On ne cesse de nous dire que la Corée du sud est le nouveau pays à suivre, que de nombreux talents vont émerger accompagnés d'un certain renouveau, tout comme HK le fut à l'ère préhistorique. Bénéficiant d'un buzz terrible, Sur la trace du serpent fait partie de cette première offensive concrète chez nous.
Pourtant, dur (impossible ?) de réitérer le choc que fut ATE pour les amateurs de néo-polar. Donc, évidemment sans atteindre ces niveaux de jouissance, SLTDS procure tout de même un plaisir indéniable, ce qui est déjà pas si mal. Sans jouer la carte du multi-genres (polar+thriller+actioner), le plot reste dans le polar pur et dur presque à l'ancienne (une traque, une enquête, des filatures, des poursuites) mais - vous vous en doutez - innove et passionne par sa mise en forme.
Ainsi, si l'histoire est très basique (mais ça, on s'en fiche carrément), le réalisateur truffe son oeuvre de détails graphiques heureusement plus sympathiques qu'expérimentaux, sans être conventionnels. Et, miracle, ils forment une cohérence étonnante qui permet au récit de s'auto-générer, permettant à l'intrigue de passer en second plan (et ça, peu y arrivent). Mais tout ceci serait infiniment moins intéressant s'il n'y avait cet humour très bien porté par les interprètes qui dénote avec ce que peut faire un tandem Chris Rock-Joe Pesci.
Particulièrement vif et jouissif (des interrogatoires comme il en faudrait plus !), particulièrement misogyne qui plus est (un très bon point, donc), SLTDS, même s'il s'essouffle malencontreusement dans les dix dernières minutes, revitalise le genre et sert à coup sûr de préambule au néo-néo-polar du nouveau siècle.
Comme dans beaucoup de films de ce genre, on démarre avec quelques minutes assez étourdissantes, presque sans dialogue, des effets en veux-tu en voilà, musique omniprésente. Ensuite, on construit un scénario et on se calme un peu. Mais cela reste avec tout une démonstration formelle, surtout pendant les trois premiers quarts d'heure. Ensuite on voit se former quelques idées de fond intéressantes.
Pour en revenir à l'aspect visuel, c'est un joyeux mixage d'idées, pas toutes géniales. C'est souvent le risque avec ce genre d'expérimentation : intéressant pendant 5 minutes, mais ensuite s'il n'y a pas de cohésion, on se lasse. Après un début à toute vitesse, le film se calme, heureusement dirais-je. Je ne pense pas que le réalisateur avait le talent pour tenir tout le film. Certaines idées sont bonnes, mais il manque un peu de cohérence dans ces effets de style. On dirait qu'il a voulu essayer un peu de tout. Ensuite il développe un autre style, plus calme, avec une magnifique utilisation des éléments naturels (pluie, neige, eau...). La photo est sublime, et je ne serais pas étonné de savoir que des effets numériques sont à l'origine de cette neige trop belle pour être vraie.En même temps on commence à distinguer le fond sous la forme omniprésente. L'intrigue reste très linéaire (les flics poursuivent le tueur), mais c'est au niveau de l'ambiance et de l'attente que le film trouve son intérêt. La poursuite s'allonge sur des mois, les flics sont omnibulés par leur mission, la tension est palpable. Le film livre alors quelques scènes plus intimistes : Woo va voir sa soeur, Kim pense à l'homme qu'il a tué. On dépasse le stade d'une démonstration visuelle vaine pour entrer dans un vrai film.
Je regrette tout de même quelques longueurs sur la fin, notamment après ce début assez explosif. Par contre au niveau casting, il n'y a pas à se plaindre, le gars Park Joong-Hoon livre une performance de haut vol. Par contre le tueur ne doit pas prononcer un seul mot à l'écran. On reste donc centré sur ce groupe de flic et la petite amie du tueur, elle aussi assez bonne (dans tous les sens du terme, vive les coréennes aussi...).
En bref, ne vous focalisez pas sur le scénario, vu et revu, le film est essentiellement visuel et un peu psychologique. En conséquence, il n'est pas vraiment tout public, certains vont le trouver trop MTVesque au début surtout... Ca ne peut pas plaire à tout le monde, c'est sûr. Mais à mon avis, avec plus de cohérence visuelle on aurait eu un grand polar. On en reste au niveau inférieur, en attendant le prochain opus du réalisateur pour confirmation.
Dans un mémorable pré-générique, le réalisateur s’est vraiment défoulé et a tenté d’y mettre tous les effets spéciaux possibles et imaginables du cinéma : couleurs monochromatiques, arrêts sur image, accélérés, ralentis, flous et mises au point, stroboscope, j’en passe et des meilleures… C’est très amusant à voir, mais ça ne sert strictement à rien (au sens qu’on aurait très bien pu s’en passer). A peine s’est-on aperçu qu’un meurtre vient d’être commis, alors que c’est pourtant le point de départ de l’intrigue. Ce film relance la douloureuse question de la forme et du fond. Dans certains rares cas, la forme est au service du fond, elle lui donne un cachet, voire une argumentation supplémentaire (cf. Wong Kar-Wai, encore et toujours…). Ici, que dalle, les effets de mise en scène qui polluent ce film ne sont que poudre aux yeux servant à masquer un scénario d’une inconsistance et d’une banalité à pleurer.
Car pendant plus de 90 minutes, des brutes de flics vont poursuivre les meurtriers présumés d’une manière totalement décousue et désordonnée ; tout repose sur les épaules d’acteurs qui en font trop et des effets spéciaux, ce qui n’est bien sûr pas suffisant (même si je reconnais que la scène de duel finale est très plaisante à voir). Ce film ressemble à un film de jeune cinéaste, qui s’est défoulé comme un malade en ayant oublié que la base d’un bon film, c’est quand même une bonne histoire… Et quand en plus on prône les vertus des tortures, tabassages ou humiliations de présumés coupables dans les commissariats de police, comme dans certains films de Hong-Kong (Amnesty International doit s’arracher les cheveux en voyant ça !), on préfère oublier ce film très discutable. Très vite.
Une équipe de flics ultra-violents qui traquent le vil bandit avec une bonne dizaine de bavures à la minute, le tout marinant dans un univers très sombre (pluie, neige et nuit semblent être les seuls états possibles du ciel Coréen…), c’est déjà pas mal. Avec en prime un personnage principal capable de mimiques aussi monumentales que celles d’Eric Tsang et nanti d’une démarche à faire pâlire d’envie Aldo lui même, on peut déjà obtenir un bon film… Mais avec une réalisation aussi ébouriffante, on atteint le fabuleux !
Les quinze premières minutes sont un véritable moment de bravoure. Certes, un côté un peu brouillon rend l’entame de l’histoire difficile à suivre. Mais quel brio à la caméra ! Un véritable tourbillon ! C’est bien simple, il ne doit pas y avoir de plan fixe dans ce début de film… Entre ralentis, accélérés, arrêts sur image, avance par saccades, jeu sur les couleurs, retouche des images et autre effets de style, tout y passe pour donner un aspect visuel détonnant et plutôt réussit au film. Même si la réalisation s’assagit quelque peu par la suite (n’est pas Tsui Hark ou Wong Kar-Wai qui veut !) on a tout de même droit à bon nombre de plans rapprochés, arrêts sur images, effets stroboscopiques, rotation autour des protagonistes, jeux de lumières ou encore transitions détonantes… Ceci n’est pas forcément un mal, cet "assagissement " restant tout relatif et laissant encore la place à de nombreux effets visuels agréables mais permettant tout de même une compréhension plus aisée de l’intrigue…
Mais les efforts de mise en forme ne s’arrêtent pas à la réalisation. La BO est elle aussi très intéressante et joue un rôle très important. Tous les styles y passent : du hard rock à l’harmonica en passant par la java ! Une musique souvent jolie, toujours intéressante et dans le ton. Une musique qui peut aussi laisser sa place à des moments de silence total du meilleur effet.
Je ne mettrais qu’un petit bémol : certains passages d’humour qui tombent plus ou moins à plat et cassent un peu l’ambiance… Mais rien de bien méchant !
Bref, une réalisation expérimentale (un peu à la Tsui Hark, certaines scènes de Serial Experimental Lain, un anime, pourraient également s’en rapprocher) pour une histoire de flics violents dans un univers assez trash et sombre (l’ambiance pourrait faire penser à quelques manga cyber-punk, si l’intrigue ne se déroulait pas dans un monde contemporain), peut être pas à mettre sous tous les yeux (ça peut surprendre…) mais à coup sûr un essai intéressant.
Lee Myung se est un réalisateur indépendant, dans un sens extrêmement précis. Sous le régime Park Chong hui, le cinéma servait d’outil de propagande. Lee Myung se a fait partie de ces réalisateurs peu nombreux qui bien que voulant faire du cinéma ont refusé de prôner « la vérité » du régime présenté par le cinéma. A la base de son cinéma, il y a une pensée contestataire, une dénonciation de la propagande qu’il a (via traduction) formulé en ces mots : « la réalité n’existe pas en dehors de notre subjectivité(1) ». D’abords discret dans sa méthode il cherche a créer un malaise chez le spectateur jouant sur des variations du discours habituel. Avec Nowhere to Hide, il atteint un degré de détournement d’une grande vivacité, et en un sens agressif. Pour être contestataire, il lui faut porté un regarde autre que l’officiel, mais sur un même objet. Son cinéma atteint une déréalisation qui rend l’entité du film, mais aussi chacune de ses parties extrêmement visible pour elle même et ce qu’elle est. Les references cinematographiques y sont tres nombreuses et collees les unes aux autres sans raccord : des compositions picturales proches de la peinture impressionniste, un vol de porte-feuilles qui cite Le Pickpocket de Bresson, une bagarre en ombres chinoises qui invoque La Secte du Lotus Blanc de Tsui Hark avant de se finir suivant une mise en scene de type cinema expressionniste allemand ou encore une lune en carton-pate au large sourir qui invoque Le Voyage dans la lune de Melies .
Nowhere to Hide est un film policier, l’enquête d’une équipe de policiers menée par les inspecteurs Woo et Kim sur un meurtre. Quatre femmes servent au cheminement de cette histoire.
La premiere sert de fil rouge au niveau de l’histoire mais aussi d’un point de vue visuel comme lorsque l’inspecteur Woo la suit dans les petites rues. L’enjeu est de la voir sans etre vu dans une circulation qui perd tout sens. Il court, il court le fure... Les raccords et mouvement font perdre toute notion d’espace au spectateur, c’est une course poursuite qui semble ne mener nul part. Tout le monde se perd de vue : Woo, la femme et la camera. La camera suit Woo, qui suit la femme qui fuit la police. Tous trois se perdent de vue avant de se retrouver et d’etre confronte a la camera et a l’autre comme egal. Chacun a suivit sa voie, et c’est lorsqu’ils se heurtent a la camera que la course s’arrete ; la camera est en un sens devenu personnage, elle n’est plus temoin des evenements, elle y participe(2) . Cette sequence annonce en symetrie la poursuite que Woo fera par la suite du tueur dans ces memes ruelles : c’est une annonce visuelle. Elle est la petite amie du tueur et ainsi, dans l’histoire, est l’element de tous les enjeux, la seule trace du tueur(3) . C’est elle que la police surveille, que le tueur cherche a voir, c’est par elle qu’il lui echappe. Mais c’est aussi un indice visuel, comme au debut de l’enquete quand les deux inspecteurs entrent dans le restaurant pour interroger le responsable. Au premier plan on voit une femme en compagnie d’un homme. L’homme est sur le cote un peu dans le flou. Elle est au centre, et si ce n’est net, tout du moins visible. Il s’agit du tueur et de son amie. Elle marque de sa presence differents plans ou scenes importants pour l’histoire.
La seconde est une petite fille qui introduit la scene du meurtre. Une vue du dessus nous la presente comme un gros point rouge au milieu de l’image(4) . La marque reviendra a la fin de la sequence de meurtre dans un court travelling latteral sur la porte d’un restaurant. La couleur rouge voyage dans la scene au travers de differents elements qui contraste avec la violence encourue, comme lorsque le garde du corps se fait rouer de coups au fond de l’image alors qu’un vieux monsieur enveloppe dans une lumiere rouge dort au premier plan. Mais la couleur est aussi violence, c’est le rouge du sang auquel le spectateur est habitue et qui intervient sur une main ensanglantee sous la forme d’un fondu au rouge tres rapide. La couleur est ici douceur et violence, comme la petite fille qui descend innocemment les marches en sautillant avant de disparaitre dans un violent eclair. Le plan ou elle disparait contient toute l’intensite de la scene, douceur et violence, limpidite de ce qui se passe et obscurite du pourquoi. C’est a dire que nous conprenons la scene sans vraimment pouvoir la rationaliser, l’introduire dans un contexe plus large (pourquoi ce meurtre ? qui tue qui ?). De toutes facons, cela n’a pas vraimment d’importance comme en temoigne la suite du film. La seule indication que le spectateur obtient vient d’un televiseur donnant les nouvelles en fond (visuel et sonore). Seule le rythme de la sequence semble compter. Elle se presente typiquement comme un clip musical, et trouve son rythme dans la petite fille. Elle ponctue la sequence en arrivant au terme du processus d’attente auquel le spectateur etait confronte. En un sens, on peut dire que c’est par elle que la camera sort de la voiture, ou elle attendait avec les tueurs, que la pluie se met a tomber et que le meurtre finit par arrive. Le temps se cristalise autour d’elle avant de se precipiter, faisant passer de l’attente a l’action.
La troisieme est une grand-mere qui intervient comme un evenement a l’image. Curieusement, cette scene a ete enleve de la version distribuee en France. Vers la fin de la poursuite du tueur par l’inspecteur Woo, ce dernier se perd. Il entre dans une ruelle et tombe dans des poubelles en faisant beaucoup de bruit. Dans un plan tres court, on voit une vieille femme qui sort alors de chez elle et lui dit « vous avez pas bientot fini avec votre film ». Elle intervient comme « evenement » sur le film dans la mesure ou d’un seul coup le spectateur est renvoye a sa position de spectateur dans une salle de cinema regardant un ecran de lumiere. Elle rappelle la fabrication de l’objet que nous regardons et brise ainsi la trame dramatique qui captait notre attention. Elle vient faire rupture et libere le film du labyrinthe dans lequel il s’etait perdu. La poursuite semblait ne pas avoir de fin, les personnages se croisaient sans reussir a se rencontrer, et le dedale de ruelles semblait infini.
Libere de cette trame, le film a besoin de retrouver son histoire pour pouvoir reprendre. C’est la soeur de Woo qui va permettre cela en donnant un cadre diegetique au personnage le moins vraissemblable. Woo marche seul dans une petite rue, il fait nuit, il est perdu. Comme pour le spectateur, la vieille femme l’a renvoye a sa position de personnage de fiction. Ayant perdu le fil de l’histoire, il n’est plus grand chose, juste une piece sur un echiquier(5) . L’irruption de la soeur donne du corps a son personnage, elle lui donne une vraissemblance creant un contexte : il ne vient pas de nul part, il a une vie en dehors de cette enquete. Ces par cette intervention qu’il redevient credible non seulement aux yeux du spectateur, mais aussi aux siens.
Le film avance de femmes en femmes, elles servent a tenir le recit. Elles en sont l’essence, la trame, mais aussi les ponctuations a chaques moments ou le film risque de se perdre definitivement. Elles sont l’element discret et docile dans le recit mais lui sont indispensable et forte pour se construire et se tenir.
1 Antoine Coppola, Le cinéma sud-coréen : du confucianisme à l’avant garde, L’Harmattan, 1996, P.17. 2 Il faut que la camera retrouve sa place initiale, c’est pourquoi au premier plan de la scene suivante, elle sera a distance. Pour se faire oublier et redevenir le temoin invisible de ce qui se passe. 3 Le titre francais est Sur la trace du serpent. 4 Elle porte un chapeau rouge qui conditionne l’image. 5 Comme les personnages de Balzac qui existaient en tant que pieces de son echiquier, avant de prendre vie dans ses romans.On voit très bien les débats qu'un film comme Nowhere to hide peut susciter. Certains crieront au cinéma MTV et mettront Lee Myung-Se dans le même sac que le pire Andrew Lau. D'autres ressortiront le débat dépassé "style vs substance". A force de transformer chaque plan en terrain d'expérimentation formelle, Lee Myung-Se sombre certes parfois dans l'audace pétard mouillé: l'accélération sur une baston à effet Goldorak, les superpositions de niveaux de temps et de réalité, les transitions gadget d'un plan à l'autre, les ralentis parfois convenus... Convenus également ces usages d'un hard rock et d'une techno insupportables pour les oreilles.
Mais Nowhere to hide est à son meilleur lorsqu'il d'use du montage, de travail sur le cadre et la photographie et enfin de mariages musique/image parfois inattendus pour coller au plus près du ressenti des personnages du film. Quitte pour cela à savoir ménager des moments d'attente, des pauses rythmiques ou à recycler avec talent ce qui l'a précédé. Et l'usage de la musique fait quant à lui parfois mouche comme la mélancolie d'un Holiday des Bee Gees sur une scène de meurtre, ces hamonicas léoniens et ces guitares flamenco sur des moments de calme. L'humour du film fonctionne quant à lui bien malgré certains dialogues ironisant sur les clichés du genre en forme de procédé années 90 usé.
Malgré ces qualités supassant une bonne partie du cinéma de genre coréen lorsqu'il veut jouer la carte maniériste, malgré la belle énergie qui le parcourt d'un bout à l'autre, Nowhere to hide peine à convaincre. A l'instar de certains des meilleurs polars hongkongais, Nowhere to hide part d'un pitch ultrabasique et mille fois revu pour imposer sa singularité dans le traitement. Le problème, c'est que Lee Myung-Se souffre ici d'incapacité à choisir son sujet. La narration devient ainsi vite embrouillée à force de partir dans diverses directions alors que les enjeux du film sont basiques et archirevus. Le film est du coup maintenu à flots par ses bons moments formels et ses acteurs (le charisme d'Ahn Sung-Ki et Park Jong-Hoon, le talent du Jang Dong-Kun des bons jours).
En dépit de ses qualités et son flair stylistique, Nowhere to hide incarne déjà les limites d'une bonne part de la jeune garde du cinéma de genre coréen apparue avec le boom post-Shiri du cinéma local. Le film de Lee Myung-Se partage en effet le travers trop fréquent de ses cadets asoiffés de coup d'éclat visuel permanent: vouloir courir trop de lièvres à la fois sans en avoir totalement les moyens. Le cinéaste sombrera d'ailleurs totalement dans leurs travers clinquants 6 ans après avec Duelist