Montagne sans assez de magie
Tourné un an après le gros succès de La Chanteuse de Pansori, Les Montagnes Taebek démontre que le cinéma coréen n'avait pas attendu son boom récent pour revisiter la face noire de l'histoire de la Corée du Sud. Il est question ici de la façon dont le gouvernement coréen de 1948-49 va mater un soulèvement pro-communiste dans un village du Sud du pays avec l'aide américaine. Soit un évènement en forme de répétition de la Guerre de Corée à venir. Et la superbe fin du film permet de mieux cerner les intentions du cinéaste: il est ici question de montrer non seulement la tragédie d'une nation en voie de fractionnement. Mais également de figer le moment où cette identité coréenne chère au cinéaste, cette identité qu'il veut raviver à une époque où le culte de la consommation l'a remplacée est en train de disparaître. Se déploie dès lors un film sans vrai personnage principal, un film où chacun a l'opportunité d'exister et d'avoir ses raisons. Raisons de lutter contre le communisme au risque de méthodes expéditives, raisons pour les paysans coréens d'adhérer au communisme sans en partager l'idéologie, raisons de trahir juste pour survivre...
Le film ne se concentre d'ailleurs pas sur la métaphore lourdingue des deux frères ennemis combattant dans des camps opposés comme symboles d'une nation fractionnée et la narration scande le tableau d'un contexte historique qui pousse les villageois à violenter leurs voisins, les communistes à troquer leurs idéaux pour le recours à la violence. Le tout sous le regard triste d'un instituteur neutre face aux évènements, furieux aussi bien face à la répression du communisme que face aux violences commises au nom du communisme. Aucun vainqueur ici et le sang s'accumule pour rien. Le tout parfois asséné avec un didactisme un peu inévitable au vu du sujet. La mise en scène tente elle de jouer la carte de l'économie d'effets tandis que le film refuse toute emphase. Violence et émotion sont parfois rendues plus terribles par le recours à la distance. Et quelques passages plus stylisés viennent trouer cette sobriété.
Mais le film manque par moments de rythme et sobriété flirte parfois ici avec platitude formelle. Ceci dit, Les Montagnes Taebek creuse bien plus le rapport de la Corée à son histoire que bien des oeuvres récentes ayant trop tendance à rester en surface. Rien que pour cela, il mérite un petit détour.