II suite:
Un cinéma d'auteur aussi créatif que précaire
En décembre 1998, la compagnie Suncent Cinema Works est fondée sous la bannière de la chaine satellitaire à succès Wowow avec comme directeur SENTO Takenori. Déjà sous l'égide de Wowow, il avait lancé en 1992 la série J Movie Wars de films à petit budget qui contribua à faire connaître de jeunes cinéastes prometteurs. Parmi eux, SUWA Nobuhiro dont 2/Duo (1997) glâne des récompenses festivalières à l'étranger, l'ex-critique des Cahiers du Cinéma version japonaise AOYAMA Shinji et KAWASE Naomi, cette dernière décrochant avec Suzaku la Caméra d'or à Cannes en 1997. Mais surtout NAKATA Hideo avec Don't look up (1996) et surtout le succès Ring (1998) sans lequel l'aventure Suncent n'aurait pas été possible. La Suncent produira un certain nombre de films remarqués à l'étranger. Second film de fiction d'une KAWASE Naomi désormais mariée à SENTO, Hotaru (2000) fut primé à Locarno. M/Other (1999) et H Story (2001) de SUWA Nobuhiro seront remarqués lors de leur présentation cannoise de même que le long Eureka (2000) d'AOYAMA Shinji. Desert Moon (2001) fut aussi sélectionné à Cannes tandis que Unloved (2001), film de l'ancien assistant-réalisateur de KUROSAWA Kiyoshi Manda Kunitoshi, sera présenté à la Semaine de la Critique.
SENTO produisit aussi Chloé (2001), adaptation de l'Ecume des jours sélectionnée à Berlin en 2001, et deux oeuvres éléctrisantes d'ISHII Sogo: le chambara Gojoe (2000) et le court Electric Dragon 80000V (2001). Mais la Suncent ne surmonta pas ses difficultés financières et SENTO la quitta après avoir déclaré que le boom du cinéma japonais à l'étranger s'achevait. On l'a revu en 2002 comme producteur d'un épisode de la série Mike Yokohama signé Alex COX, série dont un épisode fut exploité en France sous le titre La Forêt sans nom. Outre ce dernier épisode, AOYAMA Shinji a depuis réalisé la comédie noire Lakeside Murder Case (2004) présentée à Deauville en 2005 et le film de Science Fiction Eli, Eli, Lama Sabachtani? montré à Cannes en 2005. SUWA Noubuhiro a lui réalisé un segment du film à sketchs After the war (2002) présenté à Locarno. Ce dernier projet rassemblait le cinéaste ainsi que le Chinois WANG Xiaoshuai et le Coréen MOON Seung Wook. SUWA Nobuhiro a réalisé en France Un Couple Parfait (2005), tentative d'hommage au cinéma européen sur le couple (ANTONIONI, ROSSELLINI...), et une contribution au film à sketches sur Paris Paris, je t'aime (2006) montré en 2006 à Cannes dans le section Un Certain Regard. KAWASE Naomi a elle continué à tourner des documentaires et est revenue à la fiction avec un Shara (2003) présenté en compétition à Cannes en 2003. Souvent appréciées de la critique internationale, les productions Suncent furent taxées de prétentieuses, d'élitistes, hermétiques par une partie des cinéphiles mais elles ont incontestablement joué un rôle moteur dans le cinéma d'auteur japonais des années 90.
Mais la vitalité du cinéma d'auteur japonais des années 90 ne se limite pas à la Suncent. En 1993, HASHIGUCHI Ryosuke réalise Petite fièvre des 20 ans, film abordant de façon pudique la question de l'homosexualité au Japon. Mais il aura du mal à trouver des financements pour ses autres films traitant de ce sujet malgré un travail remarqué en festival à l'étranger. Grains de Sable (1995) sera une production de l'éphémère division YES de la TOHO et il mettra 6 ans à concrétiser un plus mainstream Hush! (2001) présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes. Avec tout autant de pudeur, l'ancien assistant-réalisateur de Kurosawa Kiyoshi SHIOTA Akihiko abordera le Sado-Masochisme avec Moonlight Whispers (1999). Il a depuis réalisé un plus optimiste Don't look back (1999) et Gips (2000), un épisode de la série Love Cinema à laquelle appartient Visitor Q. En 2001, le portrait d'adolescente Insecte Nuisible sera remarqué à Venise et Nantes et en 2003 il réalise le commercial Yomigaeri Resurrection. En 2005, il a réalisé A Heartful of love et Canary. Ancien critique de cinéma, SHINOZAKI Makoto réalisera le classique et intimiste Okaeri (1996) collectionnant les récompenses dans les festivals internationaux. Ceci ne l'empêcha pas lui aussi d'avoir du mal à financer ses projets suivants. Il en profitera pour tourner en 1998 un documentaire sur KITANO. En 2000, un Not Forgotten montrant un Japon gangréné par les sectes voit le jour. SHINOZAKI a réalisé Walking with the dog en 2004. Ces exemples montrent la précarité du statut de cinéaste hors système de studios au Japon malgré leur relatif rayonnement festivalier, précarité expliquant sans doute en partie que l'embellie de la fin des années 90 n'ait pas vraiment duré.
Parmi les cinéastes dont l'heure de gloire semble passée, on compte KUROSAWA Kiyoshi. Ce cinéaste admirateur de FLEISCHER et FUKASAKU débuta dans le direct to video dans les années 80 et eut depuis le temps de tourner à un rythme frénétique. A la fin des années 90, une Rétrospective du Festival d'Automne à Paris qui lui est consacrée fait parler d'elle. Avec des films fauchés alliant pitchs de série B, ambition métaphysique et travail très singulier sur le son, il se retrouve vite proclamé par la critique hexagonale plus importante révélation japonaise depuis KITANO (même s'il a aussi ses détracteurs le taxant de prétention). Citons le thriller Cure (1997), le film fantastique Charisma (1999), la comédie License to Live (1998) et un Kaïro (2001) devenu depuis un petit classique de l'horreur asiatique. En 1999, il avait présenté rien de moins que License to live à Berlin, Charisma à Cannes et Vaine Illusion (1999) à Venise. Depuis, il semble moins tourner et en 2003 Jellyfish a été mal accueilli à Cannes. En 2004, la comédie Doppelgänger fut présentée à Deauville. En 2005, il a réalisé le film d'horreur Loft.
Cinéaste au passé professionnel de documentariste récompensé, KORE-EDA Hirokazu est un autre auteur japonais s'étant fait un nom hors du Japon dans les années 90. Abordant un de ses futurs grands thèmes (la difficulté d'être en paix avec les morts), son premier et très contemplatif long métrage Maborosi est très remarqué à Venise, y remportant l'Ossele d'or. Il persiste à évoquer la question de la mort avec un After Life (1999) au style plus heurté, Grand Prix à Nantes et tout aussi remarqué. En 2001, il évoque la question des sectes avec un Distance en forme de synthèse stylistique de ses précédents films mais peu remarqué lors de son passage cannois. Mais en 2004 l'interprétation du jeune non-professionnel YAGIRA Yuuya dans un plus classique Nobody Knows enthousiasme le jury cannois qui lui décerne un Prix d'Interprétation. A l'exception du Prix de la mise en scène vénitien décroché par le Zatoichi version KITANO, il s'agit de la seule récompense récente notable d'un film japonais en festival.
Finisissons en évoquant rapidement les cas de KOBAYASHI Masahiro et SHIMIZU Hiroshi. Ancien chanteur de folk célèbre, le premier admirait la Nouvelle Vague française. En 1996, il passe derrière la caméra. Plusieurs de ses films seront ensuite sélectionnés à Cannes: Le Voyage maudit en 1999, Koroshi en 2002, l'Homme qui marche sur la neige en 2002. En 2005, le film Bashing (2004) sur l'accueil hostile réservé au Japon à une ex-otage japonaise au Moyen Orient est en sélection officielle à Cannes. Ancien assistant-réalisateur de Kitano, SHIMIZU Hiroshi a lui réalisé Ikinai (1998), film très léger sur le suicide collectif, et un Chicken Heart (2002) entre drame et comédie douce-amère.
Le cinéma d'auteur japonais mettra sans doute du temps à se remettre de la chute de la Suncent. Croisons les doigts que cela ne débouche pas sur un coup d'arrêt définitif...
Profils atypiques
En 1995, IWAI Shunji signe avec son premier long métrage Love Letter le début le plus tonitruant du cinéma japonais des années 90. Avec son pitch évoquant la Double Vie de Véronique, ce drame signé d'un ancien réalisateur de vidéoclips et de TV Dramas draina dans les salles un public d'ordinaire peu enclin à aller voir un film japonais (féminin et branché). Ce succès surprise fut de ceux qui selon certains observateurs rendirent le cinéma japonais trendy et le profil d'IWAI incarnait un défi au profil classique du cinéaste japonais ancien assistant attendant son tour pour devenir metteur en scène. Avec un look ayant beaucoup fait parler de lui, Iwai était une figure ne venant pas du milieu du cinéma, un touche à tout ne faisant pas de hiérarchie entre ses diverses activités (vidéoclip, cinéma...). Celui qui se définit comme un artiste de l'image a aussi l'habitude de storyboarder ses films sur ordinateur avant de donner le premier coup de manivelle. Refusant la voie d'un classicisme japonais, il affirme faire du cinéma pour la jeunesse japonaise d'aujourd'hui pour qui OZU ne représente rien. Outre un certain nombre de courts ou moyens métrages (cf filmographie), IWAI a depuis réalisé deux sagas rock, Swallowtail Butterfly (1996) et All about Lily Chou Chou, et le film romantique Hana and Alice (2004). Et le succès ne l'a pas quitté. Cinéaste transcendant l'air du temps ou cinéaste mode? Aucun de ses films n'a été en tout cas exploité en France à ce jour. Vu que sortir un film d'auteur asiatique en France sans un minimum de soutien critique de la presse spécialisée est très risqué, on imagine que le risque du reproche d'esthétisme publicitaire ait pu freiner certaines ardeurs de distributeurs...
Le succès d'Iwai ouvrit la porte à de jeunes cinéastes extérieurs à l'industrie cinématographique, venant de la télévision, du vidéoclip, de la publicité et plus en phase avec les attentes d'un jeune public. Parmi eux, on compte ISHII Katsuhito. Ce cinéaste n'affectionne pas vraiment le cinéma contemplatif des grands maîtres classiques et a commencé par se faire un nom comme réalisateur de spots publicitaires. Il débute en 1998 avec Shark Skin Man and Peach Hip Girl, adaptation d'une bande dessinée à succès évoquantle cinéma cool des années 90, suivi en 2000 de la comédie noire Party 7. 2003 est une année marquant sans doute un tournant pour lui: il travaille comme storyboarder et character designer de Kill Bill Volume 1 et semble avoir enfin trouvé sa voie avec Le Goût du thé. Très remarqué à la Quinzaine des réalisateurs l'année suivante, ce film-collage sous l'influence revendiquée d'OGURI Kohei s'est révélé délirant et sensible. Célèbre réalisateur de vidéoclips (pour Dee Lite, les Rita Mitsuko...), NAKANO Hiroyuki passera derrière la caméra en 1998 avec Samouraï Fiction, cousin chambara des polars cool faits par des des ex de la publicité. Il persistera notamment ensuite dans sa relecture parodique du cinéma en costumes avec le film de ninja Red Shadow (2001). Ancien réalisateur de films publicitaires, SEKIGUCHI Gen a fait sensation en 2004 dans les festivals internationaux avec son premier film, un Survive Style 5+ en forme de suite de spots publicitaires reliés par une narration déconstruite.
Un autre touche à tout s'étant fait remarquer à la fin des années 90 est TSUTSUMI Yukihiko. A 49 ans, il a déjà 13 longs métrages à son actif depuis 1998. On doit à cette figure très populaire au Japon des TV Dramas, leurs adaptations au cinéma, des direct to video, des vidéoclips, des publicités, des films de concert... Il a déjà abordé des genres tels que la comédie noire, le polar ou le fantastique. Il a notamment réalisé 2LDK (2002), huis clos faisant partie du projet Duel auquel participait KITAMURA Ryuhei. Ce dernier est d'abord un fan (de cinéma de genre, de manga) ayant commencé à réaliser en amateur pour s'amuser avant que son premier long Versus (2000), film d'action à petit budget mélangeant les genres, ne lui offre un succès culte mondial rapide. S'il a un profil différent des autres cinéastes cités, KITAMURA a aussi profité de cette brèche vu qu''il fut choisi par la TOHO pour réaliser en 2005 Godzilla Final Wars. Au rayon de ces profils atypiques, on compte aussi TOYODA Toshiaki, auteur de pièces de théâtre, scénariste pour le cinéma et la BD, réalisateur de publicités et de vidéoclips. Il est révélé en 1998 par Pornostar, film fauché tourné dans les quartiers chauds de Tokyo. Il a depuis fait du chemin avec entre autres Blue Spring (2001), adaptation du manga culte du même nom, et Nine Souls (2003), comédie noire inspirée de la Grande Evasion. En 2005, il défraie la chronique au Japon pour usage de stupéfiants alors que Hanging Garden y sort en salles. Réalisateur de publicités primées et de vidéoclips, NAKASHIMA Tetsuya a lui débuté comme cinéaste en 1997. Il est pour le moment surtout connu des cinéphiles occidentaux pour son Kamikaze Girls (2004) sur la sous-culture Lolita de Tokyo. Citons enfin ISHIKAWA Hiroshi, cinéaste issu du clip et de la publicité remarqué au Japon en 2002 pour son Tokyo, Sora sur le dur quotidien de citadines tokyoïtes. En 2005, il a réalisé le drame romantique Su-Ki-Da.
La brèche ouverte par IWAI a ouvert en partie la voie à certains jeunes cinéastes cousins d'un certain cinéma MTV (dont certains cinéastes mentionnés font partie selon l'auteur de ces lignes). Espérons que certains d'entre eux pourront sur la longueur s'affranchir de leur passé publicitaire...
Cinéastes de genre
A l'origine dessinateur de mangas, ISHII Takashi s'impliqua dans l'élaboration de roman pornos avant d'adapter en 1988 un de ses mangas avec son premier film Rouge Vertige. Si l'on excepte le yakuza eiga Gonin (1995) avec KITANO acteur, il réalisera surtout des films d'exploitation ayant pour thème la condition de la femme dans le Japon contemporain tels que Gonin 2 (1996), Black Angel (1997), Black Angel 2 (1998) et Freeze me (2000). Il est en cela continuateur de la tradition seventies du genre au Japon. Autre cinéaste de genre, MOCHIZUKI Rokuro eut son petit moment de gloire festivalière. En 1997, son yakuza eiga Onibi le démon fit le tour des festivals. Ses yakuza eigas se caractérisent par leur importance accordée à la partie "histoire d'amour". Ensuite, l'intérêt pour son cinéma en Occident décrut. Deux cinéastes ayant leurs fans mais aussi des détracteurs ne voyant en eux que des tâcherons.
Culte(s)
Que dire sur MIIKE Takashi qui n'a pas déjà été dit? Cinéaste à l'inventivité fulgurante pour les uns, roi de la fumisterie accumulant les films baclés au kilomètre pour les autres. On peut rappeler qu'il étudia le cinéma sous le patronnage d'Imamura avant de devenir son assistant-réalisateur. Rappeler aussi que c'est le yakuza eiga qui l'a fait d'abord remarquer de la critique anglo-saxonne. Premier MIIKE montré en festival en Occident, Shinjuku Triad Society (1995) introduisait déjà dans un pitch mille fois vu de polar le style de ruptures délirantes qui feront le culte autour du cinéaste. Ensuite, ce furent en vrac et de façon non exhaustive Fudoh (1996), Audition (1999), Dead or alive (1999), Ichi the Killer (2001). Soit toute une série de films tournés à un rythme frénétique qui firent sensation dans de nombreux festivals. Désormais sélectionné dans de grands festivals (les sections parallèles de Cannes et Venise), il ne semble pas avoir pour autant ralenti son rythme de tournage. TSUKAMOTO Shinya eut son heure de gloire culte lui aussi durant les années 90. Son explosion date de 1988 avec le moyen métrage Tetsuo: the iron man. Il va progressivement imposer un univers fait de thématiques cyberpunk porté par une mise en scène cherchant à "secouer" le spectateur. En son temps, TSUKAMOTO fut admiré par William GIBSON et son Tokyo Fist (1995) est une source d'inspiration probable du roman Fight Club. Citons aussi Testuo II: Body Hammer (1992), Bullet Ballet (1998) et l'adaptation de RAMPO Edogawa Gemini (1999). Peut être faute de renouveau d'une thématique très liée à une époque, ses récents A Snake of June (2002) et Vital (2004) tous deux montrés à Venise ainsi que Haze (2005) semblent être passés inaperçus en Occident. Là encore, son cas divise: roi du plein la vue pour les uns, porteur d'une énergie salvatrice pour d'autres. Du côté d'un certain cinéma "déviant et délirant" très prisé des festivals "alternatifs", citons également SONO Shion qui a bénéficié d'un petit culte festivalier suite à son thriller noir et délirant Suicide Club (2001).
Ni auteurs indépendants ni purs yesmen, certains cinéastes de la période semblent s'être donné comme règle d'être inclassables. Amoureux de cinéma classique, HARADA Masato a ainsi brouillé les pistes le long de sa carrière récente. Il a allié mélange des genres et satire politique avec Kamikaze Taxi (1995), évoqué la prostitution adolescente avec un Bounce Ko Gals (1997) sous influence KASSOVITZ reconnue et mis en évidence les scandales financiers avec le thriller Spellbound (1999). Il s'est depuis essayé au fantastique (Inugami (2001)) et au film politique (The Choice of Hercules (2002)). En 2005, il a réalisé Bluestockings, téléfilm prenant pour cadre l'ère Taisho. Très prolifique, SAKAMOTO Junji a brouillé les pistes lui aussi. Il a réalisé entre autres du film de boxe, du drame très noir (Tokarev (1994)), du yakuza eiga (Another Battle (2000) au thème musical repris dans Kill Bill) et du blockbuster d'espionnage (KT (2002)) et guerrier (Aegis (2005)). On lui doit surtout Kao (2000), film sur une femme au physique ingrat apprenant à s'aimer au cours de sa fuite primé dans de nombreux festivals.
Si son principal faits d'armes est le succès surprise aux Etats-Unis de sa comédie romantique Shall we dance? (1996), SUO Masayuki a au Japon une réputation de cinéaste populaire/bon entertainer. Il va revenir en 2006 derrière la caméra après 10 ans de silence. Cinéaste apparu dans les années 90, YAGUCHI Shinobu a lui fait rire le public de la Panasia avec la comédie mangaesque Waterboys (2001).
Paradoxalement, ces cinéastes correspondent au "vieux" profil du cinéaste japonais tant ils se sont d'abord fait un nom comme assistants d'une "signature" prestigieuse. Ex-assistant de KITANO, réalisateur de yakuza eigas direct to video, WATANABE Takeshi a ainsi réalisé en 2002 un Revolver - Blue Spring dans la lignée de Blue Spring. Ancien assistant-réalisateur d'IWAI, admirateur de TSAI Ming Liang, YUKISADA Isao a quant à lui débuté en 2000. En 2001, son film de commande Go s'est fait remarquer au Japon pour avoir traité le sujet du racisme des Japonais vis à vis de leur immigration coréenne. Il a depuis été impliqué dans des projets plus commerciaux.
Vers la fin des années 80, quatre cinéastes débutèrent dans le pinku eiga (film érotique), genre tombé en désuétude depuis les années 70, avec l'ambition de le rénover. SATO Hisayasu, SATO Toshiki, SANO Kazuhiro et ZEZE Takahisa vont vite acquérir le surnom de shitenno: "Quatre rois divins du pinku". Aux yeux des défenseurs de ces cinéastes, ces "quatre rois" prolongent la travail entrepris par de WAKAMATSU -auteur dans les années 90 de films "en apparence" plus sages- dans les années 60-70 en mêlant érotisme et vision critique de la société japonaise. Pour d'autres, ils n'ont pas les moyens de leurs ambitions. Mais tous ces cinéastes ont parfois oeuvré dans des projets plus mainstream tels Sumo Hot Pot - Chanko (2006), comédie de SATO Toshiki présentée en 2007 à la Panasia, ou Dog Star (2002), comédie signée ZEZE. Lui aussi transfuge du pinku eiga, HIROKI Ryuichi a de son côté décroché le Prix du Meilleur Scénario à la Panasia de Deauville pour son road movie camionneur Vibrator (2003).
L'ancienne garde
Parfois avec bien moins d'attention venant de l'étranger qu'à leurs débuts, des cinéastes apparus pendant les décennies précédentes ont continué leur travail pendant cette période. Après la noirceur foncière de ses fresques à succès des années 80, la fin de carrière de KUROSAWA Akira est marquée par un regain d'optimisme. Si le film à sketches Rêves (1990) est encore en partie marqué par cette dernière, la sensibilité du cinéaste et une plus grande simplicité formelle font que le plaidoyer sur Hiroshima Rhapsodie en août (1991) et le film testamentaire Madadayo (1993) se rapprochent d'Imamura. Quelques-uns de ses projets verront le jour après sa mort en 1998: Après la pluie (1999) réalisé par son ancien assistant KOIZUMI Takashi, Doraheita (1999) par ICHIKAWA Kon et la Mer regarde (2002) par KUMAI Kei. Les années 80 avaient été pour IMAMURA Shohei celles d'une reconnaissance tardive en Occident. Après 8 ans de silence, il revient avec l'Anguille (1997), portrait d'un assassin d'un soir cherchant à se réadapter à la société, et décroche une seconde Palme d'or. Cette reconnaissance inattendue lui permet de pouvoir plus facilement concrétiser le vieux projet Dr Akagi (1998), portrait d'un médecin de campagne dans le Japon de la Seconde Guerre Mondiale. En 2001, De l'eau tiède sur un pont rouge sera une satire en creux du Japon contemporain. En 2002, il réalise un segment du film à sketches 11'09''01 - 11 Septembre. IMAMURA décèdera en 2006.
Un autre ancien de la Nouvelle Vague est revenu à la fiction après un long silence: le drame en costumes stylisé sur l'homosexualité dans l'univers des samouraïs Tabou (1999) a permis à OSHIMA Nagisa de retrouver KITANO acteur et le compositeur SAKAMOTO Ryuichi. Le film était en compétition à Cannes en 2000. D'autres cinéastes de la Nouvelle Vague semblent avoir effectué un virage vers le classicisme. C'est en tout cas l'impression donnée par The Strange Tale of Oyuki (1993), film sur la liaison d'un écrivain et d'une prostituée adapté de NAGAI Kafu par SHINDO Kaneto. Ce virage avait été pris depuis longtemps par SHINODA Masahiro dont le jidaigeki à l'ancienne Owl's Castle (1999) fut un succès surprise au Japon. Après 17 ans sans avoir tourné de films de fiction, les deux derniers films de TESHIGAHARA Hiroshi (mort en 2001), Rikyu (1989) et Basara The Princess Goh (1992), seront des films en costumes dans la tradition classique. En 2001, YOSHIDA Yoshishige a lui évoqué les conséquences d'Hiroshima avec le très classique Femmes en miroir. De tous les grands anciens cités, seul un IMAMURA a pu fédérer sur son travail récent, le jugement concernant les autres étant plus controversé.
Deux vieux cinéastes frondeurs connurent une forme de reconnaissance en Occident à partir des années 90. De nombreuses rétrospectives dans le monde furent ainsi consacrées à FUKASAKU Kinji. Longtemps ignorée des livres d'histoire du cinéma japonais disponibles en Occident, son importance fut réévaluée. En 1992, The Triple Cross marquait son retour au polar. Le jidaigeki Crest of Betrayal (1994) sera un échec commercial. Et en 1998 il porte à l'écran un scénario de SHINDO Kaneto sur le monde des geishas dans le Japon d'après-guerre avec la Maison des geishas. Surtout, il va renouer en 2000 avec son image d'agitateur avec Battle Royale, farce joussive où KITANO acteur brillera. Faisant sensation qu'au Japon, le film aura aussi ses défenseurs parmi la critique internationale et a acquis une forme de statut culte en Occident. FUKASAKU meurt d'un cancer en 2003, en plein tournage d'un Battle Royale 2 (2003) achevé par son fils et considéré de l'avis général comme indigne du cinéaste. SUZUKI Seijun tourna lui beaucoup moins pendant le même temps. Son biopic Yumeji (1991) vit quand même son thème musical repris par WONG Kar Wai dans le succès mondial In the mood for love (2000) et en 2001 il réalisa Pistol Opera, suite de la Marque du tueur qui divisa ses fans. En 2005, sa comédie musicale Princess Raccoon est présentée à Cannes Hors Compétition. En plus de réévaluations et de rétrospectives, SUZUKI reçut un Lion d'or d'honneur.
Mort un an après avoir réalisé le yakuza eiga Kagero (1991) en laissant le testamentaire Femmes dans un enfer d'huile (1992), GOSHA Hideo fera aussi partie de ces cinéastes de genre nippons des années 60-70 découverts et réhabilités en Occident dans les années 90. Bon artisan du film de sabre dans les années 60, OKAMOTO Kihachi a continué à tourner jusqu'à sa mort en 2005. On lui doit notamment la comédie à suspense Rainbow Kids (1991). Cinéaste apparu dans les années 80, ITAMI Juzo a continué à réaliser des comédies à succès dans les années 90. Enfermé selon certains dans un statut de cinéaste à formule, Itami aura notamment réalisé A-Ge-Man (1990) sur l'univers des geishas, Minbo ou l'art subtil de l'extorsion (1992), charge féroce contre la mythologie yakuza, et Supermarket Woman (1996), comédie sur un supermarché arnaqueur, avant de se suicider en 1997 victime d'une rumeur de la presse et des pressions des yakuzas. Moins connu en Occident, le très médiatique au Japon OBAYASHI Nobuhiko a commencé à faire du cinéma dans les années 60. Dans les années 90, cet ex-réalisateur de publicités pour BRONSON et Kirk DOUGLAS a collectionné les récompenses de la profession pour son conte fantastique Us Two (1991).
Apparu dans les années 80, l'ancien assistant-réalisateur d'Oshima SAI Yoichi a évoqué ses origines coréennes dans De quel côté la lune? (1993), chose pas évidente dans un pays dont le racisme latent d'une partie de la population fut récemment épinglé par Amnesty International. Avec Doing Time (2002), il adapte un manga culte sur le monde des prisons et en 2004 il offre un rôle d'ordure à KITANO avec le noir Blood and Bones. Révélé dans les années 80 par Jeux de Famille, une très remarquée production ATG en forme de portrait au vitriol de la famille japonaise, MORITA Yoshimitsu s'est illustré sur la période avec un drame à succès (Paradise Lost (1997)) et des incursions dans le thriller (Keiho (1999) et Copycat Killer (2002)). Outre les productions Suncent citées plus haut, l'après-1990 a été marqué pour ISHII Sogo par le thriller contemplatif et sensoriel Angel Dust (1994), August in the water (1995), le maniériste Le Labyrinthe des rêves (1997) et le film à sketches Dead End Run (2003). Parmi les "vétérans", OGURI Kohei s'est lui fait remarquer en Occident pour le très noir film sur le couple L'Aiguillon de la mort (1990, Grand Prix du Jury Cannes 1990), le drame contemplatif l'Homme qui dort (1996) et le panthéiste La Forêt Oubliée (2005) montré à la Quinzaine en 2005.
Autre auteur rare derrière la caméra, YANAGIMACHI Mitsuo a fait parler de lui avec un A propos de l'amour, Tokyo (1992) évoquant les travailleurs chinois et un Connaissez-vous Camus? (2005) montré à la Quinzaine à Cannes en 2005. Figure typique de l'artisan classique de l'âge d'or des studios, Yamada Yoji souffrait lui de ne pas pouvoir faire de films personnels, chacune de ses récentes tentatives hors Tora San s'étant soldée par des échecs publics. Mais en 2002 le très classique jidaigeki Twilight Samurai fut un succès surprise au Japon. Il a persisté dans le genre avec The Hidden Blade (2004). L'artisan ISHII Teruo, culte en Occident pour ses "films de torture", a continué à tourner durant l'après-1990, offrant sa vision de l'enfer avec Jigoku (1999) et adaptant Rampo avec Blind Beast vs Dwarf (2001). Il décède en 2005. Cinéaste ayant débuté à la fin des années 60, Higashi Yoichi a lui décroché l'Ours d'argent à Berlin pour le Village de mes rêves (1995), film narrant les péripéties de deux jumeaux. Parmi les "vétérans" méconnus, signalons SOMAI Shinji : mort en 2001, ce cinéaste s'intéréssait surtout aux déchirements familiaux et il fut élu meilleur cinéaste japonais des années 80 par le magazine Kinema Jumpo. Il a notamment réalisé Sous le ciel de Tokyo (1990), Wait and see (1998) et Kaza Hana (2001) et a traité des thèmes tels que les rapports parents/enfants et le divorce. KUROSAWA Kiyoshi fut un de ses assistants-réalisateurs. Cinéaste hommagé à Udine en 2004 mais tout aussi méconnu en Occident que SOMAI, ICHIKAWA Jun a lui initié depuis la fin des années 80 une oeuvre très marquée par son admiration pour Ozu et appréciée par la critique locale.
Durant l'après-1990, les "anciens" dans certains cas considérés comme déclinants et ayant du mal à réaliser leurs projets dans un contexte de crise auront aussi contribué à la vitalité et la variété du cinéma japonais.
Sans prétendre à l'exhaustivité, impossible de ne pas évoquer rapidement le destin du cinéma d'animation japonais. Après avoir été snobé à ses débuts -le classique Akira attaqué en son temps pour "violence gratuite"-, il a enfin obtenu une forme de reconnaissance critique en France. Grâce à des films comme Princesse Mononoké (1997), Le Voyage de Chihiro (2001) et Le Château Ambulant (2004), MIYAZAKI Hayao connaîtra succès public et célébration digne d'un vieux maître dans l'hexagone tout en battant des records au Box Office à domicile. OSHII Mamoru se voit lui consacré "cinéaste visionnaire" pour son Ghost in the Shell (1995) avant une suite de carrière plus controversée. Lorsqu'il revient au format long en 2003 avec Steamboy, le travail d'OTOMO Katsuhiro est réévalué par une jeune critique ayant moins de préjugés vis à vis de l'animation que ses devancières. Cette reconnaissance bénéficiera aussi à un degré moindre à des figures de premier plan de l'animation des années 80 tels TAKAHATA Isao ou TARO Rin. Moins connu en France faute de sorties salles, un autre cinéaste apparu dans les années 80, KAWAJIRI Yoshiaki, s'illustre notamment avec un Ninja Scroll (1994) n'ayant rien à envier rayon tranchant aux Baby Cart. Avec tous ces cinéastes, l'animation connaît dans les années 90 une période d'effervescence créatrice et réussit ce que le cinéma japonais live à du mal à faire depuis la chute du système de studios: un cinéma ambitieux et accessible. A côté de cela, une première relève se dessine avec KON Satoshi et le Studio 4°C. KON se fait ainsi remarquer avec le thriller depalmien Perfect Blue (1998), l'hommage aux grandes années du système de studios nippon Millenium Actress (2001), l'hommage à John FORD et CAPRA Tokyo Godfathers (2003) et le théorique Paprika (2006). Le Studio 4°C a plusieurs années d'activité derrière lui lorsqu'il se fait remarquer du milieu de l'animation en produisant Mind Game (2004), expérience visuelle déjà comparée par certains à Akira. Enfin, signalons deux films live de maîtres de l'animation: le controversé film de Science Fiction Avalon (2001) d'OSHII et World Apartment Horror (1991) d'OTOMO avec SABU.
Non classés...
Histoire de "compléter" le tableau, voilà un inventaire en vrac de quelques cinéastes ne rentrant pas dans les cases du "tableau" précédent. Cinéaste depuis 1996 et vite remarqué en festival, l'ancien présentateur SABU a lui imposé un style fait de héros du quotidien impliqués dans des conflits insolubles et prenant le parti d'en rire. Citons Postman Blues (1997) ou encore The Blessing Bell (2002). Primé des des petits festivals dans les années 80, HAYASHI Kaizo s'est illustré dans les années 90 avec le délirant chambara Zipang (1990) et la trilogie Mike Hama (1993-1995). Ces derniers néopolars donnèrent lieu à une série télévisée en 12 épisodes au Japon, Mike Yokohama. HAYASHI habite désormais Los Angeles. S'étant fait remarquer avec le moyen métrage Travail sur l'herbe (1993) primé au Festival de Kobe, SHINOHARA Tetsuo a depuis produit des longs métrages à un rythme régulier. Ecrivain reconnu, MURAKAMI Ryu s'est essayé épisodiquement au cinéma depuis les années 80. Son très SM Tokyo Decadence (1992) a été distribué en France. Si l'âge d'or est loin, il reste donc encore à défricher sous les ruines...
Une opportunité ratée de revitaliser l'industrie cinématographique
Année de la rétrocession de Hong Kong, 1997 fut aussi une année faste pour le cinéma japonais en Occident. Cannes avait récompensé le cinéma japonais aussi bien à travers d'un ancien de la Nouvelle Vague (IMAMURA) que d'une jeune cinéaste prometteuse (KAWASE). A Venise, KITANO décrochait le Lion d'or. Durant les années 90, l'arrivée (notamment en France) d'une nouvelle génération de critiques plus ouverts à l'animation et à la série B avait permis de reconsidérer la première au-delà des clichés ultraviolents et de porter sur des cinéastes de genre (NAKATA, KUROSAWA Kiyoshi) un regard différent de ce qu'il aurait été il y a 20 ans. 1997-2001 fut ainsi une période de bref nouveau rayonnement international pour le cinéma japonais. KUROSAWA Kiyoshi pouvait alors faire le grand chelem des sélections à Berlin, Cannes et Venise. Des cinéastes tels qu'AOYAMA, KORE-EDA ou SUWA connaissaient les honneurs de la Sélection Officielle à Cannes. Dans des festivals plus spécialisés, un public cinéphage attendait avec impatience les nouveaux MIIKE ou TSUKAMOTO. Cette présence du cinéma japonais se manifestait aussi au travers d'oeuvres plus grand public comme la série Ring, le brûlot Battle Royale ou le cinéma d'animation (MIYAZAKI surtout). Mais le cinéma japonais ne sut pas capitaliser sur cette période où la créativité d'un cinéma indépendant plus vu en festival s'alliait à quelques "locomotives" grand public et en profiter pour prendre la place d'industrie leader d'Asie laissée vacante avec la chute de Hong Kong. Mais en avait-elle les moyens? Victime des désirs de croissance trop rapides de SENTO Takenori, la Suncent fit faillite, révélant la précarité toujours vivace de la situation du cinéma indépendant au Japon. Et les locomotives précédemment nommées étaient souvent des exceptions dans une industrie en crise. La vague Ring ne donna que des résucées médiocres de NAKATA, Ghibli incarne un cas isolé de reproduction de ce qui faisait la force du système des studios. Le reste: TOEI et Shochiku en crise, TOHO s'en sortant en misant sur la prudence. 1990-2005: le sursaut gâché?
III: Le Cinéma Japonais face au défi de la mondialisation
Japon vu d'Hollywood/Hollywood vu du Japon
Les années 90 furent celles d'une reprise par le cinéma hollywoodien d'une bonne partie de l'héritage du cinéma de Hong Kong. A cette reprise d'un héritage martial et formel s'ajouta une "fuite des cerveaux" vers Hollywood, fuite favorisée par les incertitudes pré-rétrocession. Pour le meilleur comme le pire, cette pérode marqua l'avènement d'une version formatée pour un public mondial du cinéma de genre hongkongais. Moins porteur de solutions capables de renouveler le "spectacle" hollywoodien, un yakuza eiga de toute façon en crise n'eut pas à subir ce type de processus. Ce ne fut en revanche pas le cas du cinéma d'horreur de la vague Ring porteur de "recettes" pour susciter la peur facilement assimilables. Outre les clones coréens, thaïlandais et hongkongais, le film fut remaké à Hollywood par Gore VERBINSKI tandis et un Dark Water US vit aussi le jour. NAKATA et SHIMIZU Takashi (Ju-On) furent même appelés à Hollywood pour participer au processus. Mais le genre s'étant déjà essoufflé depuis longtemps suite aux recyclages asiatiques à outrance précédemment mentionnés on ne voit pas de notre côté dans cette reprise hollywoodienne de risque de déstabilisation majeure d'une industrie en crise.
En 2003, trois films américains ayant fait parler d'eux médiatiquement ont été tournés au Japon. Mais Lost in Translation et The Last Samurai sont d'abord respectivement un film d'auteur à l'européenne et une fresque hollywoodienne tournés sur le sol japonais. Trop lié à la vision d'un auteur/recycleur un Kill Bill Volume 1 en forme de tribute au cinéma de genre made in Asia ne propose lui pas de "recettes" de reprise de l'héritage du cinéma japonais susceptibles de faire école à Hollywood. A noter qu'on a vu récemment débarquer un remake hollywoodien de la comédie romantique Shall we dance? de SUO Masayuki avec un gros succès au Box Office japonais. Quant à Mémoires d'une Geisha (2005) de Rob MARSHALL, on pourrait appliquer à cette adaptation du Best Seller d'Arthur GOLDEN la même remarque qu'au film de ZWICK: indépendamment d'un choix de casting all stars ayant fait polémique (Chinoises incarnant des Japonaises), il s'agit d'abord d'un cinéma hollywoodien délocalisé. Si la mondialisation du cinéma concerne désormais aussi le Japon, elle ne lui cause pas néanmoins de préjudice artistique majeur. Mais désormais le cinéma japonais se doit de tenter de répondre à ce défi.
Des réponses possibles à la mondialisation du cinéma furent apportées de façon inattendue par un dénommé KITANO. Tourné aux Etats-Unis en conservant une bonne partie du "KITANO team" (acteurs, Hisaishi), Aniki mon frère (2000) est totalement fidèle au style KITANO pas tout lyophilisé par cette expérience américaine tout en ayant la facture technique et l'efficacité carrée d'un polar d'action US. Le cinéaste se permet même une radiographie du Los Angeles des minorités se serrant les coudes entres elles par intérêt. Sans être du grand KITANO, un modèle de mondialisation réussie. Trois ans plus tard, la cas Zatoichi est un peu plus complexe. S'abreuvant aussi bien à la source des Zatoichi originaux et de KUROSAWA qu'à celle de Dancer in the dark (dont le visionnage en diagonale reconnu par KITANO a sans doute inspiré le final), le film offre son lot de geysers à la sauce numérique et introduit une efficacité lorgnant vers Hollywood dans ses combats au sabre.
Mais au passage KITANO abandonne totalement l'héritage thématique de la série tout en se permettant un traitement inconoclaste du mythe. Imaginerait-on un James Bond ou un Indiana Jones arborant une chevelure couleur Steevy du Loft comme le Zatoichi cuvée 2003? Qui plus est, KITANO nous révèle la raison des dons sensoriels exceptionnels de Zatoichi, raison cassant complètement le mythe du sabreur aveugle. La tentative kitanienne fut couronnée de succès public au Japon mais c'est au prix de grosses égratignures faites à des éléments constitutifs de la saga. Ceci dit, KITANO a conservé le mélange des genres, les ruptures de tons, les personnages hauts en couleur. Du coup, son Zatoichi demeure malgré tout l'héritier d'un certain cinéma populaire à l'asiatique dont la saga est un des fleurons. Ou comment l'irrespect de l'essence d'un mythe national lui offre une jolie survie... Avec les derniers CHOW Sing Chi et le doublé gagnant Time and tide/Legend of zu, il s'agit des réponses les plus intéréssantes cinématographiquement du cinéma asiatique à la mondialisation car ne reniant pas la spécificité de leurs cinémas nationaux. Trop tributaires de la vision de leur concepteurs, ils ne peuvent néanmoins faire office de cinéma de formules reproductibles.
Le modèle coréen: un exemple à suivre pour le cinéma japonais?
De plus, le cinéma japonais n'est plus seulement menaçé au Box Office par Hollywood mais par un cinéma en forme de pur produit de la mondialisation: le nouveau cinéma coréen qui a repris la place d'industrie leader d'Asie du Sud-Est laissée vacante par Hong Kong. A la fin des années 90, le cinéma sud-coréen était menaçé économiquement par l'invasion hollywoodienne. En signe de protestation, des cinéastes célèbres s'étaient rasé le crâne. Du coup, le gouvernement mit en place une politique de quotas associée à des subventions à la production nationale. A partir du succès monstre de Shiri en 1999 favorisant l'intrusion des capitaux d'entreprises dans le monde du cinéma, une industrie cinématographique avec un cinéma national trustant les sommets du Box Office se développe. L'inflation budgétaire s'accompagne alors d'un souci systématique d'offrir des films au niveau de finition technique susceptible de rivaliser avec les standards internationaux. A cela s'ajoute une politique très offensive de promotion du cinéma national hors des frontières concernant aussi bien les blockbusters que le cinéma d'auteur. Pusan devient un festival phare en Asie. Cette invasion n'épargne pas le Japon: un film comme My Sassy Girl y fut par exemple un très gros succès et fit de JEON Ji-Hyeon une star au Japon. Et dans les grands festivals ce cinéma se met aussi à avoir le vent en poupe en terme de reconnaissance académique: KIM Ki-Duk, IM Kwon-Taek, LEE Chang-Dong et PARK Chan-Wook en ont fait un récent habitué des palmarès.
On peut bien sûr pointer les limites du "modèle" coréen. Tenter de répondre à l'invasion hollywoodienne y revient souvent à copier des recettes qui marchent ailleurs. Hors quelques cinéastes rendus "intouchables" par la reconnaissance académique en Occident, il y est très difficile d'y réaliser des projets personnels. Un cinéma indépendant a beaucoup de mal à y exister. Reste que dans ses meilleurs moments ce cinéma sait concilier accessibilité, finition technique et ambition thématique. Tentative financièrement aboutie de réponse au défi de la mondialisation (même si la fameuse loi sur les quotas a été vidée en 2006 de sa substance sous la pression américaine), le cas coréen ne pouvait laisser indifférent le voisin japonais. Le succès de Shiri (record pour un film coréen au Japon) a entraîné une exploitation plus facile du cinéma coréen au Japon. Et le cinéma japonais tente de dupliquer les "recettes" du succès. One Missed Call, rip off signé MIIKE de The Phone, fut ainsi un très gros succès au Box Office japonais. Sur le modèle de la génération de jeunes cinéastes coréens, les Majors tentent de faire appel à de jeunes cinéastes issus du vidéoclip, du cinéma indépendant et de la télévision après s'être longtemps appuyées sur des vétérans. Le succès des comédies romantiques et des TV Dramas coréens au Japon booste également un retour à des projets de mélodrames. Des blockbusters guerriers sur le modèle Shiri sont en préparation. En 2005, le nationaliste blockbuster guerrier Yamato produit par KADOKAWA Haruki a été un gros succès au Japon. Le conservateur gouverneur de Tokyo ISHIHARA Shintaro scénarise lui I Will Only Die for You, blockbuster sur la vie d'un escadron de kamikazes prévu pour 2007.
Mais une évolution à la coréenne se retrouve aussi dans le récent changement radical de la politique culturelle vis à vis du cinéma local. Conscient des débouchés économiques représentés par le multimédia, le premier ministre KOIZUMI Junichiro a décidé de faire jouer à l'état un rôle plus actif dans l'aide au cinéma et sa promotion. Il a mis en place une Commission composée principalement de professionnels du cinéma et de représentants des ministères. Cette dernière fit en 2003 des propositions de loi reprises dans un grand plan de promotion du cinéma par KOIZUMI en 2004. Le plan s'engage à un soutien financier à la réalisation, production et distribution de films, à la promotion du cinéma local auprès des enfants, à la préservation du patrimoine cinématographique et au cinéma japonais à l'export. Mais parce que la Commission comportait peu de critiques et universitaires le plan néglige le développement d'études universitaires et critiques sur le cinéma contrairement à la Corée du Sud pour laquelle cet aspect a été développé en parallèle de la politique commerciale. Il est encore trop tôt pour dire si le cru 2005 exceptionnel du point de vue du Box Office (41,3% de part de marché du cinéma local) est la conséquence de ces mesures.
Bilan provisoire
Au modèle proche du système de studios hollywoodien de l'ère classique des années 50 répond un paysage des années 90 fait de Majors frileuses incapables d'audaces face à l'invasion hollywoodienne et un cinéma indépendant précaire, rayonnant à l'étranger mais peu vu au Japon et pour lequel concrétiser ses projets artistiques est un combat de tous les jours. De l'avis de nombreux spécialistes (Tom MES, Mark SCHILLING, SATO Tadao), c'est le cinéma indépendant qui dans les années 90 a permis au cinéma japonais live de produire le meilleur des années de crise tandis qu'un cinéma mainstream hors animation de qualité se raréfiait. Malgré l'embellie 2005, la situation actuelle inquiète de ce point de vue. En négligeant le cinéma comme objet d'étude et en ne reprenant que la dimension économique du modèle coréen, la politique culturelle actuelle ne voit dans le cinéma qu'un produit de consommation. En plus d'ouvrir la voie à la domination de blockbusters ultraformatés, elle pourrait administrer le coup de grâce à une presse cinématographique locale déjà mal en point et à un cinéma indépendant en crise. Tous ces films fauchés, imparfaits mais qui proposaient un cinéma autre risquent du coup peut être d'appartenir au passé du cinéma japonais. We'll see...
Sources: Screendaily, Screenweekly, midnighteye.com, Le Cinéma Japonais par Sato Tadao