Intro
Les fans de ciné HK post 1997 connaissent bien Wilson Yip, autant pour ses deux drames de références, Bullets over Summer & Juliet in Love que, dans une moindre mesure, pour son film de zombies fun, Bio-Zombie, et son blockbuster raté (Skyline Cruisers). Son SPL avec Donnie Yen et Sammo Hung risque par contre de faire sortir son nom du simple cercle des initiés. Voici donc une petite interview avec ce réalisateur aussi calme et peu bavard en interview qu'il peut être survolté en tournage. Une interview à lire en parallèle à celle de Matthew Chow, son scénariste sur Bullets over Summer & Juliet in Love, dans un style bien plus loquace.
Interview
Cinemasie: Vous avez réalisé plusieurs films
fantastiques avec des fantômes, des zombies et des momies. J'imagine
que vous devez être fan du genre?
Wilson Yip: Oui bien sûr
(sourire). En fait, beaucoup de personnes débutent par un film de
fantôme. Pour un nouveau réalisateur, c'est beaucoup plus facile de
débuter ainsi, car le thème est bien défini et cadré. Et personnellement, j'aime les zombies.
A Hong Kong, on ne voit jamais de films de zombies. Ce sont plutôt les
vampires chinois qu'on voit dans les films d'épouvante. Plus
généralement, dans les films d'épouvante, on peut évoquer un thème
secondaire en arrière plan, donc oui, j'aime bien faire des films
fantastiques.
Est-ce important pour vous d'aborder un thème en arrière plan?
En
fait, je veux parler de relations humaines, de famille dans mes films,
je trouve que ce sont des sujets plus importants que les fantômes. Les
valeurs familiales et les émotions humaines sont les sujets que je veux
évoquer dans mon travail. Les fantômes et autres momies représentent
seulement une crise frappant une famille, et l'important est de voir
comment la famille va gérer le problème.
Est-ce que “Bio-Zombie” a changé votre carrière? Il n'a pas trop mal marché comparé au budget?
Non, le tournant dans ma carrière fût plutôt Bullets over Summer.
C'était facile de passer d'un film fantastique à deux drames ensuite?
Non,
c'était compliqué. Le marché à Hong Kong était au plus bas à l'époque.
Les budgets étaient très faibles, le studio où je travaillais était un
peu perdu. C'est aussi pour ça qu'ils ont accepté que je fasse ces deux
films à petit budget.
Matthew Chow a écrit les deux scénarios de ces films. Comment ça s'est passé avec lui?
J'ai
rejoint le studio de Joe Ma et rencontré Matt à ce moment. On a
travaillé sur ces deux drames ensemble. Ensuite il a décidé de devenir
réalisateur, donc nous n'avons pas pu travailler ensemble. Mais nous
allons collaborer à nouveau ensemble sur un nouveau film.
Quel est le sujet?
On y réfléchit.
Dans ces deux drames, on retrouve aussi Francis Ng.
Je
ne le connaissais pas avant de tourner Bullets over Summer. La première
impression qu'il m'a laissé était que nous avions beaucoup de choses
en commun, nous sommes tous les deux assez explosifs et violents
(sourire). Parfois je casse des chaises. Et Francis ne jouait pas
toujours des premiers rôles dans ses films à l'époque, et je
pensais que ça allait être ma dernière réalisation comme mes précédents
films ne s'étaient pas bien vendus. Son personnage dans le film reflète
comment je me sentais à l'époque, je n'avais pas tellement le moral.
J'aimerais beaucoup retravailler avec lui.
Dans la bande-annonce de Bullets Over Summer, il y a à la fin une scène dans l’hôpital qui n’est pas dans le film. Que raconte t-elle ?
Dans le script original, Louis arrive à l’hôpital à temps et attrape Francis. On a filmé Louis se faire frappé par Francis parce qu’il n’admet pas que Louis ne réalise pas la chance que l’avenir lui offre. En fait Francis voulait toujours le cogner pour qu’il gagne en maturité.
Pourquoi l’avez-vous coupée ?
Pourquoi ? (rire). Cette scène a été coupée parce que vers la fin, je suis devenu plus rationnel et j’ai pensé : pourquoi ne le sauve t-il pas comme il arrive à l’hôpital à temps? Il devrait plutôt trouvé un docteur pour le secourir.
Bullets Over Summer est un film assez lent mais en même temps beaucoup d’évènements tombent subitement sur les personnages, comme s'ils n’avaient pas le temps de réagir. Insinueriez-vous que la vie est imprévisible ?
C’est très vrai, la vie est si imprévisible! C’est aussi la raison pour laquelle j’aime la magie, ce qui sort de nulle part (sourire) et disparaît tout aussi soudainement, j’aime ce sentiment. Personnellement, j’aime les films lents mais je ne pense pas que cela soit le cas du public, c’est pourquoi j’accélère le rythme dans mes films. Et je crois que le public est maintenant plus ouvert à différents types de films, il ne faut plus tout leur expliquer comme avant.
Etait-ce facile de faire Juliet In Love après Bullets Over Summer ?
Ce n’était pas une question de budget mais j’étais devenu plus confiant dans la réalisation. Le budget de Juliet In Love était même 1millions de $HK plus bas que Bullets Over Summer, vous pouvez imaginer comme ça a été dur de le finaliser ! Je ne pouvais donc plus faire de films similaires après Juliet In Love.
Ils ne vous auraient pas laissé faire sans doute ?
Oui, personne n’avait l’intention d’investir, même la boîte de production, je ne sais pas pourquoi, je serais d’ailleurs intéressé de le savoir. Le succès ne dépend pas du box-office mais des tendances du marché. Ils pensaient que Bullets Over Summer était assez bien mais si on utilisait la même équipe pour une comédie, le box-office serait pareil. Donc un film avec un moindre budget aurait été plus sûr. Mais ce serait impossible de faire un film convenable avec un budget plus restreint.
Juliet In Love se finit de façon étrange. Comment cette clé arrive sur la porte ? Peut-être qu’il n’y a pas de raison mais j’aimerais avoir votre explication (SPOILER INSIDE!!!)
C’est de la magie encore une fois (rires). Ils ne se sont pas retrouvés bien que ça soit un miracle qu’ils soient ensemble de cette manière à la fin. La clé montre l’envie de retour de Francis, ce serait trop cruel si il n’avait pas cette possibilité. Et Sandra Ng peut ressentir sa présence à ses côtés grâce à cette clé, c’est un voyage à travers le temps (sourire).
Vous aviez un bon casting : Sandra Ng, Simon Yam, Francis Ng...
C’est agréable de travailler avec ces gens et comme ce sont de bons acteurs, ils peuvent jouer bien mieux que ce qui est écrit dans le script, au-delà de mes attentes.
Peu de choses sont expliquées dans vos films, les personnages parlent peu. Etait-ce important de laisser les spectateurs réfléchir un peu ?
Je partage mes sentiments avec le public et après ça, je les plonge dans l’histoire, je ne veux pas que le public pense et ressente comme moi. Je partageais un sentiment d’amour avec le public, je n’essayais pas de tout expliquer parce que je crois que chacun a sa propre interprétation des choses.
Dans Bullets Over Summer, une famille virtuelle se crée. Dans Juliet In Love, deux personnes recréent une famille avec le bébé. Dans Mummy Aged 19, c’est à propos de la momie et de sa fille et aussi des problèmes entre le fils et sa famille. La famille est vraiment importante pour vous ?
Oui, c’est très important. Peut-être parce que mon père est mort quand j’avais 16 ans. J’aime le sentiment d’avoir une famille proche, j’apprécie aussi l’amitié. Une famille peut disparaître soudainement, surtout quand on ne s’y attend pas. Je n’ai pas réalisé l’impact que ça avait eu sur moi et mes films mais j’en suis plus conscient maintenant.
Après ça, vous avez fait deux gros films d’actions (2002 et Skyline Cruisers) avec de grands budgets mais ils n’ont pas très bien marché. Qu’en pensez-vous ?
Pour Skyline Cruisers, j’apprenais à réaliser du film d’action. Je n’aimais pas trop ça mais j’avais quand même envie d’apprendre et je dois dire que j’ai appris beaucoup de choses en le réalisant, j’ai gagné en expérience. Pour 2002, je pense que j’ai fait mieux mais je devrais encore continuer à apprendre et m’améliorer.
Leaving Me Loving You est un autre changement de genre.
C’est une love-story très simple et lente, une histoire sur un couple qui s’est séparé, avec un gros budget de 20 millions $HK, c’est beaucoup pour une romance. Je pense que ça fait longtemps qu’il n’y a plus eu de films comme ça, il y a surtout eu des comédies ces derniers temps. Je voulais faire un film avec une histoire assez simple et je dois dire que c’est difficile de faire plus simple (rires). Je ne dirais pas que c’est une histoire à l’eau de rose, c’est juste une simple histoire d’amour.
Vous aviez un projet sur un magicien, non ?
Oui, The Enchanter, le personnage principal est magicien. Le script original est d’Edmond Pang, on est tous les deux intéressés par la magie. Ce que je veux vraiment montrer, c’est le sentiment qui ressort de la magie, pas la magie en elle-même.
Vous avez aimé les films d’Edmond Pang ?
Je le connais depuis longtemps et il avait ce script avant sur la magie. Je suis tombé amoureux du personnage principal. Après l’avoir lu, je l’ai acheté et modifié une bonne partie. J’ai juste gardé l’idée originale du magicien reconverti dans la triche aux jeux d’argent.
Le cinéma HK a été en crise depuis de nombreuses années. Que pensez-vous de son évolution depuis ces 5 dernières années ?
Je pense qu’il va de plus en plus s’élargir vers la Chine et qu’on devrait être plus ouverts sur des films de genre différents. Je pense qu’on devrait de plus en plus collaborer avec les chinois, voire les européens. Avant, nous étions trop concentrés sur le marché local.
Est-ce une bonne chose pour le cinéma HK ?
Ca pourrait peut-être ne pas être une bonne chose pour les réalisateurs locaux mais on doit le faire, on ne peut pas dire si c’est bien ou mal si on n’a pas essayé… C’est une bonne chose mais quant à savoir si tout le monde peut y arriver, c’est une autre question.
Avez-vous peur de la censure chinoise ?
Il y a beaucoup de contraintes en Chine auxquels on n’est pas familier. On n’a parfois beaucoup d’idées mais on n’est pas capable de les appliquer, la créativité s’en trouve limitée. Au contraire des réalisateurs chinois qui connaissent bien les restrictions, nous n’y sommes pas habitués et les sujets comme les films politiques ou de fantômes sont définitivement censurés.
Quitteriez-vous HK ou la Chine pour aller dans d’autres pays à cause de ces restrictions ?
Peut-être pour un ou deux films, histoire d’essayer (rires). Mais je dois être familier avec la culture locale sinon, je ne pourrais pas l’appréhender. Ca ne serait pas réaliste si je n’étais pas familier de l’endroit qui m’entoure. Je ne saurais par exemple pas faire un film sur les policiers français.
En dehors de The Enchanter, vous travaillez sur quoi d’autre ?
J’ai beaucoup de films en projet (sourire) mais rien de concret pour le moment. J’aimerais vraiment faire The Enchanter mais ça a été annulé pour le moment. Je veux faire des films commerciaux d’abord. Comme m’a dit Johnnie To : c’est pas compliqué de faire des bons films c’est difficile d’en faire des commerciaux.
Donc vous voulez apprendre comment faire de bons films commerciaux ?
Oui, comme PTU. Johnnie To a dit qu’il a dû réaliser beaucoup de films commerciaux avant de parvenir à faire celui-là bien qu’il soit un très bon réalisateur ! Je veux faire de même, je l’admire.
Un film n’est pas la réalité, c’est juste une illusion. Pensez-vous être un magicien lorsque vous tournez un film ?
J’ai toujours pensé que la magie et le cinéma sont la même chose. Faire un film est comme réaliser un rêve, la magie est un rêve aussi.
Merci beaucoup !
Merci bien.
Remerciements à Dana et Wilson Yip.