Depuis quelques années et parallèlement à l’engouement hollywoodien pour les comics, l’industrie du cinéma japonais semble connaître un regain d’intérêt pour les adaptations live de mangas à succès. Et comme tout le monde le sait, les mangas à succès courent les rues dans le pays. Petit point à l'occasion de cette MAJ de films rentrant dans cette catégorie.
De la même façon que l’industrie du jeu vidéo achète des licences de films live pour en faire des jeux à succès, tablant sur la popularité du matériau de départ plus que sur les qualités ludiques pour faire le plein de joueurs, l’industrie cinématographique japonaise se saisit de la popularité de certains manga (les auteurs à plus de 100 millions d’exemplaires vendus ne sont pas une espèce en voie de disparition là bas) pour faire des films potentiellement plus facilement rentables que la moyenne. Et une fois sur deux on retrouve quelque part dans le casting, généralement en tête d’affiche, au moins une jeune vedette de la musique et/ou du petit écran, histoire de minimiser encore plus les risques et de maximiser le public. C’est le cas, pour n’en nommer que quelques uns, de Princess Blade, des deux Azumi, de Devilman, de Skyhigh ou de Dragon Head... Si le « bizness model » semble assez viable au point que sur les films chroniqués à l’occasion de cette mise à jours deux, Nin x Nin Ninja Hattori-kun The Movie et Last Quarter, y correspondent complètement, l’amateur de cinéma n’y trouve pas forcément son compte ; une bonne partie de ces récentes adaptations restant d’un niveau médiocre, voire pire. Un risque d’insatisfaction tant pour le spectateur du film que pour le lecteur du manga adapté. Ok, le point de vue est un peu réducteur ; les idols (jeunes starlettes de la chanson et du petit écran) courant autant les rues au Japon que les mangas à succès et, surtout, l’histoire d’amour des japonais avec leurs mangas remontant à bien plus loin que ces dernières années, il est logique qu’il en soit de même pour leurs adaptations cinéma live ; et on ne parle même pas de la pléthore de séries TV dont une énumération, même hyper partielle, relève d'un travail (au moins payé) d'encyclopédiste dopé aux anabolisants par intraveineuses oculaires dans les yeux...
Ainsi, en 1948, le premier film d’une saga « domestique » qui en comptera treize, Sazae-san, est tiré d’une œuvre de la mangaka HASEGAWA Machiko, publiée deux ans plus tôt dans les pages d'un magazine spécialisé. Dans ces mêmes années, entre 1954 et 1955, TEZUKA Osamu publie une version manga contant les aventures du rônin borgne et manchot Tange Sazen, fameux personnage de feuilleton littéraire de la fin des années 20 qui connut plusieurs incarnations cinématographique (34 pour l’instant) dès les années 30. Le jeu des influences réciproques jouait déjà de façon significative. Depuis la tendance n’a fait que se confirmer et s’accentuer, les films de ces dernières années capitalisant surtout sur des ambitions techniques renouvelées et une nouvelle génération de réalisateurs. Comme le déclarait Miyazaki Dai, producteur sur Blue Spring, au Japan Information Network lors de la sortie du film au Japon en 2002 : « le monde du cinéma japonais est au milieu d’un changement de génération et les producteurs ayant grandi avec les mangas commencent à émerger ».
Mais difficile de dépasser les modèles papier quand ceux-ci font déjà preuve d’une habileté toute cinématographique à dramatiser leur propos. La syntaxe narrative des manga est déjà bien complexe, riche d’une science qui met à disposition des mangaka un arsenal de techniques qui peut faire d’un piètre dessinateur un auteur potable, parfois même incontournable pour peu qu’il possède ce sens génial du découpage et de la mise en page (et un petit quelque chose à dire) qui est une des qualités essentielles du manga. Dans le cas d’œuvres originales moyennes ou justes sympathiques, comme avec le manga Uzimaru pour piocher dans les films chroniqués ci-dessous, c’est la facilité avec laquelle le dessinateur – outre son style graphique, son « trait » - peut passer d’une ambiance « sérieuse » à un humour appuyé, voir plus, qui fait défaut au cinéma. Les ruptures de ton sont d’autant plus faciles que le mangaka peut puiser dans quantités d’outils symboliques pour travailler le lecteur : le personnage principal deUmizaru version papier peut ainsi jouer sur une palette d’émotions diverses avec une « facilité » que peut d’acteurs réels possèdent, passant d’un registre sérieux ou préoccupé (code graphique des gouttes de sueur ou de la veine saillante à l’appui), à des mimiques ouvertement caricaturales et burlesques (dans Umizaru pas de dessins en « Super Deformed » mais d’autres trucs à l’appui) d’une vignette à l’autre de façon convaincante, rythmant avec efficacité le déroulement d’un scénario qui sans cela tendrait à se prendre les pieds dans sa solennité sous-jacente toute en uniformes (de gardes côtes) et ses ressorts scénaristiques entendus.
Le cas du manga Lone Wolf & Cub et de son équivalent live des 70’s, Baby Cart, un passage du papier à l'écran globalement tenu pour réussi, est illustratif du problème incontournable (mais non insoluble) de l'adaptation en images de quelque chose qui existe déjà en images. Les propos (voir interview sur https://www.mightyblowhole.com/lwc/lwc_artFM.htm) du dessinateur KOJIMA Goseki quant à sa façon de travailler sur le manga avec son scénariste KOIKE Kazuo, sont assez éloquents lorsqu'il explique comment il intégrait des passages non dialogués - les meilleurs de l'avis général et ceux qui élèvent définitivement ce manga un ton au-dessus du reste, de l’avis particulier - pour casser la lourdeur pleine de mots du script. Et de conclure dans une comparaison plus que parlante : " Si Mr KOIKE est le scénariste, alors je suis le réalisateur et le directeur de casting". KOIKE Kazuo est sur les films en qualité de scénariste, KOJIMA n'y est pas... Et il apparaît manifeste, malgré toutes les qualités diverses des différents films composant la saga des Baby Cart, que quelque chose d’essentiel a été perdu ou fortement dilué dans le cours du processus d’adaptation. Le réalisateur MISUMI Kenji, malgré la présence de KOIKE au scénario, n’a jamais vraiment réussi à restituer l’intensité du drame qui se noue : au moment – début des 70’s - où est entreprise cette version grand écran du manga, le genre cinématographique auquel il se rattache a déjà ses plus belles années derrière lui. Le résultat tiendra donc bien plus du samouraï spaghetti que du récit épique (en plus d’une erreur de casting manifeste pour le rôle de Ogami, malgré toutes les qualités d’acteur de Wakayama Tomisaburo) en raison d’un traitement de l’image et de la musique très « 70’s » en premier lieu, en raison de la difficulté à faire « jouer » intensément un enfant de 3 ans aussi et surtout. Alors que dans le manga ce dernier exprime, par le truchement du dessin sensuel de Kojima et de son découpage très cinématographique, une personnalité concernée par les évènements, un personnage réellement autonome, le « co-héro » du récit, cette dimension essentielle, ce courant – parfois même torrent - émotionnel qui irrigue en permanence le manga à mesure que se dévoilent les liens profonds et subtils unissant Ogami et son fils Daigoro, ne trouve pas d’équivalent dans les adaptations live...
Aujourd'hui force est de constater que ces dernières années, en dehors d’un Ping-Pong gentiment fidèle à son référent papier, d’un Blue Spring plus inspiré dans son travail d’adaptation (deux films tirés de l’œuvre du mangaka MATSUMOTO Taiyô), ou d’un Ichi the Killer réjouissant qui n’a rien à envier en terme de « craditude » au manga d’origine, les bonnes adaptations ne courent pas les rues, elles. Sans être catastrophique, la dernière cuvée cinéma/DVD ne semble pas prête d’inverser la tendance et les dernières adaptations comme Devilman, Tetsujin 28, Neighborhood 13, Nana, Touch... – ont la tâche bien difficile d’essayer de relever le niveau de ce type de productions récentes. De fait, on ne tient pas compte d’un film comme Old Boy (manga édité chez nous par Kabuto), réalisé en Corée, ou de la version live d’Initial D entièrement réalisée dans le système HK (même si ces deux films ont des capitaux japonais), tout comme des Gunnm, Evangelion et autre Monster dont s’est emparé Hollywood ; tous ces films posent bien d’autres questions intéressantes et témoignent de l’influence grandissante de la « culture otaku » (en gros la part importante de l’industrie de l’animation, du manga et des jeux vidéo ainsi que du "merchandising" autour des produits dérivés) sur l’économie japonaise et sur l’« entertainment » mondial.