Note : Pour des raisons de cohérence, le présent article ne prend en compte que la série officielle qui comprend Young&Dangerous 1 à 5, The Prequel, Those Were The Days(2000) et Portland Street Blues. Once Upon A Time In Triad Society, Sexy&Dangerous et The Legendary Tai-Fei sont des films officieux sans réel rapport avec la trame générale hormis des personnages communs.
Teddy Boy | Young&Dangerous 1 |
Young And Dangerous : trois mots à faire titiller l'esprit de bon nombre d'amateurs de cinéma hongkongais rien qu'à l'évocation de cette saga mafieuse qui a le mérite de clairement diviser les fans à son sujet. Pour essayer de comprendre ce phénomène, il faut se replacer dans le contexte de l'année 1995 : malgré une certaine variété de genres, les films produits peinent à clairement se démarquer des autres productions et genre du wu xia-pian se voit quasiment enterré dignement par le The Blade de Tsui Hark. Au cours de cette année d'incertitude cinématographique, le curieux pourrait noter la présence de Mean Street Story, petit film de triades brouillon et sans grand intérêt si ce n'est qu'il comporte hors-caméra tous les personnalités déclencheuses de la série : Andrew Lau à la réalisation, Ekin Cheng en premier rôle et Wong Jing à la production et au script. C'est ce dernier qui en voulant monter sa nouvelle boîte de production, la B.O.B. va dégoter le producteur/scénariste commercial de génie en la personne de Manfred Wong dont la carrière n'avait eu que peu d'impact jusque là. Pour mettre sur les rails leur studio, notre cher duo se met en quête de nouveaux genres susceptibles de donner un bon coup de pied dans la fourmilière du cinéma HK avant qu'il ne se sclérose. Souvent éclipsées par les mangas de l'archipel nipponne, les bédés hongkongaises fournissent quand même une production correspondant aux spécificités culturelles de la ville et si il y'a bien quelque chose qui n'existe pas au Japon, ce sont les triades et tout l'univers qui gravite autour. Démarrée dans la première moitié des années 90, la série Teddy Boy possède un style graphique très rentre-dedans avec ses personnage charismatiques et violents et il est intéressant de noter que sa popularité ne faiblit pas car la bédé s'est vu adaptée en jeu vidéo (exclusivement en réseau) dans un style action-rpg proche de Diablo (mais ici dans un contexte actuel évidemment). Travaillant en parallèle sur l'adaptation de Feel 100% (voir article), nos lascars possédaient un matériau de base suffisant que pour entamer de nouvelles expérimentations cinématographiques inédites à Hong-Kong en dépoussiérant un genre (vaguement abordé autrefois par la Shaw Brothers via Brother Cheng ou Tea House) que pour mieux le réinventer de la même façon que Tsui Hark remit le kung-fu au goût du jour via sa série Once Upon A Time In China. Le 25 janvier 1996, le premier Young And Dangerous sort sur les écrans de la ville et le public se prendra une claque magistrale, dès lors commence l'une des plus grandes histoires du ciné HK…
Young & Dangerous 2 |
"Brother B. I want to follow you": voilà comment par ces mots une bande de copains scelle son destin à jamais, suivant les pas de leur chef de la même façon qu'ils pourraient s'investir aveuglément dans une religion ou autre croyance hormis que dans ce milieu on vit par et pour le pêché. On retrouve nos amis dix ans plus tard sous les traits d'Ekin Cheng et Jordan Chan : si Jordan Chan possède un statut plus ou moins neutre parmi les cinéphiles HK, il n'en va pas de même pour Ekin Cheng dont la seule évocation du nom fait remonter à la surface tout un pan du cinéma post-rétrocession et les avis négatifs (justifiés ou non) qui en découlent. Pourtant on ne peut que se féliciter de ce choix : le seul autre acteur à même de pouvoir mener à lui tout seul des films de triades est Andy Lau qui de Sworn Brothers à A True Mob Story a sérieusement alimenté le genre en la matière. Mais avec un public l'ayant assimilé définitivement à son rôle de triade romantique dans le premier A Moment Of Romance, il fallait une nouvelle tête pour que le public ait de nouveau repère et avec sa belle gueule, son charisme inné et sa popularité grandissante, Ekin Cheng était l'homme idéal pour lancer une nouvelle vague. Tout en décontraction avec un jeu d'acteur tout en retenue loin des bouffonneries HK habituelles et ses chansons entraînantes, Ekin a conquis le cœur des spectateurs locaux, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle génération de stars qui gagneront au fur et à mesure le statut d'idole à part entière au-delà du binôme acteur-chanteur habituel. Mais pour en revenir à un contexte purement cinématographique le film apporte un style bien éloigné du pseudo âge d'or du ciné HK en adoptant une réalisation caméra sur épaule tourné sauvagement dans les rues de la ville que pour mieux épouser le rythme frénétique de la glorieuse city à la veille de la rétrocession. Pour tout dire ce choix de réalisation est tout à fait logique si l'on considère le cinéma comme une évolution perpétuelle et il ne faut pas chercher bien loin pour comprendre qu'Andrew Lau a réussi à se réapproprier les figures de style cinématographiques inédites qu'ils avaient élaborés en partenariat avec Wong Kar-Waï sur As Tears Go By et Chungking Express : malgré leurs divergences artistiques, les deux hommes arriveront en commun à établir inconsciemment une seconde nouvelle vague aussi bien sur le front du cinéma commercial que d'auteur. Andrew Lau poussera d'ailleurs à plusieurs reprises cet aspect parfois à la limite du documentaire en filmant au cœur même des festivités publiques (danses du dragon, beuveries à Amsterdam, etc…) de la même façon que Fruit Chan filma la rétrocession pour son Longest Summer.
Young&Dangerous 3 |
Cet ancrage dans la vie quotidienne de nos héros donne d'ailleurs un feeling assez particulier à la série au-delà des histoires mafieuses, Andrew Lau et Manfred Wong dressent un portrait géopolitique d'Hong-Kong et des pays environnants tel qu'eux et leurs concitoyens le vivaient. Cela devient assez flagrant notamment dans le deuxième épisode qui se réfère aux bagarres au sein du gouvernement taïwanais (images qui firent le tour du monde à l'époque), de la corruption généralisée ou de l'appréhension des hongkongais fassent à la rétrocession (auquel d'ailleurs Born To Be King, réalisé plusieurs années après, donne la réponse en appelant à l'unification des chinois quelque soit leur origine) ou encore les événements de la place Tian An Men en 1989 tels que vécus du point de vue des hongkongais. Cette séquence de la place Tian An Men figurant dans la préquelle apporte aussi l'un des aspects les plus mal compris de la série dans la supposée idéalisation qu'Andrew Lau aurait fait des héros dont les activités sont largement répréhensibles dans la vraie vie car dans le fond, nos chers triades/pop-stars se retrouvent tout autant idéalisés qu'un Chow Yun-Fat lors de son époque heroic-bloodshed à gogo (auquel Andrew fait un large clin d'œil dans Y&D2 en habillant pour la plaisanterie Ekin Cheng en clone de Mark (A Better Tomorrow)) : certes (et pour couper court à tout suspense éventuel) Ekin finit l'intégrale de cette saga vivant sans jamais être puni de quelque manière que ce soit de ses crimes mais la vie que mène ces criminels à l'écran est loin d'être attirante, Hong-Kong apparaisant comme un lieu de non-droit où règne l'anarchie la plus totale, les policiers n'arrivant même pas à maintenir un semblant d'ordre dans leur commissariat (Y&D5). Au fur et à mesure des films, la vie des personnages se retrouve littéralement détruite par la loi du milieu mais il ne peuvent plus faire marche arrière et sont victimes de leur statut ce qui donne lieu à une remise en question de leurs actes(Y&D4). Il est d'ailleurs assez utile de voir Y&D : The Prequel au niveau du personnage d'Ho Nam (Nicholas Tse jouant le rôle d'Ekin jeune) et des circonstances de son adhésion aux triades : en décrochage scolaire et livré à lui-même, ce sera son chef de gang qui le remettra lui et ses camarades dans le droit chemin, assurant le rôle d'une figure paternelle que ces jeunes n'ont jamais connue (notamment en coupent court à leur toxicomanie). La confusion des repères moraux d'Ho Nam se fait d'autant plus flagrante avec l'incompréhension de la mort de sa mère et celle simultanée de milliers d'étudiants chinois à Tian An Men : dès lors la vie n'a plus rien à lui offrir et en intégrant les triades, il peut refaire sa vie et le monde à sa façon même si inéluctablement il est un personnage typiquement voué à la tragédie et l'auto-destruction de sa vie privée.
Deux pièces maîtresses de Y&D |
Véritable homme de l'ombre de la série, Manfred Wong eu la présence d'esprit de remarquer que passer un certain cap, la saga aurait de plus en plus de mal à éviter la redite et à s'enliser ce qui arriva avec un 5ème épisode insipide au possible qui n'apporte plus rien aux personnages. Mais parallèlement à ce film désastreux, il eu l'idée de génie de développer des spin-offs retraçant la vie des personnages les plus intéressants de la série : Y&D : The Prequel pour Ho Nam, Portland Street Blues pour Sister 13 (Sandra Ng) et Those Were The Days pour Chicken (Jordan Chan). En ajout de ce qui a été écrit précédemment sur la préquelle, le film se révèle surtout comme le témoin du passage de l'adolescence à l'âge adulte de notre inséparable bande de copains, la façon dont le film étant mené fait rappeler une version plus scénarisée des films de Lawrence Ah-Mon sur la jeunesse hongkongaise et de son désoeuvrement matériel et affectif. Avec les chapitre Portland Street Blues et Those Were The Days, la saga prend une toute nouvelle tournure car Andrew Lau délègue la réalisation à Raymond Yip qui avait fait entre-autre office d'assistant-réalisateur sur Y&D3 ce qui finalement s'avère être être logique car les débordements émotionnels de ce 3ème épisode (qui en font le meilleur de la série réalisée par Andrew) seront repris dans ces deux spin-offs mais cette fois-ci en prenant un véritable parti-pris pour l'aspect mélodramatique de la vie de nos gangsters faisant d'eux des figures tragiques sans compter que via Portland Street Blues, l'histoire se permet un large détour thématique en mettant les scènes les orientations homosexuelles de Sister 13, sujet peu abordé dans le cinéma commercial hongkongais d'autant plus que Manfred Wong en a retiré toute la vulgarité habituelle pour offrir un véritable portrait de femme à part (ce qui vaudra d'ailleurs un HK awards à Sandra Ng pour son rôle). Avec Those Were The Days, le personnage de Chicken acquiert enfin l'importance auquel il a droit car même si Ekin semble au premier abord être la star de la série, il y'a toujours eu une certaine égalité dans les faits entre lui et le personnage de Chicken joué par Jordan Chan, ils grandissent comme deux frères depuis l'enfance et chacun aura un parcours plus ou moins parallèle. Ce nouvel opus joue prend à nouveau le contre-pied de la série initiale en jouant la carte de l'histoire d'Amour avec un grand A sur plusieurs années qu'entretient Chicken et son amie d'enfance alors qu'il a souvent été présenté comme un coureur de jupons. Ici les triades passent au second plan pour laisser place aux larmes et aux sentiments pour finalement délivrer l'épisode le plus triste de la saga, confirmant ainsi tout le drame inhérent à la série où l'individualité est supprimée au profit de la collectivité.
The End... |
C'est avec cette logique de renoncement personnel qu'arrive Born To Be King, épisode qui se veut définitif après tous les malheurs et embûches qu'ont traversés nos héros, faisant d'eux des personnages de bédé, bouclant ainsi la boucle avec Y&D1 qui faisaient des inserts de planches de la bédé originale au sein de séquences live. Andrew Lau est revenu à la réalisation mais il a justement adapté sa réalisation en optant pour un aspect visuel confortable qui découle de son expérience passée sur Stormriders et cie, il n'y a qu'à voir le montage de la confrontation finale entre Ekin Cheng et Peter Ho pour bien se rendre compte qu'Ekin n'a plus rien d'humain et est définitivement entré dans la légende locale en tant qu'héros au même titre qu'un Wong Fei-Hung. Démarrant historiquement dans les plus bas-fonds d'un anonyme immeuble délabré d'Hong-Kong, il n'est pas difficile de comprendre l'engouement pour l'entière saga Young&Dangerous car c'est avant tout une immense success-story d'une quinzaine d'heure au total qui force le respect de par sa cohérence (il est vivement déconseillé de regarder les films dans le désordre), l'écriture des personnages qui se bonifie d'épisode en épisodes et son côté politiquement incorrect quasi inédit font que Young&Dangerous reste et restera l'une des séries les plus intéressantes de l'histoire de l'ex-colonie.