Anel | 3.5 | |
drélium | 4 | Manque un souffle de grandeur pour emporter le tout. |
François | 4 | Pas le meilleur Chu Yuan, mais un des plus originaux |
Ordell Robbie | 3.75 | Dés Pipés |
Si le début de Clans of Intrigue rassure le spectateur fan de Chu Yuan, le film perd ensuite un peu de rythme dans le second tiers, et on se demande comment le film va pouvoir tenir pendant le dernier tiers. Heureusement, le scénario ajoute à l'intrigue du récit un univers assez fantaisiste qui vient relancer la machine.
Le début du film est dans la lignée des autres films du réalisateur, des complots en veux-tu en voilà, des meurtres, des vengeances, un mystérieux commanditaire, le film part sur les chapeaux de roues. Surtout que les combats sont brefs mais très bien faits, ajoute du kung-fu aux classiques combats de sabre, et que Ti Lung déroule ses petits sourires avec un charme fou. De plus il assure très bien au niveau combat, et le reste du casting est au niveau. Bref, du pur Chu Yuan comme on l'aime.
Hélas après 50 minutes, on a l'impression que le mystère est déjà résolu, et les tentatives pour relancer le suspense sont moins efficaces. Le rythme baisse donc très sensiblement, et on peut alors se poser des questions sur la dernière demi-heure. Non pas que ce passage soit vraiment mauvais, mais il n'est pas du niveau du premier tiers, et retombe au niveau d'un Shaw Brothers moyen. L'intrigue à tiroirs semble ne plus avoir beaucoup de cachettes, tout a déjà été ouvert et déballé.
Heureusement, le film se démarque du tout venant dans un dernier tiers nettement plus original, notamment dès l'arrivée dans le repère de la Princesse. Le film prend alors une tournure différente, notammant avec des décors aux couleurs bigarrés tout droit sortis d'un conte fantastique, et des personnages plus originaux (la princesse lesbienne, Ti Lung qui mange des cadavres, le personnage féminin tourné en bourrique, mais où on est là?). Sans parler du combat final, très efficace et conclu en beauté (avec le genre d'énormité qui fera dire à l'anti et au pro film HK la même phrase mais sous deux tons différents "Mais c'est n'importe quoi!"). Bref, le passage à vide est presque oublié, et on finit le film en se demandant ce que l'équipe avait mis dans le thé pour changer aussi sensiblement de ton au milieu du film. Aussi improbable que ce soit, c'est bienvenu, évitant au film de devenir un "Killer Clans bis".
Tout comme The Magic Blade, Clans of Intrigue est un film à couches multiples, offrant aux spectateurs un spectacle dense et intéressant. Il se démarque comme toujours des classiques histoires d'épéistes valeureux et férus d'honneurs, pour s'intéresser aux personnages de l'ombre, faisant de tueurs ténébreux ou pathétiques des personnages d'autant plus intéressants. Les seconds rôles sont presque toujours plus marquants que le premier dans un Chu Yuan, et Clans of Intrigue en est certainement un des meilleurs exemples, avec son fils de ninja hermaphrodite (oui oui, vous avez bien lu) et un tueur à gage plus impassible et ténébreux que jamais. Avec ce genre de mélange des genres et des tons assumé, Clans of Intrigue ouvrait la porte à des bombes d'innovation comme Duel to the Death.
Chez Chu Yuan, les dés sont toujours pipés, une puissance supérieure, un chef de clan ont toujours décidé des sentiers traversés par des héros cherchant à déméler les tiroirs de ses intrigues. Sauf que là cette idée se retrouve littéralement matérialisée dans le film par les scènes de jeu: un Ti Lung fait mine de passer pour un flambeur, de perdre alors qu'il a gagné; un peu plus loin, il faut faire le plus petit score et le spectateur apprend médusé comment réussir à sortir le chiffre un en jetant six dés puis comment battre son adversaire en faisant moins de un avec ces six dés.
Au cours de cette aventure de Ti Lung afin de résoudre le meurtre de trois chefs de clans, c'est un film de Chu Yuan strictement identique aux autres et pourtant différent. Les arts martiaux y remplacent le plus souvent les combats au sabre, un ninja veut essayer de s'élever au sommet par tous les moyens; comme si un ennemi ne suffisait pas, on tombe sur un tueur mercenaire qui exécute un contrat en ayant seulement entendu la voix de sa commanditaire. Et l'on retrouve une thématique sapphique absente de Magic Blade et Killer Clans. Chu Yuan ne ménage pas sa peine en offrant à ces dames un palais gigantesque plein de portes coulissantes, de statues de paon, où l'eau charrie des pétales de fleur et en y ajoutant une photographie somptuaire, créant ainsi un lieu d'ébats d'autant plus excitants que suggérés. Quant au moine hermaphrodite qui s'y trouve, il incarne l'ancetre masculin de l'Invincible Asie. Et tant qu'on y est, quitte à montrer l'improbable au spectateur, autant parachuter une jeune femme aux moues outrées et aux attitudes ridicules qui ne dépareillerait pas dans une comédie cantonnaise. A l'image de ses héros capables de faire zéro aux dés, l'assemblage hétéroclite de Chu Yuan tient miraculeusement d'aplomb. Parce que comme ses héros c'est un tricheur virtuose, un cinéaste qui laisse volontairement des zones d'ombre au spectateur pour mieux lui révéler ce qu'il sait déjà. Et on regarde ce génial faussaire chez qui il ne faut jamais croire aux apparences, où l'enqueteur se retrouve accusé de meurtre, où trois lettres menent au meme commanditaire nous mystifier à coups de zooms virtuoses et de travellings d'une belle ampleur. Sauf que malgré tout le spectateur ne se sent pas floué: le bluff de Chu Yuan est clairement affiché ici dans le récit, annoncé très vite par les fameuses scènes de jeu. Et le spectateur peut alors s'amuser à anticiper les coups bas du cinéaste, à décrypter sa stratégie alambiquée pour finalement revenir à son idée première sur les tenants et aboutissants de ce qui se trame, idée qui se trouve vérifiée ensuite dans le film.
Un peu comme le personnage de Ti Lung, le cinéma de Chu Yuan laisse in fine la victoire au spectateur au moment où il est à deux doigts de l'emporter. C'est sa grandeur face à ceux qui font de la tromperie sur la marchandise sans prendre la peine de l'indiquer ou qui prennent le spectateur de haut.