Un roman porno correct
De bien meilleure qualité que le premier épisode de la série, Red Classroom décrit à sa manière les conséquences dramatiques dans la vie d’une femme qui s’est fait violée pour les besoins d’un film porno clandestin. Lorsqu’un producteur du milieu visionne ce film, il tombe obsessionnellement amoureux de cette femme, et part à sa recherche. Il trouvera une Nami TSUCHIYA complètement désorientée et détruite, pour qui la vie ne signifie plus rien et dont les derniers espoirs d’un retour à la « normale » seront bafoués, la propulsant vers des lieux et des comportements de débauche extrême au beau milieu du vice des hommes. Priorité est bien sûr donnée aux scènes érotiques pendant lesquelles SONE déploie des trésors d’imagination pour camoufler les sexes qui s’unissent (derrière une table, cachée par des vêtements,…), au risque que son intrigue en pâtisse – notamment lorsque Nami entraîne un jeune homme avec lui et se montre insatiable. Roman porno typique des années 70-80 produit par la Nikkatsu, Red Classroom est au final un produit de consommation correct, jouant sur l’ambiguïté de la satisfaction de la libido avec une femme lubrique qui souffre intérieurement.
Portrait d'une Femme Brisée
1978, le premier film de la (finalement) licence cinématographique Angel Guts, High-School Co-Ed, est sorti en salles et demeure un bon succès qui sauve pour quelques temps la Nikkatsu du marasme à laquelle elle s’est embourbée (des films de plus en plus dérangeants, des mesures de censure de plus en plus extrêmes, des cinéastes démissionnaires tel que Hasebe, Kumashiro…). Elle est sauvée grâce au génie d’un jeune Gekigaka qui fait fureur avec ses histoires d’Eros et Thanatos en ville publiées dans les magazines comme Young Comics ou GARO ; Takashi Ishii.
S’il n’est pas scénariste d’High-School Co-Ed (écrit par le jeune Toshiharu Ikeda, un de ses meilleurs collaborateurs), il écrira durant une dizaine d’années des Roman-Porno de grande volée. Mais s’il écrit autant pour l’écran, en plus du papier à dessin, c’est qu’il caresse lui-même depuis toujours la réalisation. Il prépare dans son coin un projet au nom de travail mystérieux de "Butterfly", qui deviendra, au fur et à mesure des années de réécritures, d’abord Love Hôtel de Shinji Somaï, puis son Rouge Vertige. Mais en attendant, il signe, avec la collaboration de Chûseï Sone (qui rempile à la réalisation) le scénario de Red Classroom.
La suite du Gekiga éponyme The Angel Guts n’étant pas encore publié en recueil (il le sera plusieurs mois après la sortie du second film), Ishii décide de prendre dans son répertoire assez conséquent pour sa jeune carrière (il n’a pour l’instant publié que trois recueils, le premier tome d’un roman graphique et un art-book définitivement épuisé). Il baptisera son scénario du nom de son dernier recueil fraichement sorti ; The Red Classroom.
Les premières images du film sont suffocantes ; on y suit la cavale d’une jeune lycéenne dans les couloirs de l’école. Rattrapée, elle sera longuement violée. Les scènes sont tournées en Super-8 avec tout le côté brut et rugueux que cela implique. On découvre en fait, par une habile mise-en-abîme, la projection d’un film amateur titré "La Classe Rouge". Ému par la jeune actrice, un jeune pornographe relativement blasé nommé Muraki souhaite retrouver la jeune femme, devenue prostituée. Une fois qu’il l’a retrouve, il découvre avec stupeur que le viol n’était pas simulé et que par conséquent, le film amateur n’est en fait qu’un sordide snuff. Muraki fera la promesse de la retrouver le lendemain pour tout quitter, mais un incident lui fera mettre en garde-a-vue (on est en pleine tragédie japonaise avec ses promesses jamais tenues et ces dames qui attendant jusqu’à la mort). La pauvre jeune femme, qui aura attendu trois longues heures sous la pluie, décidera de sombrer définitivement dans la débauche lors d’une scène érotique effrayante (elle viole quasiment son client).
Là commence, ce qui deviendra un motif récurrent dans le cinéma d’Ishii ; l’ellipse temporelle à très longs termes. C'est-à-dire qu’entre deux scènes, il y aura un carton précisant "Trois ans plus tard". Ce sera le cas avec Love Hôtel, Seule dans la Nuit, Les Orchidées du Clair de Lune, The Girl & the Wooden Horse Torture et également Freeze Me. Ces cartons sont là, non pas pour nous situer la chronologie narrative du film, mais bel et bien pour nous conter la déchéance des personnages. S’il on sait dés le départ que Nami est une femme brisée, la véritable déchéance est celle de Muraki. La deuxième partie du film commence, il est marié avec une aspirante actrice qui le harcelait au début pour qu’il lui donne sa chance, et il est le père d’une petite fille nommée Nami. On le sait rangé, mais on le sent malheureux. Car la véritable descente aux enfers du film est bien celle du pornographe (celle de Nami est déjà contenue dans le Super-8). En essayant de retrouver cette femme, il subira mouts attaques (mariage avec une femme qu’il n’aime pas, passages à tabacs, une nuit au commissariat, témoin d’une sordide tournante…), perdant de plus en plus ses illusions, malgré l’espoir qu’il caresse de sauver la pauvre Nami.
Le film devait originellement se terminer sur le viol de Muraki par les yakuza (ce qui, pour les plus pessimistes d’entre tous, est plus ou moins sous-entendu), mais il fut souhaité que l’on ne puisse aller aussi loin que nécessaire (la fin est d’un sordide aussi équivalent que les conclusions sinistres de la Pentalogie du Viol d’Hasebe). Même les dialogues furent changés, initialement, les propos de Muraki envers Nami été du genre "chacun sa merde", mais ne voulant sombrer plus dans l’horreur, il souhaita garder l’innocence d’esprit du pornographe (sic!) qui, jusqu’à la dernière minute, souhaitera sauver la pauvre dame, définitivement détruite, mais profondément lucide.
Sone signe un film des plus nihilistes, mais d’une grande poésie, propre à Ishii. Mais surtout signe un de ses meilleurs. Red Cassroom forme avec le Fulcien Nami (le N°3) et Rouge Vertige (le N°5) le trio de tête de la série.