Autant l'avouer tout de suite, je fais partie de ceux qui ont apprécié Ad-lib Night, du même réalisateur, et le fait de retrouver une ambiance comparable ne pouvait que me réjouir. Sauf que cette fois-ci, l'essai s'est transformé en confirmation.
Heureusement, j'avais fait l'impasse sur le synopsis avant de me lancer dans le visionnage de ce film. En effet, le pitch de départ est minimal, et la fable, au sens théâtral du terme, est d'une simplicité affligeante. Mais c'est finalement bien naturel lorsque la narration passe essentiellement par les images, par les expressions des acteurs, tous ces détails qui sont tout aussi puissants que s'ils étaient exprimés en mots. Ne connaissant pas l'oeuvre originale, je peux difficilement me prononcer, mais il me semble qu'il y a justement cette justesse de l'image propre au domaine de la description littéraire. Et cela est d'autant plus appréciable que la photographie se savoure à chaque nouveau plan. Quelques petites audaces de mouvements de caméras me viennent également à l'esprit, comme par exemple le plan-séquence d'entrée de jeu suivant différents personnages, ou encore une vue en plongée suivant la voiture depuis le toit d'un immeuble.
J'avais déjà adoré la temporalité réduite dans Ad-lib Night, qui durait moins de 24 heures, ici on retrouve le même concept avec une simple journée, comme l'implique le titre coréen ("Belle journeé"). Jeon Do-yeon et Ha Jeong-wu, qui n'ont plus rien à prouver, portent le film sur leurs épaules, et avec talent bien évidemment. Mais ils sont accompagnés par l'excellente mise en scène, et sa manière de représenter la capitale. Le talent du réalisateur vient alors de raconter beaucoup, de faire référence à plusieurs événements passés sans les raconter, en se limitant à quelques heures de la vie des personnages.
C'est donc un véritable coup de coeur en ce qui me concerne, je me suis avalé ces deux heures sans même m'en rendre compte, avec un sourire permanent devant ce que je considère comme de la poésie urbaine: simple, froide mais sensible.
Bien que My Dear Enemy passe une bonne partie de son temps sur les routes, il n’est nullement ici question de film sur la prévention routière. Ne tombons pas non plus dans le piège des généralisations, non, toutes les femmes au volant ne font pas la gueule comme Hee-Su (Jeon Do-Yeon). Et tous les passagers moyens ne sont pas du même acabit que Byong-Wun (Ha Jeong-Wu), ultime dans le rôle du bon pote un peu lourd, de l’ex qui en fait des tonnes pour masquer une vraie sensibilité. D’ailleurs dans son registre aussi, Jeon Do-Yeon se confectionne une carapace pour ne pas trop dévoiler ses émotions et au cinéaste alors de créer le doute, une tension, autour du passé et du présent de l’actrice, venue voir son ex-petit copain pour lui réclamer quelques 3500 dollars qu’elle lui avait prêté quand ils étaient toujours ensembles et qui n’ont toujours pas été remboursés. Si Hee-Su peut paraître une classe au-dessus que Byong-Wun, cette impression n’est qu’en surface : Hyundai dernier modèle, vêtements classes, allure de jeune prétentieuse hautaine. Pourtant elle est tout autant dans le désarroi que Byong-Wun, qui lui affiche son apparence de vagabond porte-à-porte, non pas pour proposer des catalogues de séjours aux Bahamas, mais pour réclamer de l’argent aux demoiselles –mariées ou non- qu’il a fréquenté en tant qu’ami ou amant dans le passé et qu’il continue de voir de temps en temps, toujours pour aider en cas de besoin malgré son absence véritable de revenus. Ce qui est intéressant chez ce personnage c’est bien entendu son ambigüité. Son rôle de grand enfant naïf, aux manies parfois lourdes –il frôle par moment le jusqu’au-boutisme avec Hee-Su- contrastent avec sa sensibilité et son côté absolument débrouillard face à la difficulté. Lee Yoon-Ki expose donc une galerie de personnages dans la douleur (une douleur de cœur, difficultés financières, tout ça la trentaine bien entamée) mais faisant preuve d’abnégation tout en se questionnant, du côté de Hee-Su, sur le fond même du geste : doit-on accepter le fait d’aller faire quémander de l’argent chez une inconnue, surtout si cette personne connaît des difficultés? Femme enceinte divorcée, bikers fauchés, étudiantes sans le sou, tout y passe avec en seule ligne de mire la réunion des 3500 dollars.
Au départ, Hee-Su n’inspire pas la sympathie. Elle est une femme fière qui refuse de mettre sur la table ses sentiments sous peine de paraître faible et de prendre le geste de la réclamation de l’argent comme un prétexte à revoir son ex-copain. On y sent une certaine forme de remords au fur et à mesure que le film avance, mais cette ballade avec Byong-Wun n’a rien d’une torture, elle permettra de faire le point sur la situation actuelle entre les deux protagonistes, tout en partageant des moments agréables pas censés se dérouler à l’origine : lorsque Hee-Su pense à acheter une canette de café froid à Byong-Wun, le geste permet de montrer qu’elle se rappelle du goût particulier de ce dernier pour cette boisson et qu’il lance ainsi une forme d’ouverture, une forme de communication auparavant impossible qui permettra de rendre le voyage plus agréable que prévu. Au tout début, Hee-Su s’attendait à recevoir l’argent rapidement et que cela aurait pris un quart d’heure tout au plus. Il en sera tout autrement, Lee Yoon-Ki permet d’ailleurs au spectateur de rencontrer des personnages particuliers (la jeune femme extrêmement riche), voir déstabilisants (la bière prise aux côtés du couple de jeunes mariés douteux) dans l’optique d’exaspérer Hee-Su et Byong-Wun, d’y montrer le malaise tout à fait probable entre des êtres qui s’aiment et qui vivent confortablement. Ces derniers ne vivent plus ensembles, mais finissent par se comprendre car ils ont chacun vécu un passé à peu près semblable où la rupture était la solution pour éviter la pauvreté. La société actuelle ne semble donc être régie que par l’argent, par la richesse matérielle, mais est-ce qu’elle participe au bonheur simple ? Il est d’ailleurs très intéressant de voir que plus la quête avance, moins les jeunes femmes sont riches et donnent plus facilement sans forcément attendre en retour. La jeune femme riche, hautaine, suffisante du début est donc une réponse sensée à cette question surtout lorsque l’on voit le sourire et l’infinie gentillesse de cette autre femme en fin de métrage, élevant seule son enfant. Contraste des classes, contraste des profiles.
My Dear Enemy joue donc avec les apparences, avec les fondements mêmes de la société coréenne, ici Yongsan-gu à Séoul, dépeint ici comme un lieu de grande inégalité. Une enfant doit décoller des chewing-gums dans les classes de son école pour rentrer chez elle, des bikers se retrouvent sur le toit d’un immeuble crasseux pour partager des saucisses, on court vers les stands de dégustation de sangria gratuite parce que les temps ne sont pas propices à la dépense. On mange au KFC parce qu’on s’en fiche. Les deux heures passées en compagnie du « couple » sont quasiment une introspection de la ville à part entière, ce qui est doublement intéressant lorsque le scénario, bien construit, annonce quelques jolis moments de cinéma émouvant, sans chercher la larme facile. On ne pleure pas dans My Dear Enemy, on compatit si l’on a un peu de cœur sous l’imper’. Merci à l’interprétation toute en retenue de Jeon Do-Yeon et à la cocotte-minute Ha Jeong-Wu formant ainsi là-aussi un couple de contraste, bien aidé par la mise en scène de Lee Yoon-Ki qui aura su choisir les cadres (distance, superbes plans sur le rétroviseur intérieur reflétant les regards perdus) tout en faisant preuve d’une belle maîtrise de l’utilisation de la focale pour séparer les personnages du « monde réel » puisque leur objectif est de trouver cet argent. D’ailleurs, à partir du moment où il y a communication avec l’individu extérieur, la focale disparait pour donner une vraie netteté à l’ensemble. D’un autre côté, la musique discrète aux sonorités jazzy américaines rappelle qu’elle peut désamorcer l’émotion facile en se concentrant sur le côté « ridicule » de cette quête qui s’éternise (elle devait durer un quart d’heure, elle durera toute la journée). Finalement après un Ad-Lib Night en demie teinte, Lee Yoon-Ki réussit avec My Dear Enemy à montrer le versant humaniste de l’être humain, sa sensibilité cachée derrière trois couches de fond de tain, sa capacité à évoluer face à « l’ennemi » et en tirer des conséquences positives malgré de gros aprioris. Un voyage nécessaire pour repartir sur de bonnes bases.
Film après film, Yi Yoon-ki s'est avéré un merveilleux filmeur de femmes…et incontestablement l'un des auteurs les plus passionnants en activité dans l'actuel paysage coréen. C'est à force de persévarénce et d'engagemetn eprsonnel, qu'il a pu aller au bout de ses projets – et une fois de plus l'ahrgne et la volonté d'un homme est jsutement récompensé en écopant d'un budget assez conséquent, qui lui permet de s'assurer des bonnes conditions de tournage et la contribution de deux des meilleurs acteurs coréens en activité actuellement. Ha Jung-woo confirme tout le bien qu'on a pu penser de lui au cours de sa jeune carrière, dont ses remarquables prestations dans "Unforgiven", "Time", "beastie Boys" ou encore celui du tueur psychopathe au sang particulièremetn froid dans "The chaser". Jeon Do-yeon marche dans les pas d'une Moon So-ri, notamment en ayant réussi à décrocher un prix d'interprétation tout à fait mérité dans le récent "Secret Sunshine".
Tous deux acteurs portent le film à bout de bras – ob-li-ga-toire pour faire fonctionner cette toute petite histoire une nouvelle fois adaptée – comme le précédent Ad Lib Night" d'une nouvelle d'Azuko Taira. Leur alchimie est absolument incroyable, dans els non-dits et longs regards appuyés, qui en disent plus longs que tous les mots…
Mais c'est également la mise en scène de Lee – et notamment sa belle description de la vie et de la ville – qui font de ce film un chef-d'œuvre. Alors que sur papier, le scénario tient sur une ligne et promet d'être ennuyeux au possible, il n'en est rien et pas une fois l'ennui ne vient guetter le spectateur, ni les scènes redondantes se répéter.
Un tour de force, qui mériterait franchement une plus large exposition en Franc et la consécration de son réalisateur.
J'avoue, j'attendais Lee Yoon-Ki (dont j'adore les trois premiers films) au tournant sur ce nouveau projet s'annonçant plus commercial (faut dire que ni le pitch, ni la promo, ni le titre anglais à la gomme ne laissaient penser le contraire), craignant qu'il ne se fourvoie dans un film sans doute pas mauvais mais quelconque. Parfois c'est bon de se tromper et de reconnaitre qu'on avait tord. My dear Enemy est donc du niveau des précédentes réalisations du cinéaste, peut-être même meilleur parfois, j'en sais rien, juste dommage qu'il traine un peu en longueur dans sa troisième demi-heure. Franchement, je suis impressionné par la manière avec laquelle il se saisit d'un argument scénaristique galvaudé pour finalement en faire quelque chose de personnel, empli de la sensibilité et de la finesse qui caractérise ses films (et qui, il faut le dire, manque cruellement au cinéma coréen).