Ils ne faisaient pas partie d'une secte et s'étaient rencontrés, sur l'Internet, pour se tuer ensemble. Le 11 octobre, sept jeunes adultes ont été retrouvés morts à bord d'une voiture. Un fait divers retentissant dans l'archipel, où le taux de suicides est l'un des plus hauts au monde.
Par Michel TEMMAN
lundi 01 novembre 2004 (Liberation - 06:00)
Tokyo de notre correspondant
lundi 11 octobre. Alertés à 17 h 50 par un appel les informant de l'imminence d'un suicide collectif à bord d'une voiture circulant près de Minano, les policiers du district de Chichibu, à 100 kilomètres au nord-ouest de Tokyo, réagissent au quart de tour. L'appel n'a rien d'une plaisanterie. La nuit est tombée, inutile d'envoyer les hélicoptères. Des unités mobiles, en contact avec l'Agence nationale de police (NPA), se lancent sur les traces de la voiture mystère. La recherche ne dure guère. Un e-mail a été réceptionné, indiquant où se rendre : sur une route de montagne, dans un parc naturel. Quand les policiers arrivent sur les lieux, un monospace gris est immobilisé sur un parking. Il est trop tard.
Dans le véhicule immatriculé à Shinagawa (Tokyo), les policiers découvrent sept cadavres. Quatre garçons et trois filles, ligotés les uns aux autres. Ils ont une vingtaine d'années, moins pour certains, encore adolescents. La plus âgée a 34 ans. Elle a laissé un mot, à l'adresse de son enfant : «Ta mère meurt. Mais j'ai été heureuse de te mettre au monde...» Derrière la jeune femme, effondrée au volant, s'étaient installés deux filles et un garçon. Et, sur la dernière banquette, trois garçons. L'arme du suicide : quatre réchauds à charbon, pour une mort par asphyxie.
«C'est ce que nous voulions»
Le 12 octobre au matin, la nouvelle est aussitôt reprise en boucle au Japon et à l'étranger. Les hélicoptères des chaînes de télévision fond des ronds dans le ciel de Saitama, filmant sans fin le lieu du drame. La voiture a été recouverte d'une bâche bleue. Les Japonais sont choqués. C'est alors que tombe une autre nouvelle. Le 11 au soir, deux jeunes femmes, âgées de 21 et 27 ans, se sont suicidées à Yokosuka, à 100 km au sud-est de Tokyo. Elles aussi, de source policière, après avoir conclu un pacte sur l'Internet. Elles se sont rencontrées le lundi. Ont loué une voiture. Roulé un moment. Avant de se garer près d'un temple, vers 18 heures. Et de se donner la mort en inhalant, elles aussi, le gaz d'un réchaud à charbon de bois. Elles ont laissé un mot à leur famille. «C'est ce que nous voulions. N'allez pas chercher d'autres raisons.»
Neuf anonymes (leur identité a été tenue secrète) dont l'acte de mourir, choix intime, est devenu un événement retentissant. Sur deux colonnes à la une, aux côtés de l'Irak, des investissements nippons en Chine ou des déboires du groupe Daiei. Une médiatisation, dit-on, «utile». Les suicides étaient liés. La police a recoupé les deux drames et découvert qu'une victime de Yokosuka avait tenté, précédemment, de se donner la mort avec une suicidée de Chichibu. Dans les deux cas, la détermination froide des jeunes a laissé les enquêteurs incrédules. Et la classe politique japonaise, occupée à ses affaires, sans voix.
«Nous sommes sept dans la voiture»
L'enquête s'est d'abord orientée vers les opérateurs de téléphonie mobile. D'où provenait l'appel donné aux policiers de Chichibu, le 11 octobre à 17 h 50 ? Le numéro a été composé à mille lieues, à Sapporo (île de Hokkaido, au nord du Japon), par un homme de 21 ans. Contacté, il témoigne. Il est un ami proche d'une des victimes. La veille, en découvrant sur l'écran de son portable l'e-mail de son amie, il a sursauté. «Je suis dans la ville de Minano, lui écrivait-elle. Nous sommes sept dans la voiture. Nous allons commettre un suicide.»
Tout a débuté le 22 septembre, quand, à Tokyo, la jeune femme de 34 ans a posté sur le Web un message clair et net : «Recherche compagnons pour mourir avec moi.» Le 5 octobre, la police, alertée à temps, la découvre avec trois jeunes femmes, en vie mais à peine conscientes, après avoir inhalé du monoxyde de carbone. Décidée à en finir, elle récidive le jour suivant. Enième message sur le Web. «Recherche compagnons pour suicide collectif. Je connais la méthode. J'ai une expérience ratée de tentative de suicide.» Six volontaires répondent à l'appel. Trois ont 20 ans : une chômeuse de Saga (à 900 km à l'ouest de Tokyo), un intérimaire d'Osaka (à 400 km à l'ouest) et un étudiant d'Aomori (à 500 km au nord). Aucun ne se connaît. Qu'importe. Avec méthode, unis dans leur pacte de mort, ils s'organisent. Et se retrouvent le lundi 11. Louent le monospace. Direction : Minano. Ils se garent sur un parking désert. Au pied de cyprès géants. Dans le silence de la nature. L'un d'eux programme son portable. Un message sera envoyé ultérieurement, donnant leur position. Ils obturent d'adhésif les vitres, les entrées et sorties d'air. Ligotent leurs torses, leurs poignets. Avalent des somnifères et allument les réchauds à charbon.
Cybersuicides
Pour un enquêteur de la NPA, il n'y a aucun doute : «Ces deux affaires sont des pactes de suicide conclus sur l'Internet.» Un fléau connu ailleurs. Les cybersuicides sévissent aussi en Corée du Sud, en Nouvelle-Zélande, aux Etats-Unis, en Europe du Nord. Des jeunes, esseulés, font connaissance sur des sites spécialisés et commentent leur solitude, leur mal de vivre existentiel, familial, amoureux ou professionnel. Ils vont parfois plus loin. Et se rencontrent pour une première et dernière fois. Au Japon, les chiffres inquiètent : 20 jeunes se sont suicidés ainsi depuis le début de l'année ; 34 jeunes en 2003, via douze pactes. Depuis janvier 2002, il se crée un pacte de suicide par mois sur le Net nippon.
Les regards se tournent vers la Toile nippone. Celle-ci abrite au moins 8 000 sites très morbides, spécial jisatsu (suicide). Avec musique classique, animations flash et technologie d'animation dernier cri. Entre 200 et 300 connexions par jour. Les confessions et les annonces sont gratuites. Du type : «Recherche partenaire pour suicide à deux. Si tu es sûr, si tu veux mourir, écris-moi. Yuji, 23 ans, Tokyo.» Sur d'autres sites, les cerisiers sont en fleur et leurs pétales rouge sang, croix gothiques et squelettes trépignent face à la Vierge Marie, ou encore héros vampiriques, sigles néopunk, vues romantiques sur le mont Fuji et sa forêt des suicidés, illustrent ces guides en ligne, aux effets parfois létaux.
Avec sarcasme, un site vante les mérites du monoxyde de carbone, préféré au saut sous le train. «Le coût du nettoyage est facturé des millions de yens à la famille par la société de chemin de fer.» Pas un détail macabre ne manque à ces sites au design sophistiqué. La police et des associations de parents d'élèves aimeraient les faire fermer. Mais c'est ce à quoi s'oppose Inochi No Denwa, de Ligne de vie, une hotline de conseil. Pour l'un des responsables, l'important n'est pas la censure, c'est la prévention. «Mieux vaut apprendre aux jeunes à bien utiliser le Web.» Des parents un rien réac accusent encore les mangas, la télé, le cinéma... Comme l'explosif film Suicide Club, du jeune réalisateur qui monte, Shion Sono, qui, sorti sur les écrans en 2000, mettait en scène le suicide collectif de 54 collégiens se jetant sous le métro.
Pour le Pr Enosuke Hosokawa, de l'université du Tokai, «les suicides groupés sont un phénomène récent et complexe». Où se mêlent des causes multiples qui l'éloignent de l'idée hâtive d'y voir un hara-kiri des temps modernes. «Les jeunes Japonais, explique Makiko Ooka, psychologue, sont trop câlinés, couverts et dorlotés par les familles, l'école et la société. Beaucoup n'ont pas confiance en eux. Ils sont déprimés. D'autres sont exaspérés par les obligations, la politesse à outrance... Pour ceux qui souffrent de la solitude, incapables de lier des relations humaines, le monde virtuel est un salut. Et l'Internet un support inestimable. Dans le monde virtuel, les plus timides parviennent à nouer des amitiés. Ils reprennent confiance. Si deux jeunes sympathisent dans le virtuel et découvrent qu'ils ont des vecteurs communs, la même pulsion suicidaire par exemple, ils peuvent ressentir une profonde amitié l'un pour l'autre. Le cas échéant, cela peut aboutir à un pacte de suicide en ligne.» L'an passé, à Tokyo, un livreur de sushis a posté maintes fois le même message sur un site : «Recherche compagnons pour mourir en groupe. Il est trop triste de partir seul.»
«Grave problème de santé publique»
La psychiatrie nippone «est déficiente», blâme un psychiatre. Courir chez le psy n'est pas un réflexe au Japon. Certes, la psychiatrie s'est démocratisée et s'ouvre dans l'archipel (on peut y avoir recours dans le cas de la perte d'emploi) mais les choses évoluent très lentement. L'époque, dans les années 60, où le Japon et l'Allemagne de l'Est étaient les pays les plus suicidaires est loin. Il n'empêche. Le taux de suicide nippon chez les hommes est supérieur à la moyenne mondiale (26 suicides pour 100 000 habitants) : en 2003, 34 427 Japonais se sont donné la mort (lire encadré). Le ministère de la Santé s'inquiète. Le nombre des suicidés âgés de 19 ans ou moins a bondi de 22 %.
S'inspirant de la Suède et des Etats-Unis, le Japon a lancé, en avril 2004, un plan de prévention chez les 15-25 ans. Peine perdue ? «Le suicide est devenu un grave problème de santé publique. Une des premières causes de décès chez les jeunes, groupe devenu très vulnérable, déclarait le 10 octobre, à l'occasion de la Journée mondiale de la santé mentale, le Dr Shigeru Omi, un directeur de l'OMS (Organisation mondiale de la santé). C'est un problème de santé mentale négligé depuis longtemps et mal compris du public.» Chaque année, dans le monde, 1 million de personnes se donnent la mort. Soit un suicide toutes les 40 secondes et, au Japon, toutes les 23 minutes.
«Les suicides collectifs vont se poursuivre, prédit un psychosociologue. Les enfants gâtés nés durant la "bulle" économique des années 80 ne savent plus à quoi se raccrocher. Rien ne les intéresse. Pas même la vie, qu'ils quittent sur un coup de tête.» En février 2003, l'annonce du report de la vente du jeu vidéo de combat Dead or Alive a traumatisé les otaku (fadas de jeux vidéo). Furieux, 147 d'entre eux, collégiens ou lycéens, se sont suicidés en gobant des poches de silicone.
c'est clair c'est comme dans Paranoia Agent, tiens Jérôme si tu es intéressé j'ai vu il y a quelques jours Ikinai, sur le même sujet, traité sur un ton parfois plus léger, parfois grave, il y a la fiche sur cinémasie si tu veux, c'est un très bon film, pas parfait mais bon quand même.
Leur vie est trop stréssante, dire que c est les enfants pourris gater qui se suicide, je sais pas, faut étre le meilleure, aprés c est boulot, boulot, faut faire partis de l élite, sinon t es rien là bas !
Mais ça fais de la peine :(
03/11/04 14:11 RE: Vu dans aussi dans Paranoia Agent...
par Tong Po
En Europe aussi on se sert du net pour des annonces flippantes.
En Allemagne ya un mec qui a trouvé ainsi quelqu'un pour le manger.
C'est une histoire qui a inspirée une des chansons du dernier Rammstein (Mein Teil la chanson je crois).
"En février 2003, l'annonce du report de la vente du jeu vidéo de combat Dead or Alive a traumatisé les otaku (fadas de jeux vidéo). Furieux, 147 d'entre eux, collégiens ou lycéens, se sont suicidés en gobant des poches de silicone."
Je précise au passage que cette phrase était à l'origine une blague dans un magazine de jeux vidéos, et qu'elle a été prise au premier degré par le journaliste, qui n'a pas capté l'allusion "DOA-silicone" :D