Women Make Waves Film Festival de Taipei 2007

 

Le Women Make Waves Film Festival (女性影展) a tenu sa 14ème édition au mois d’octobre à Taipei. Ce festival, à travers une programmation internationale et locale, présente des films documentaires ou de fiction réalisés par des femmes et prenant pour objet la vie des femmes dans des domaines aussi divers que la vie domestique, le désir sexuel, la politique, la maternité, l’adolescence et la vieillesse, le sport, le travail… Les questions soulevées par le féminisme, comme l’autonomie des femmes, l’égalité, le droit à disposer de son corps, etc., constituent un arrière-plan important, mais si le festival dans son projet présente une dimension militante, les films choisis ne sont pas tous nécessairement « féministes ». Chaque année deux réalisatrices sont invitées et mises à l’honneur, le festival présentant une rétrospective de ces cinéastes, le reste de la programmation réunissant films étrangers pour la plupart sélectionnés dans des festivals étrangers, et films taiwanais. Pour la deuxième année consécutive, c'est  au Shinkong Cineplex, situé à Ximending, le quartier de Taipei le plus animé et le mieux doté en cinémas, qu'ont été projetés la soixantaine de films qui composaient la sélection de cette édition.

Je me cantonnerai ici aux films taiwanais et asiatiques, puisque c’est cet aspect qui nous intéresse à Cinémasie, même si la programmation internationale, avec notamment la néerlandaise Marleen Gorris et l’américaine Guinevere Turner en invitées d’honneur, était passionnante.

Une remarque préliminaire sur la sélection asiatique, et son contrepoint : les films taiwanais présentés, et notamment ceux proposés aux vote du public, étaient majoritairement des documentaires ; mais la distinction documentaire / fiction est finalement parfois assez ténue, quand on voit que de nombreux films de fictions traitent de sujet de société ou sont basés sur des autoportraits, avec un ancrage référentiel « réaliste » important, et que d’autre part les documentaires sont très écrits, composés, dramatisés même.

Revue de quelques films mémorables.

 

Courts

 

D’abord quelques courts-métrages très prometteurs. Over the Lesbow est le deuxième film de la Coréenne CHOI Zin-young est un conte de fée moderne, quasi muet mais très éloquent : une jeune femme, entre deux entraînements de boomerang, s’aventure, pour tromper son ennui, dans l’officine d’une diseuse de bonne aventure – une vraie, avec voie d’outre-tombe et boule de cristal. Etonnée et émue par ce qu’elle découvre dans la boule, la cliente maladroite la laisse tomber par terre, rembourse les dégâts à la diseuse mécontente et s’en va en emportant un débris, qui lui servira de lunette déformante pour voir le monde en extralucide ; à savoir, un monde plein de désir et d’érotisme, où les gens s’embrassent au lieu de se regarder en chien de faïence, où les chiens mêmes sont objets et sujets de désir parce qu’on n’est plus à ça près, et où, bien sûr, l’héroïne va trouver l’âme soeur. La réalisation est dynamique et drôle du début au générique de fin, jouant sur les incrustations, les couleurs, et les intertitres qui, rappelant le muet, donne un air désuet et décalé à l’ensemble.

MAK Hei Yan, May WEN, HSU Jia Yu. Un autre court étonnant, toute première réalisation de HSU Jia-yu (Taiwan - à droite sur la photo), dont le titre dit déjà long, Diary of a Pair of Hairy Legs, met en scène une collégienne au physique ingrat, puis lycéenne dont la pilosité spectaculaire entrave la vie sociale et surtout amoureuse. A la prise de conscience, marquée par force gros plans et montage subjectif, avec coupes rapides comme des interjections, succède l’effort pour en venir à bout, chaque technique présentée avec ses revers et ses échecs (le problème du rasoir et des jambes qui piquent comme de la barbe, de la cire douloureuse) jusqu’à ce qu’enfin la malchanceuse parvienne à s’offrir la solution miracle du rayon laser ; le finale sous forme de chanson de cabaret, interprétée toujours par l’actrice principale qui est aussi la réalisatrice, complainte amère et drôle, vient ajouter une touche de fantaisie supplémentaire à ce film qui, avec une réalisation maîtrisée, vive et originale parle de l’adolescence, ou plus précisément des affres de la puberté, avec finesse, humour et autodérision.

 

Documentaires

 

Des documentaires taiwanais, assez nombreux, de ceux que j’ai pu voir puisqu’ils n’étaient pas toujours projetés aux horaires les plus commodes, je retiendrai The Way He Is, de LIU Jia-qui, portrait intimiste d’un transgenre (femme devenue homme), centré moins sur la vie sociale, ce à quoi on s’attendrait pour le sujet, mais sur des détails, avec notamment une paire de chaussures d’hommes de deux pointures trop grandes qui deviennent le symbole du décalage  et de la tentative d’adéquation entre le corps et l’identité.
La documentariste LEE Ching-hui peint dans City of Memories la vie de personnes âgées dans une maison de retraite, leur solitude et leur ennui ; la beauté de ce long film (101 minutes) tient aux va-et-vient entre les images de la maison de retraite et des plans de Taipei, dont l’hiver gris et pluvieux fait fonction de paysage-état d’âme, les espaces extérieurs, domestiques et psychologiques se superposant pour faire de ce film un documentaire poétique et mélancolique.

 

Longs

 

Dans les longs métrages taiwanais, on a pu revoir Spider Lilies, de Zero CHOU, sorti l’an dernier et primé au Festival de Berlin (prix Teddy du meilleur film gay), et découvrir Nyona’s Taste of Life de WEN Chih-yi. Pour le premier je renvoie à la fiche et aux critiques de Cinémasie ; l’histoire d’une rencontre improbable entre une webgirl coquine mais triste à ses heures, et une tatoueuse taciturne – très bien interprétées par la chanteuse pop Rainie Yang et l’actrice hongkongaise Isabella Leong.

L'équipe du film Nyona's Taste of Life au presque complet, à droite la réalisatrice WEN Chih-yi.Nyona’s Taste of Life, sorti cette année, est un drame social qui a pour sujet la vie de travailleurs étrangers à Taiwan -  une bande de Thaïlandais ouvriers dans le bâtiment et des Indonésiennes employées de maison. L’une s’occupe d’un vieux grabataire Alzheimer avec tendresse et se fait injurier à chaque visite du fils ; l’autre cuisine pour un veuf don’t le restaurant périclite depuis la mort de sa femme et cuisinère. Des scènes parfois drôles mais souvent amères représentent les humiliations quotidiennes subies par les travailleurs, mais aussi leurs rencontres – la tentative de séduction de Nyona par un des ouvriers thaïlandais fournit le prétexte d’un croisement des itinéraires, et la drague en chanson par le charmant prétendant un peu aviné se solde par un conflit d’une rare violence dans la famille où travaille Nyona. On retient aussi la scène hallucinante où le veuf taiwanais demande à sa mère acariâtre l’autorisation de se marier avec sa bonne, soldée par une crise de furie de la mère. Un veuvage pour l’une et un mariage pour l’autre achève ce film tragique et drôle. La réalisation est servie par une bande d’excellents acteurs qui étaient tous là pour présenter le film, du vieux (qui tient en fait debout malgré son bras cassé !) aux Thaïlandais, en passant par l’acteur principal qui n’est pas thaïlandais mais a appris l’accent avec ses coéquipiers.

 

Clôture

Sophie ShuYi LIN (directrice du festival), WOO Yenyen, Colin GOH (réalisateurs) et YEOH YannYann (actrice)

Pour la soirée de clôture, Singapore Dreaming, de Colin GOH et Yenyen WOO a soulevé des éclats de rires dans la salle du début à la fin. Il s’agissait de la première à Taipei de ce film, qui a déjà montré dans de nombreux festivals, à Tokyo, San Sebastian, Goteborg, Lyon, etc. Cette comédie satirique met en scène une famille, père huissier  et mère ne sachant rien faire d'autre que du thé aux herbes, fille enceinte reprochant à son mari son manque de réussite sociale, et fils fraichement revenu des Etats-Unis où la famille l'a envoyé à grands frais. Le film commence avec le repas d'accueil du fils, puis s'emballe lorsque le père gagne au loto 2 millions de dollars, et meurt subitement peu après, laissant les enfants disputer l'héritage à la mère qui joue l'hébétée pour mieux exécuter le testament de son mari. Où le mythe singapourien des 5C (Cash, Credit-Card, Car, Condominium et Country-Club) est joyeusement et méthodiquement mis en pièces - il faudrait ajouter, mais ça ne commence pas par un C, la Famille à laquelle l'arrivée à l'enterrement de la maîtresse et du fils illégitime du défunt père porte le coup de grâce.

Un texte du catalogue pose la question : "Pourquoi avoir choisi ce film pour la soirée de clôture du festival des femmes ? Pour montrer tout ce qu'il reste à faire en matière de féminisme !"
Si là est la question, le festival a encore de beaux jours (de belles années) devant lui. Vivement l'an prochain donc.

Lien : le site du festival

date
  • novembre 2007
crédits
Festivals