ses tentatives d’approcher la jeune femme sont pathétiques et démontrent sans artifice quelconque qu’il ne semble se rattacher émotionnellement qu’à cette personne là, incapable de tenter sa chance ailleurs.
Mais si Hong Sang-Soo crée le doute rayon facilités (l’actrice n’étant pas si abordable que cela), c’est pour accentuer davantage le charisme de la jeune femme : elle refuse, elle est distante, sa position à l’écran ou le timbre de sa voix démontrent clairement le bouclier qu’elle tente de construire mais qui ne tiendra pas longtemps car une personne les rapprochent, son mentor et ami de métier de Tong-Su. Naturellement, ils finiront au lit après avoir ingurgité deux bouteilles de soju chacun histoire d’être tous deux réunis dans la misère du moment. Sorte de solidarité émotionnelle et sexuelle. A l’instar des précédents –et futurs- films du cinéaste, le naturel répond présent même si ici point de colère subite ou de labrador qui fait sa vie à l’écran. Les scènes de sexe sont toujours filmées de front, mais ne dynamisent pas le récit comme c’était le cas avec La Femme est l'avenir de l'homme. Elles sont en quelque sorte une réflexion de l’état d’esprit des jeunes gens (tous à peu de chose près suicidaires). Et parce que le suicide n’est pas une fatalité, Hong Sang-Soo tournera ces séquences de manière bien plus drôle que prévues : pas de feux d’artifice ou de rebondissements émotionnels, juste un coup de fil à la famille du principal concerné et une réunion de famille qui tourne à la pugila. Plan-séquences à l’appui, zooms insistants et recadrages réguliers. Il n’y a pas la magie de son film précédent, mais Un Conte de cinéma reste du bel ouvrage à consommer sans modération. Simple comme bonjour, classique comme c'est pas permis dans sa mise en scène (à part quelques jolis coins de rue joliment photographiés) malgré la marque déposée Hong Sang-Soo qu'on ne retrouve à peu près nulle part ailleurs, c'est à peine si l'on confond les acteurs avec d'autres (possible que l'on confonde Uhm Ji-Won avec d'autres actrices coréennes). Après réflexion, ça reste unique en son genre.
Les titres des films de Hong Sang-Soo sont toujours assez prétentieux comparés aux films eux-mêmes, et ce « Conte de Cinéma » ne déroge pas à la règle, se situant d’emblée au-dessus du lot alors qu’il ne se trouve finalement que dans la moyenne des œuvres intimistes. Tout commence pourtant de manière charmante sur un plan large de Séoul plongé dans un hiver rude, sur sa tour de télé géante, ses rues animées et une musique évoquant Noël avec ses clochettes, avant de se concentrer sur 2 frères sortant d’un magasin de guitares. On se croirait devant un Ozu ou un Truffaut, et on rentre ainsi facilement dans cette intrigue. Hong propose alors une construction narrative originale, mêlant de façon intelligente la réalité à la fiction sans d’ailleurs les différencier le moins du monde à l’écran : dans la première partie qui s’avère être par la suite un court-métrage, un jeune adulte retrouve un amour d’adolescence et tous les 2 se redécouvrent intensément jusqu’à vouloir mourir ensemble, rappelant le Passion de Masumura. Puis l’histoire s’arrête abruptement pour s’intéresser à l’actrice qui a interprété le rôle et qui est poursuivie par un jeune cinéaste ami du réalisateur.
Réflexion sur le paradoxe de la mort dans la vie de chacun (ceux qui vivent pensent à mourir, et ceux qui sont sur le point de mourir veulent vivre…), introspection sur la relation entre homme et femme, abandon des illusions de la jeunesse, Conte de Cinéma est tout cela à la fois, s’appliquant sur les dialogues et sur les situations. Mais il reste un film distant, un peu froid, dont la mise en scène est assez discutable : composée de plans fixes animés au bon moment par un zoom avant relativement rapide sur les personnages, elle surprend voire gêne, tant ce choix est parfois à la limité du bon goût ou même carrément injustifié.
Avec la Femme est l'avenir de l'homme, Hong Sang Soo avait tenté de casser la symétrie de ses structures narratives, leur mécanique (trop) parfaite au risque de l'embrouillé. Avec Conte de Cinéma, le cinéaste revient à sa classique symétrie de dispositif pour ce qui constitue son premier faux pas. Son art du plan séquence et son humour unique sont toujours là mais la magie semble s'être faite la malle cette fois. Les scènes de sexe et de saoulerie sentent ainsi le déjà traité en plus émouvant, en plus inspiré, avec plus de grâce. Quant au dispositif narratif, il tombe dans le piège jusqu’alors évité de justesse de l’artifice scénaristique et n’évite pas non plus celui de la lourdeur. Spoilers Soit une première partie classiquement HSS avant que la seconde partie nous fasse réaliser que c'est un "film dans le film" (procédé mille fois usé) que le héros de la seconde vient de voir. Commence alors pour lui une tentative de "rejouer" le film avec l'actrice qu'il a rencontré par un "hasard/coïncidence". Sauf que cette fois le hasard servant le propos du film sur les rapports vie/cinéma tombe ici dans l'artifice scénaristique . Fin Spoilers
Et ce dispositif appuie de plus des constatations qui sont des lieux communs sur les rapports entre cinéma, réalité et spectateur: les points communs du cinéma et de la réalité, l'incapacité du cinéma à être vraiment conforme à cette réalité (et l'inverse), la tendance des spectateurs à projetter leur vécu dans le cinéma. Les correspondances sont en outre cette fois particulièrement lourdes. Spoilers L'affiche du film la Mère et la tentative de suicide mettant à nu les problèmes du personnage avec sa mère par exemple. Fin Spoilers Le surlignage par le dialogue du lien des situations avec le cinéma est du très lourd, Spoilers du Godard de sous-préfecture: la seconde partie est censée se passer dans le monde réel mais on nous rappelle qu'on regarde un film de fiction et que ce n'est "que" du cinéma. Fin Spoilers Quant à la voix off, elle a tendance à trop boucher ces trous narratifs qui faisaient le charme de certains des films précédents du cinéaste. D'où un film qui se met à sentir le d'abord pensé en fonction du concept et de la théorie, le fim d'auteur artificiel. Et à part ça? Un recours agaçant et systématique à du gros zoom seventies brouilon totalement hors de propos.
Cette fois, les accidents de tournage ne sont plus là, la magie n'était pas au rendez-vous et ne restent que de la (mauvaise) théorie et un dispositif narratif moins inspiré.