Après une année 2002 où le cinéma HK a semblé marquer le pas face à la concurrence, notamment coréenne, la mode internationale lancée par Tigre et Dragon et In the Mood for Love fait office de feu de paille. On espérait alors que le succès plus international que local de ces deux films allait permettre au cinéma HKgais de se remettre un peu sur pied, profitant de l'attention de l'occident. Aujourd'hui le cinéma de Hong-Kong semble stagner à un niveau inquiétant. C'est l'occasion d'aller un peu plus loin dans l'analyse de la crise post-1995, de regarder comment cette crise évolue, et quel est son futur.
L'année 1995 représente pour beaucoup le début de la crise à Hong-Kong, symbolisé par la prise de pouvoir des films américains au box office (j'ai nommé Jurassic Park de Steven Spielberg, l'inventeur du blockbuster). Depuis, le cinéma de Hong-Kong est mort selon certains, les stars sont parties, les budgets ont chuté, la qualité de même. Bref, l'âge d'or des années 85-95 est bel et bien terminé. La plupart des fans le constatent aussi, les films sont moins bons, moins fous, moins inventifs. Il convient cependant de relativiser un peu les choses. La plupart des fans ont découvert récemment les films de Hong-Kong, ou du moins ont eu un accès aisé à tous les films depuis quelques années seulement. Baisse des prix sur le marché français, émergence d'internet et des sites d'informations, meilleure communication entre fans, petite vague grâce à Jet Li, John Woo, Wong Kar-Wai et Ang Lee, retour des Shaw Brothers, autant de raisons qui font que le fan d'aujourd'hui a accès à beaucoup d'informations. Ils peuvent trouver une très grande majorité de ces films marquants, à l'achat, la location, à l'échange avec d'autres fans. Une fois ce réservoir vidé, il est évident que les sorties du moment semble plus fades, surtout dans une période de comédies et de films fantastiques... C'est bien là un problème, maintenant le fan qui s'est rassasié de tous les grands films des années 80 et 90 doit attendre les grands et bons films au lieu d'avoir tout simplement l'embarras du choix. Au lieu de piocher selon ses envies, le fan doit subir l'actualité et devient passif.
The Mission Succès critique 1998 |
Pourtant, depuis 95, le cinéma de HK nous a livré quelques films très corrects pour un cinéma mort. Les polars de la Milkyway comme The Mission, The Longest Nite ou Beyond Hypothermia font maintenant parti des classiques du genre. On peut y ajouter d'autres films comme Too Many Ways to be Number One, The Odd One Dies, Hero Never Dies, Running out of Time, qui valent pas mal de polars des années 85-95. Milkyway Image est un studio qui a eu pour son cycle de polar une vraie ligne directrice artistique. Outre le succès de la Milkyway, on peut s'attarder sur les films du studio UFO, qui même s'ils ne sont pas tous des grands films, montrent une certaine constance dans la qualité du scénario et les sujets abordés, ainsi qu'une maturité nouvelle pour des comédies HK. Pas de très grands films chez eux, mais une ribambelle de petits films qui méritent d'être découverts.
On peut donc en fait donner au moins deux années supplémentaires de crédit à Hong-Kong, en fait jusqu'à la rétrocession à la Chine, sujet d'inspiration qui a donné à de nombreux films une espèce d'état d'esprit d'urgence et d'inquiétude avant la nouvelle ère. Passé 97, la véritable crise s'est installée, accelérée par la crise économique qui à mon avis pèse énormément sur l'industrie locale. Nous en reparlerons plus tard.
Continuons en évoquant le cas Tsui Hark, qui après ses expériences assez calamiteuses aux USA est reparti sur des bases plus saines à HK. Bien sûr, ses deux films depuis (Time & Tide et Legend of Zu) sont loin de faire l'unanimité, mais l'a-t-il toujours fait ? On ne peut enlever à ces deux films leur caractère expérimental et la volonté d'explorer de nouveaux territoires. Hélas Tsui n'est plus rentable et son avenir est très flou. Espérons que sa série TV le relancera. Autre star de l'ex-colonie Britannique, Stephen Chow, qui a pour beaucoup livré son meilleur film en 1999 (King of Comedy) et battu tous les records pour un film local au box office en 2001 avec Shaolin Soccer. Terminons avec quelques titres de films supplémentaires depuis 1997, lesquels montrent qu'en 5 ans la production locale n'a pas fait que des navets :
Full Alert de Ringo Lam, Happy Together de Wong Kar-Wai, Made in Hong Kong de Fruit Chan, Beast Cops de Gordon Chan, Till Death do us Part de Daniel Lee, Bullets Over Summer et Juliet in Love de Wilson Yip, Ordinary Heroes, July Rhapsody de Ann Hui, From the Queen to The Chief Executive d'Herman Yau... Beaucoup de films noirs et désespérés, Hong-Kong vidant ses dernières munitions avant de basculer dans l'inconnu. Pendant plus de dix ans, Hong-Kong a vécu dans cette période de fin d'époque, sachant très bien qu'en 1997 tout allait peut-être changer.
Il ne faut pas se voiler la face non plus, la liste des films sortis depuis le début de 2002 est à ce titre très parlante : le cinéma de Hong-Kong traverse probablement la pire crise de son histoire, et 2002 semble en être la pire année... pour le moment. Mais il faut aussi faire le distinguo entre crise artistique et crise financière. Le cinéma est un mélange assez subtil d'art et de business, le premier ne pouvant hélas pas survivre sans le second.
Ceux qui annoncent le début de la crise en 1995 n'ont pas forcément tort. En matière de chiffre d'affaire, la baisse a commencé dès 1993 en fait, pour s'accentuer jusqu'en 1999. En 1992, le cinéma de HK engrengeait 1,2 milliards de HK$ de recettes, alors qu'en 1999, il était descendu à 346 millions! 1995 étant l'année de la pire baisse (-188 millions). Si on s'en tient donc à la crise financière, alors oui, elle a bien débuté au milieu des années 90 et son "sommet" semble être 1999. Depuis, des ajustements ont été fait pour retrouver une certaine rentabilité, et les chiffres sont légèrement remontés. Faire des films artistiques est une chose, ne pas perdre de l'argent en est une autre. L'exemple Milkyway est assez parlant à mon avis, avec des polars passionnants à la fin de la décennie 90, mais des résultats au box-office très moyens (mise à part Running out of Time qui culmine à 15M HK$...). Face à ce problème de rentabilité, la Milkyway a fait comme tous les autres studios, et s'est tourné vers des films plus commerciaux et évidemment beaucoup moins intéressants, mais plus rentables.
Love On a Diet Succès commercial |
On a donc assisté depuis 1999 a une remontée des recettes, considérée par certains comme le début du renouveau, lequel passe en premier lieu par un renflouement des caisses. Hélas, 2002 est l'année de la rechute, et probablement une des pires pour le cinéma de Hong-Kong, artistiquement parlant. On retombe au niveau de 1999, avec 345 millions de recettes pour les films locaux, soit une baisse de 24%. La rechute économique explique en partie cet état de fait. La situation économique à Hong-Kong s'est aggravée en 2002, avec un taux de chômage atteignant de nouveaux sommets. La consommation suivant la pente inverse, on se retrouve avec des recettes en baisse pour le cinéma, tout à fait logiquement. Les succès moyens de l'année en cours plafonnent à 20 millions de HK$, alors que les années précédentes on atteignait plus du double. Inutile dans ces conditions de sortir 120 films. Même les films américains ne parviennent plus à réitérer les mêmes chiffres qu'auparavant (le box office tous pays confondus est en baisse de 17%). La solution la plus raisonable est alors de sortir moins de films, bref, de laisser passer l'orage. De même, inutile de réaliser des films à gros budgets alors qu'un succès rapporte 20M$ au lieu de 40. Bilan, en 2002, moins de films, moins de gros budgets. Financièrement, l'année 2002 ne sera pas forcément aussi mauvaise qu'artistiquement: même si en terme de chiffre d'affaire elle est aussi mauvaise qu'en 1999, la rentabilité par film pourrait être plus importante. N'oublions pas que chiffre d'affaire ne signifie pas recette.
Face à la crise économique, les studios se sont mis au régime sec, produisant moins de films, limitant les budgets afin de préserver une rentabilité minimale. Certains films sont probablement gardés au frais en attendant une période plus propice pour les sortir, ou en attendant un retour des entrées d'argent pour en boucler le financement. Telle est probablement la situation économique de cette crise 2002, évidemment très propice à la crise artistique. L'industrie du cinéma HKgaise est très dépendante des résultats de ses films sur son propre territoire, ce qui fait que l'état de l'économie conditionne fortemment l'état de l'économie du cinéma. Le paragraphe suivant développe un peu plus ce lien entre les deux économies, et souligne trois autres facteurs aggravant de la crise, à savoir l'absence d'une génération émergeante, l'influence peu concluante du cinéma Hollywoodien et la léthargie des films d'époques.
Crise économique et cinématographique, les soeurs jumelles.
Tout le monde a bien entendu souligné le problème du départ des stars aux USA, de l'impact du piratage. Mais les problèmes économiques de la région Asie suite à la crise financière ont un impact de plus en plus important sur le cinéma. N'oublions jamais que le cinéma est un business, que les films coûtent très chers et doivent être rentabilisés. De 1995 à 1997, le cinéma de HK a donné le change, mais il vivait bien au-delà de ses moyens à mon avis. Tout le monde se plaint du virage commercial de la Milkyway. Mais à poursuire sur la voie de ses débuts (càd celles des polars loués par les critiques et boudés par le public), la Milkyway allait droit à la faillite. La crise économique change la donne, il faut donc s'adapter tant bien que mal.
Legend of Zu Enorme budget peu rentable |
Premier effet, la crise fait que le cinéma est devenu pour beaucoup moins abordable. On choisit donc mieux ses films, comme une grosse production américaine pour 'en avoir pour son argent', ce qui est bien compréhensible. Quand une place de cinéma coûte 2 fois plus cher qu'un VCD et 6 fois plus qu'un pirate, on choisit soigneusement ce qu'on va voir. Rien de bien nouveau me direz-vous. Ce qui semble plus nouveau, c'est que maintenant même les films étrangers ne parviennent plus à percer. Avant les films HKgais se faisaient battre par des Star Wars, Titanic, Jurassic Park. Noël 2001 a encore vu des films étrangers en tête du box office, mais sans non plus battre des records au box office. Pire, depuis le début 2002, les films américains, japonais ou coréens peinent à s'élever au dessus des scores pourtant peu impressionnants de la production locale. Le Nouvel An Chinois 2002 a été extrêmement pauvre, avec aucun film dépassant les 20 millions de HK$, alors que l'année passée, deux films s'étaient arrêtés autour de 30 millions. Depuis, tous les films semblent afficher les mêmes résultats, càd plutôt pauvres, malgré des critiques plutôt bonnes. Regardons les grosses sorties du mois d'Avril 2002, avec un Wong Jing+Andy Lau, un Leslie Cheung à la sauce Sixième Sens, un Sylvia Chang+jeunes acteurs dans le vent. Ce dernier fait un four sans nom, le Leslie, pourtant assez bien noté par les critiques ne fait guère mieux, et même Andy Lau ne fait plus recette. Le cinéma n'attire plus les foules visiblement. L'humeur est ailleurs, les mauvaises nouvelles économiques se succèdent depuis 5 ans, l'heure n'est plus à la détente.
De plus, il faut souligner que l'état de l'économie locale conditionne énormément la rentabilité d'un film. Le cinéma de HK était autosuffisant par le passé, le marché local suffisant à rembourser les films. Maintenant que les budgets augmentent (par la faute d'un mauvais choix d'inspiration, voir plus bas), les films demandent encore plus de réussite, mais l'économie ne se relevant pas, les gens vont moins au cinéma, augmentant les pertes de ces gros budgets sans âme. La solution pourrait venir d'exportation des films, mais ceux-ci ne sont pas forcément des produits faciles à placer, films batards tentant de concurrencer les grosses machines américaines sans en avoir les moyens, films peu impressionnants dans le monde du blockbuster surbudgetisé. En cherchant à s'en sortir, le cinéma de HK s'enfonce un peu plus...
La génération mèche rebelle
Gen X Cops La nouvelle (dé)génération |
Autre facteur désavantageux, l'absence de stars émergentes. Il reste de très bons acteurs et actrices à Hong-Kong, mais plus vraiment de stars rentables. Les gens se déplacent surtout pour voir des acteurs, et peu d'entre eux sont maintenant synonymes de succès. Jackie Chan tourne plus aux USA qu'à Hong-Kong, Stephen Chow fait un film tous les deux ans, et seul Andy Lau est aujourd'hui synonyme d'entrées d'argent, et encore... Sa dernière collaboration avec Wong Jing n'a pas attiré les foules. Et ce ne sont pas les jeunes non plus qui déchaînent les passions. Les Edison Chen, Stephen Fung, Aaron Kwok, Eason Chan, Nick Cheung vendent plus de disques que de tickets de cinéma. Leur manque évident de charisme et de jeu dramatique, sans parler de l'absence total de qualités physiques, font qu'ils semblent peu à leur place dans les films. Tous ou presque viennent de la chanson, et n'ont pas l'expérience télé de leurs ainés. Bien sûr, Chow Yun-Fat, Tony Leung, Francis Ng, tous ont tourné dans des films assez moyens à leur début, et n'étaient évidemment pas aussi convainquants que par la suite. Mais aucun des jeunes acteurs actuels ne semble pouvoir prendre leur place. N'oublions pas que les acteurs émergents des années 80 ont connu dans leur jeunesse la pauvreté qui reignait à HK, certains viennent de familles très pauvres. Ils connaissent donc les valeurs du travail, alors que la nouvelle génération sort du lit douillé des années fastes et rechigne naturellement à accepter les mêmes sacrifices que ses aînés... On attend donc toujours l'émergence d'un Chow Yun-Fat, d'un Jet Li, d'une Maggie Cheung. Seules les femmes résistent un peu à l'effondrement des valeurs (voir article Girls With Guts). La crise changera les mentalités, mais il faut du temps pour que les jeunes aient faim comme leurs prédécesseurs.
La HW Touch remplace la HK Touch
Continuons avec les problèmes d'inspirations. Le cinéma coréen est en train de démontrer qu'il est possible d'assimiler les méthodes marketing et la qualité de production des films américains, sans perdre son identité et faire des produits bêtement commerciaux. Hong-Kong veut faire la même chose, mais n'y arrive pas. Les productions HKgaises tentent assez vainement de copier les gros produits US, avec leur petit budget bien mal adapté. Alors qu'il vaudrait mieux copier les stratégies marketing éprouvées, ainsi que la logistique, c'est le contenu et la manière
Avenging Fist Le désastre des SFX |
L'absence quasi-totale du genre roi à Hong Kong, les films de kung-fu et les Wu Xia Pian, est la plus remarquable. Bien plus que le polar ou la comédie, c'est le genre qui n'appartenait presque qu'à Hong-Kong. Aujourd'hui, c'est le néant, il faut chercher un bon film martial dans l'année, ou plus généralement un bon film en costume, quelque chose de vraiment typique.
Je me suis livré à une petite étude sur 2 périodes de 3 ans chacune. 1997 à 1999 pour les années de crise, et 1992 à 1994 pour les années de prospérité. Pour se faire, j'ai prélevé dans les filmographies de chaque année les films qui m'ont paru marquants. Bref, une espèce de filmothèque idéale année par année. Ces choix n'engagent que moi bien entendu, mais me semblent parlant : la production "Crise" rivalise avec la production "Age d'Or" au niveau des genres autre qu'arts martiaux, surtout si l'on pense que le nombre de films a bien diminué. Par contre, la production est d'une pauvreté effarante en matière de films d'époque, de kung-fu ou Wu Xia Pian, quand la période Age d'Or comporte environ 50% de films de ce genre (voir le détail des chiffres ci-dessous). Lorsque le cinéma de Hong-Kong arrivera à relancer les films d'arts martiaux et en costumes plus généralement, la crise touchera peut-être à sa fin. En relançant ses genres typiques, le cinéma de HK comprendra quelles sont ses forces et ses spécificités. Simplement, les tentatives récentes à base d'effets spéciaux n'ont pas tenu le choc. Un Stormriders, un Man Called Hero, un Avenging Fist, ou comment passer d'un succès colossal à un bide mémorable. La nouvelle forme de ces genres rois n'a pas encore été trouvée, peut-être les tentatives de Tsui Hark et Liu Chia-liang seront décisives. Le cinéma de HK a besoin de se retrouver une âme au lieu de copier ce que les autres font mieux. Passé la rétrocession, Hong-Kong cherche sa place, et son cinéma aussi. Je ne souhaite pas qu'il n'y ait QUE des films en costumes, mais qu'Hong-Kong capitalise un peu plus sur son histoire, ce qu'elle n'a plus fait depuis quelques années.
Détails des films à retenir lors de deux périodes
PERIODE 97-2001 LA CRISE | PERIODE 92-94 L'AGE D'OR |
97 Contemporains : 6/6 |
1992 Contemporains : 4/7 |
98 Contemporains : 4/4 |
1993 Contemporains : 2/8 |
99 Contemporains : 6/6 |
1994 Contemporains : 5/9 |
2000 Contemporains : 5/5 |
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2001 Contemporains : 3/4 |
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BILAN 97-2001 Films contemporains : 96% Films en costumes : 4% Films d'arts martiaux : 4% |
BILAN 92-94 Films Contemporains 46% Films en costumes 54% Films d'arts martiaux 50% |
Ces choix de films portent évidemment à discussion, mais quelques changements n'inverseront pas le rapport de 4% / 54%. Les chiffres parlent d'eux-mêmes.
Il ne faut pas non plus se tirer une balle en disant : le kung-fu est mort, fini les envolées des épéistes. Chiu Man-Cheuk n'est pas chauffeur de taxi. Les chorégraphes ne sont pas devenus serveurs dans les restaurants. Ils se sont pour la plupart repliés sur les séries TV, et attendent tranquillement le retour de leurs genres de prédilection sur le devant de la scène. Ce qui arrivera, les genres suivant évidemment les mêmes types de cycle que le reste. Consultez l'article d'Anton à ce sujet, les séries TV sont le chaînon manquant pour brosser un portrait complet de l'industrie cinématographique Hong-Kongaise.
Si l'on tente de brosser un petit portrait de la fameuse crise que traverse le cinéma de Hong-Kong, on se rend compte que le Mal n'a pas un seul visage, mais les multiplie pour porter un coup d'autant plus fatal. En quelques années, le piratage est devenu industriel, la rétrocession a entraîné le départ des forces vives, la double crise économique (1997 puis rechute après le 11 Septembre 2001) a fortemment conditionné l'évolution de la production et la nouvelle génération ne tient que difficilement ses promesses. Cela fait beaucoup pour un seul homme. Donc même si la situation financière s'améliore un peu, le cinéma de Hong-Kong est au fond du trou artistiquement, et on peut légitimement se demander comment il pourra se relever d'un coup aussi fatal. Afin de ne pas trop déprimer les fans, la suite de cet article s'attache à parler des cycles et explique pourquoi le cinéma de Hong-Kong retrouvera quelques couleurs, même si on ne sait pas lesquelles...
Voyons voir si la théorie de cycles, qui veut que tous les événements se reproduisent avec une certaine périodicité, peut s'appliquer à une production cinématographique. Peu de productions nationales peuvent prétendre conserver la même qualité moyenne sur la durée. Chaque cinéma a eu ses hauts et ses bas, de durée variable. Certaines parlent de l'âge d'or du cinéma américain dans les années 70, de l'âge d'or du cinéma français des années 40. On peut aussi parler des années de crise traversées par le cinéma japonais pendant les années 80. Bref, les exemples sont légion. Chaque crise est suivie par une période de prospérité, à plus ou moins longue échéance. Sauf si un élément vient perturber le milieu et le transforme, empêchant ainsi la répétition des périodes passées. On peut imaginer que l'émergence du blockbuster et de la théorie "amenons les gens dans les salles avec le marketing plutôt qu'avec la qualité du film en lui-même" a profondément changé l'industrie cinématographique américaine, et qu'on ne reverra jamais un âge d'or comme celui des années 70. Peut-être un autre âge d'or, mais différent.
The New One-Armed Swordsman Première période pleine |
Toujours est-il que cette théorie des cycles est assez viable, et
trouve une explication très logique et naturelle. Les cycles n'ont
pas lieu par la volonté du Saint Esprit. Lorsqu'un système
est prospère, il y a naturellement une baisse de la motivation qui
avait permis d'atteindre cet état, de même qu'une baisse de
créativité à long terme, lorsque tous les filons ont
été exploités. Il y a aussi une certaine habitude à
l'opulence et au succès, qui fait que globalement les mentalités
changent. La récession est alors difficile à éviter.
Inversement, lorsqu'un système se retrouve en crise, il faut un peu
de temps pour que la motivation, l'esprit d'innovation et de compétition
reviennent. Les mentalités changent dans l'autre sens, et la machine
peut repartir. Après la pluie vient le beau temps donc ? Cela peut
paraître un peu stupide, mais il y a du vrai là-dedans. Atteindre
le sommet n'est pas le plus difficile, c'est se maintenir au sommet qui
est le plus difficile. L'usure naturelle liée au succès conduit
un jour ou l'autre le système à sa perte. Si l'on s'intéresse
au cinéma HKgais depuis 30 ans, on peut schématiser ces périodes
de la manière suivante:
- 1965-1975 période pleine, avec l'avènement de Chang Cheh
et des plus grands Wu Xia Pian de l'histoire, l'émergence du kung-fu
avec Bruce Lee.
- 1975-1985 période creuse, la mode kung-fu se tasse après la disparition de Bruce Lee et malgré les débuts de Jackie Chan, les Wu Xia Pian encaissent encore plus mal, la nouvelle vague menée par Tsui Hark fait ses armes.
- 1985-1997 période pleine, Tsui Hark explose dès 1985 avec Peking Opera Blues, lance John Woo dès 1986, relance les films martiaux avec ses Ouatics et Histoires de Fantômes Chinois.
Wesley's Mysterious File Deuxième période creuse |
- 1997-???? période creuse, rétrocession de HK à la Chine avec le départ des stars aux USA, impact du piratage, crise économique, etc...
Certes, cette schématisation porte énormément à discussion. Mais elle présente l'avantage de montrer une pseudo-périodicité de 10 ans dans le cycle du cinéma HKgais. Cela paraît assez court, mais vu la réactivité de cette industrie, cela ne me semble pas déplacé. On pourrait donc espérer un retour à une période pleine vers les années 2007. Moindre consolation certes, surtout que ces prévisions sont sûrement aussi aussi fiables que les prévisions de Paco Rabanne en matière de précipitations satellitesques. Pourquoi ? Et bien tout simplement car l'environnement a bien changé depuis les années 70, et rend donc toute prévision bien aléatoire. Le retour de HK à la Chine en 1997 pourrait très bien être l'événement qui change la donne. On pourrait aussi évoquer l'impact du cinéma américain et de ses méthodes, qui transforment invariablement certaines productions, avec plus ou moins de succès. "Plusé étant relatif au cinéma coréen qui en a bien intégré les avantages, "moins" étant bien évidemment le cinéma HKgais qui n'a pas encore réussi à le contrer avec les bonnes armes. La question est donc, est-ce que le cinéma HKgais a été trop profondémment marqué par ces événements pour sortir du cycle et n'offrir plus aucune garantie de résurrection programmée ? Bien malin qui pourrait le dire. Le cinéma japonais s'est très bien relevé de la crise des années 80-90 et présente maintenant une vitalité impressionnante, et sans avoir vendu son âme au dieu Dollar (ou Yen dans ce cas présent). En sera-t-il de même pour le cinéma de Hong-Kong ? Saura-t-il retirer quelque chose de plusieurs années de tentatives d'américanisation infructueuses de sa production ? Rien n'est moins sûr. Hong-Kong a vécu un événement quasiment unique dans l'histoire, un changement de nationalité programmé. A la différence d'une guerre, d'un putsch ou de tout autre événement impossible à prévoir dix ans à l'avance, la rétrocession était dans l'esprit des Hong-Kongais depuis le milieu des années 80. Leur cinéma était un cinéma de fuite en avant, les derniers soubresauts d'une population fière de son passé mais sans avenir. Aujourd'hui les Hong-Kongais ne savent pas encore qui ils sont, Hong-Kong cherchant encore sa place sur l'échiquier complètement chamboulé de l'Asie post rétrocession.
L'émergence de la Chine est l'événement qui va probablement briser les cycles et qui fait que le cinéma de HK ne retrouvera jamais la même forme que par le passé. Dans tous les cas, même si les cycles sont respectés, le nouvel âge d'or ne ressemblera pas à l'ancien. Les petits films fous des années 80-90, c'est terminé. Dans un prochain article "2003 - Crise et maturité", on pourra constater que la crise change les mentalités et rend le cinéma de Hong-Kong plus mature et sérieux. La culture locale évolue, les films suivent. Le prochain âge d'or ne sera pas fou, mais peut-être plus réfléchi et adulte.
De plus, les nombreux films panasiens sortis depuis quelques mois montrent que le marché n'est plus local, mais multinational. La croissance démesuré en Chine va donner naissance à de nouveaux poles artistiques, notamment à Shanghaï, censé devenir le Hollywood asiatique, la remplaçante de Hong-Kong comme usine à rêves asiatique. Le gouvernement HK a compris, bien tardivement, que son cinéma était en train de mourir, et à débloquer une aide des banques pour les studios de productions. L'avenir du cinéma de Hong-Kong paraît tout de même bien flou, et il est évident que certains ne verraient pas d'un très bon oeil le déménagement de Hong-Kong à Shanghaï, où la censure gouvernementale ne semble pas vraiment s'accorder avec la liberté artistique présente à Hong-Kong. On peut au mieux rêver à deux pôles chinois, Shanghaï la rouge et Hong-Kong la rose pâle.